Films

Hommage à la médecine de proximité

3 min.
© Médecin de campagne
© Médecin de campagne
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Médecin quinquagénaire dans une campagne française reculée, Jean-Pierre Werner (interprété par François Cluzet) se voit, un jour, asséner une sentence doublement douloureuse par un collègue médecin spécialiste : "Tu as une tumeur au cerveau. Si tu veux te soigner, il va falloir te faire remplacer...". Si impérative soit-elle, la suggestion du confrère s'avère totalement irréaliste aux yeux de ce médecin dévoué corps et âme à sa profession. C'est que Jean-Pierre ne connaît ni les congés ni les horaires de travail réguliers. Pour sa patientèle, il est simplement là, disponible à toute heure. Il agit un peu comme un homme-orchestre : soignant, certes, mais aussi confident, assistant social, psychologue, conseiller conjugal, etc.

À force de consultations, de visites à domicile et de participation aux fêtes et animations locales, il connaît chacun ou presque par son prénom, ses habitudes, ses paroles et ses silences... Abandonner tout cela pour un cancer à soigner ? Impensable ! Il préfère se noyer dans le boulot et s'oublier.

Débarque alors, dans sa vie, une collègue doctoresse, Nathalie (interprétée par Marianne Denicourt). Ex-infirmière urgentiste et devenue médecin, celle-ci s'avère rapidement rompue à certains gestes et techniques. Mais elle n'est, en aucun cas, habituée à une certaine rudesse dans cette vie de province et à l'ambiguïté de situations familiales à prendre avec des pincettes. Sceptique sur cette aide tombée du ciel "pour son bien", Jean-Pierre, quelque peu bourru, la met durement à l'épreuve.

Avec une conviction assénée comme un couperet ("Médecin de campagne, ça ne s'apprend pas!"), il la balade dans un parcours initiatique qui passera petit à petit de la confrontation à l'acceptation. Car la progression de la tumeur finira pas rapprocher ces deux itinéraires antagonistes au fil de rebondissements qui éviteront les poncifs cinématographiques. Pas de romance à l'eau de rose, ici.

Double casquette 

À la fois réalisateur et ex-médecin, Thomas Lilti avait déjà fait parler de lui avec le très bon Hippocrate (2014), relatant l'immersion bousculée de jeunes médecins dans l'univers hospitalier. L'homme, cette fois, s'attelle à décrire la vie d'un médecin de campagne par petites touches successives mais parfaitement orchestrées. On ne s'ennuie pas un instant dans cette plongée intimiste, qui ne cache pas son intention de rendre hommage aux professionnels de la santé rurale. L'interprétation des comédiens y est magistrale au point que l’œuvre confine, ici et là, au documentaire.  Tant les personnages sont réalistes. 

Certes, vu de Belgique, on peut s'interroger, en 2016, sur la persistance de cette ruralité profonde, faite de routes de campagne improbables et de grilles de fermes mal huilées. Mais, à l'exception d'une scène rocambolesque de kidnapping hospitalier, le propos n'en reste pas moins fermement ancré dans la réalité sociologique et géographique de notre époque.

Bien plus qu'un film à thèse, Médecins de campagne aborde, par petites touches, les facettes riches et complexes de cette profession en recul : les rapports avec l'hôpital et sa médecine "technique", les risques de diagnostics erronés, le droit de mourir à domicile, les soins aux personnes handicapées, la fragilité du secret professionnel, etc. Et jusqu'à la nécessité d'ouvrir une maison médicale pour conserver une offre de qualité dans les patelins reculés. 

Un combat à armes inégales

C'est toute la diversité du monde qui défile sous le stéthoscope de Jean-Pierre et Nathalie : élus locaux gonflés d'ambition, gens du voyage relégués dans des campements immondes, adolescentes enceintes immatures avec (ou sans) leur compagnon... Il en faut, de la souplesse et, surtout, de la finesse pour adopter la bonne posture médicale,  écouter la souffrance humaine et soigner les corps.

Malgré sa portée d'hommage à la médecine de proximité, le film de Lilti ne fait pas nécessairement dans le bisounours : "Face à la maladie, la barbarie de la nature gagne toujours!", s'emporte François Cluzet lorsque, confronté au progrès de son cancer, son personnage accepte enfin de laisser tomber le masque devant sa collègue.

Le film de Thomas Lilti, enfin, touche par la place qu'il accorde, comme un long fil rouge, à l'idée de transmission. Transmission du savoir médical à la génération montante. Transmission, aussi, d'une certaine bienveillance pour la collectivité qui ne s'apprend pas sur les bancs des facultés de médecine. Une portée universelle d'une actualité brûlante, soulignée par les derniers instants du film.

Pour en savoir plus ...

Médecin de campagne de Thomas Lilti, avec François Cluzet, Marianne Denicourt, Patrick Descamps…, 1h42.