Retour à Archives opinions

La Toile et ses relents de haine ordinaire

La Toile et ses relents de haine ordinaire © Leyla Vidal BELPRESS

Quand un premier courriel a traversé les airs, c'était il y a un peu plus de quarante ans : 1971. Aujourd'hui, bien courageux celui qui se mettrait au défi de les comptabiliser quotidiennement. D'autant que s'y sont ajouté le "livre des visages" facebookien qui concerne près d'un milliard et demi de participants. Ou l'oiseau bleu de Twitter qui revendique plus d’un demi-milliard de messages par jour. Rapidité, concision, réactivité… guident les usages. Non sans heurts.


Après les balbutiements des échanges électroniques dans les années 70, une deuxième vague de grands changements dans les modes de communication occupera les années 90. 1994, le premier blog s'étale sur la toile. C'est l'époque aussi où les journaux d'information affichent leur présence sur Internet et commencent à ouvrir des espaces de parole pour leurs lecteurs. Forumeurs, commentateurs, "experts du vécu"… les lecteurs trouvent des espaces pour interagir. Puis, c'est l'accélération : Facebook apparaît en 2004, Twitter en 2006… Suivent Instagram, Snapchat, Whatsapp… tandis que les premiers n'en finissent pas de gonfler. Les interactions se mènent en rafales, dans un flux continu, fourni et hyper-réactif.

"Pendant un temps, on a pu croire que 'la communauté du web' (…) allait s’autoréguler, que ceux qui dérapent seraient rappelés à l’ordre par les autres internautes."

Le mythe de l'autorégulation

Tout un art, remarque le journaliste Alain Gerlache, dans une récente chronique du web à l'occasion des dix ans du premier tweet (1). Un art, comme le narrait l'écrivain André Gide, qui "naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté". Mais un art qui ne s'exerce pas sans accros, sans dérives voire sans tragédies. "La brièveté ne s’accommode pas de beaucoup de nuances. Ce qui encourage les nombreux dérapages qui émaillent les débats sur le réseau."

Lassés, blessés, parfois meurtris, certains clôturent leurs comptes, quittent le réseau, le délaissent. "Tout n'est pas rose pour l'oiseau bleu", relève l'observateur attentif du web. Comme sur l'ensemble de la Toile, d'ailleurs. "Pendant un temps, on a pu croire que 'la Communauté du Web' (…) allait s’autoréguler, que ceux qui dérapent seraient rappelés à l’ordre par les autres internautes. Mais bon, aujourd’hui, on sait que ça tient du mythe. C’est de plus en plus souvent le contraire qui se passe. Quand quelqu’un passe les bornes, d’autres franchissent les limites." Elles sont d'autant plus facilement dépassées que les personnes visées ne sont pas présentes en chair et en os, comme IRL entendez In real life (dans la vraie vie).

L'antre des cyber-souffrances

Des phénomènes aux intitulés nouveaux font leur apparition. Le bashing : du verbe anglais "to bash" qui veut dire frapper, cogner. On l'appelle aussi "lynchage médiatique". Il consiste en un dénigrement acharné d'une personne ou d'un groupe, en le critiquant, en l'insultant, en colportant des rumeurs et des mensonges à son propos. Et ce, sur une place publique qui, de nos jours, a pris le visage d'un terrain mondialisé. On parle aussi de différentes formes de shaming : du mot anglais "shame" qui fait référence à la honte. Le cyber-harcèlement se pratique. Il préoccupe depuis plusieurs années déjà les acteurs de l'éducation, entre autres.

L'actualité met en exergue également un climat dit de cyber-haine. Propos racistes, machistes ; invective, hargne et violence ne manquent pas de s'étaler sur les forums, dans les espaces de commentaires des journaux en ligne… Et ce de manière particulièrement effrayante. Des campagnes tels Silence hate (2) ou Le Bienvenu (3) tentent de contrer cette tendance.

Faut-il y voir la conséquence – dommageable – de la liberté d'expression ? Récemment, l'ASBL Média Animation, active dans le secteur de l'éducation aux médias, publiait une réflexion à ce sujet. L'auteure, Cécile Goffard, rappelle d'abord les limites à la liberté d'expression dans le droit belge : interdiction de tenir des propos négationnistes, interdiction d'inciter à la haine, à la discrimination, à la ségrégation ou à la violence sur la base de critères comme la nationalité, la couleur de la peau, l'orientation sexuelle, l'âge… Ceci étant, "ce n'est pas parce qu'un propos est légal qu'il est acceptable ou souhaitable", précise-t-elle (4).

Appel à la raison

Les tweets acerbes, moqueurs seraient bien plus partagés que les messages informatifs ou positifs :-) ajouteraient, en guise d'émoticône, ceux qui ont compris l'importance de la communication non-verbale dans les échanges interpersonnels. Avec le web, exit le ton, la posture, le regard… Tout l'art serait alors de les exprimer virtuellement. En 140 caractères max, pour les tweets publics…, la gageure est de taille.

Comme le conseille l'ASBL Droit des jeunes à ses ouailles : "Faites preuve de respect. Ne dites pas ou n'écrivez pas des choses qui pourraient blesser. Ne mettez jamais en ligne des photos ou des vidéos qui tournent des personnes en ridicule. Ne croyez pas tout ce que vous entendez, voyez ou lisez sur Internet ou sur un chat." En somme, tournez sept fois votre langue dans votre bouche avant de poster, tweeter, emailer… Et n'oubliez pas que de l'autre côté du clavier, de l'écran… se trouvent nombre de destinataires auxquels vous n'avez peut-être pas spontanément pensé.