Alimentation

Microbiote intestinal : un monde de découvertes     

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(c)iStock
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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Les micro-organismes sont partout autour de nous, mais aussi en nous. Organisés en écosystèmes, ils jouent un rôle majeur au niveau physiologique : ce sont les microbiotes. Concrètement, il s'agit de l’ensemble des micro-organismes (bactéries, levures, champignons, virus…) vivant dans un environnement spécifique. Il existe par exemple un microbiote du sol, de l’océan, etc. Mais les microbiotes sont avant tout associés au corps humain : le microbiote cutané, vaginal… Et le plus étudié actuellement, le microbiote intestinal, mieux connu sous l'appellation plus poétique de flore intestinale. "À lui seul, ce microbiote représente plus de 100.000 milliards de micro-organismes provenant de 400 espèces différentes, soit dix fois plus que le nombre de cellules composant le corps humain, s'enthousiasme la professeure Nathalie Delzenne, présidente du Louvain Drug Research Institute (LDRI) et co-directrice de son groupe de recherche "Métabolisme et nutrition". On y retrouve principalement des bactéries, mais des études récentes suggèrent que la quantité de virus serait équivalente à celle de ces dernières." D'où la nécessité de faire coexister tout ce petit monde en harmonie…

La naissance, un moment décisif
Le microbiote intestinal se développe principalement au cours des deux premières années de la vie, un moment crucial pour la maturation du système immunitaire. "Quand l'enfant vient au monde, son microbiote intestinal va d'abord être colonisé par les bactéries vaginales et fécales de la mère - si l'accouchement se fait par voie basse, ou par le microbiote de l'hôpital, dans le cas d'une césarienne. Puis, cet écosystème va se modifier grâce à l'alimentation, notamment le lait maternel, dont la qualité dépend lui-même de la santé générale de la maman et de ses habitudes alimentaires, commente Nathalie Delzenne. Au départ, ce microbiote est très peu peuplé, on n'y retrouve que quelques espèces qui vont jouer le rôle d'éducatrices du système immunitaire du bébé. Nous disposons donc tous de ce 'terreau commun', mais cette base commune va très vite se singulariser en fonction, principalement, de la qualité du régime alimentaire adopté par l'individu au cours de sa vie."
Bien "nourrir" son microbiote intestinal est primordial. Ses fonctions sont multiples : il joue un rôle de barrière à la colonisation par les micro-organismes pathogènes, contribue à la synthèse de plusieurs vitamines ou encore au bon fonctionnement du système immunitaire… "Ce microbiote va principalement se nourrir de ce que nous sommes incapables de digérer. Les fibres alimentaires sont un bon exemple : fermentées par ce microbiote, elles produisent une molécule, le butyrate, essentielle au bon fonctionnement de l'intestin et qui joue un rôle important dans la stimulation immunitaire et la production des hormones intestinales qui régulent notre appétit : les hormones satiétogènes", révèle Nathalie Delzenne. Lorsqu'il est déséquilibré, le microbiote intestinal peut, à l'inverse, favoriser le développement de pathologies. Ce déséquilibre, appelé dysbiose, a été reconnu ces dernières années comme facteur déclenchant ou aggravant des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Avec l'évolution de la recherche, ce dérèglement a aussi été associé à un nombre croissant de pathologies diverses comme les allergies, certaines addictions, le diabète ou encore l'obésité (voir ci-après "Le microbiote pour contrôler l'obésité").

L'œuf ou la poule ?
Pour les chercheurs, il encore trop tôt pour définir si le déséquilibre du microbiote est "l'œuf ou la poule" d'une pathologie. Est-ce la maladie qui crée ce dérèglement, ou le contraire ? "Il y a en tout cas un lien causal entre le microbiote et la maladie, confirme la professeure. On sait, par exemple, améliorer l'état d'un individu souffrant d'inflammations intestinales chroniques en lui greffant du microbiote fécal sain d'un autre individu. Au cours de nos recherches, on s'est aussi rendu compte que si l'on transplantait sur des souris saines du microbiote d'humain obèse ou alcoolodépendant, celles-ci développaient parfois des comportements alimentaires et psychologiques similaires. Or, l'obésité, comme l'alcoolisme d'ailleurs, s'accompagne de symptômes inflammatoires." Cette corrélation entre dysbiose et inflammation est celle qui intéresse le plus le monde médical : récemment, elle a ouvert des perspectives dans la compréhension de la maladie d'Alzheimer (1). Le même constat a pu être dressé pour l'arthrite rhumatoïde ou la sclérose en plaques (2).

Fruits, légumes et céréales
Le microbiote intestinal détiendrait-il donc les clés de notre santé ? Il faudra d’abord trouver les bonnes serrures dans lesquelles les introduire. "Les résultats sont encourageants dans le domaine de l'addiction, de l'obésité ou encore des inflammations chroniques, précise Nathalie Delzenne, mais ce ne sont pas nécessairement les mêmes bactéries qui ont un lien avec chaque pathologie. On ne retrouve d'ailleurs pas les mêmes stigmates bactériens ni les mêmes réponses chez chaque individu. La recherche n'en est plus à ses balbutiements, mais il y a encore énormément de chemin à parcourir", confesse-t-elle. En attendant, il n'est pas forcément nécessaire de se jeter sur les compléments alimentaires ou les probiotiques pour garantir le bon équilibre de son microbiote intestinal : "Il faut finalement suivre tous les conseils que la plupart d'entre nous connaissons, rassure la professeure. Des fruits et des légumes chaque jour en quantité suffisante, de préférence locaux et de saison, des fibres (dont le microbiote raffole), pas trop de viande ni d'aliments riches en graisses saturées ou en sucresIl n'en faut pas plus pour que votre microbiote intestinal vous dise 'merci' !


Un allié contre le Covid-19 ?

Si le coronavirus affecte en premier lieu les poumons, les chercheurs se sont également penchés sur ses effets sur le microbiote intestinal. Et pour cause : les symptômes intestinaux (vomissements, nausée, diarrhée) semblent plus fréquents dans les formes sévères de la maladie. Trois méta-analyses portant sur 4.000 à 10.000 patients rapportent des prévalences de 10 à 18% (1). L'infection déclencherait une réaction inflammatoire intestinale, mise en évidence par des taux fécaux élevés d’un biomarqueur, la calprotectine. De l’ARN (acide ribonucléique, un acide très proche de l'ADN, NDLR) viral est présent dans les selles d’un patient Covid sur deux, même en l’absence de virus dans les voies respiratoires. De plus, ce dernier semble capable de se répliquer dans le tube digestif. "On a remarqué que certains patients Covid présentent un déséquilibre (dysbiose) intestinal, avec une perte de diversité et d'abondance bactérienne, confirme Nathalie Delzenne. Ce dérèglement peut être lourd de conséquences : lorsqu'il est symbiotique, le microbiote intestinal peut avoir un effet positif en stimulant àdistance la réponse de l'individu aux infections virales respiratoires, mais lorsqu'il est chamboulé, il peut, au contraire, aggraver la maladie, surtout quand les bactéries pathogènes y sont présentes en trop grand nombre. Le Covid-19 est une véritable bombe inflammatoire aux répercussions multiples et il est encore trop tôt pour définir avec précision le rôle que pourrait tenir le microbiote intestinal dans ce type d'infections : est-il un témoin fiable de la gravité de la maladie ? Peut-il dès lors être intégré dans une stratégie thérapeutique ? Les recherches continuent."

Le microbiote pour contrôler l'obésité

Au sein du groupe "Métabolisme et nutrition" du LDRI, les chercheurs se sont penchés sur le rôle que pourrait jouer le microbiote intestinal sur le contrôle de l'obésité, en utilisant une approche dite "prébiotique" : plutôt que de repeupler un microbiote "malade" avec des bactéries saines, par exemple via la greffe d'un microbiote étranger (l'approche probiotique), l'objectif est ici de nourrir certaines bactéries déjà présentes, afin de renforcer leur rôle bénéfique.

En 2014, le projet FOOD4GUT voit le jour avec l'aide, entre autres, de la Région wallonne. Le but : mesurer, chez l'humain, l’impact de la consommation de certains légumes riches en fructanes sur le comportement alimentaire et les désordres métaboliques associés à l’obésité. Les fructanes sont des fibres alimentaires que l'on trouve principalement dans certains légumes racines : salsifis, topinambour, chicorée, mais aussi poireau, ail ou oignon. À cause de leur structure chimique, les fructanes ne sont pas digérés par l'estomac et se retrouvent stockés dans la partie basse de l'intestin, où ils augmentent le nombre de certaines bactéries responsables de la stimulation des hormones qui régulent l'appétit : les bactéries satiétogènes. "Résultat : chez certains individus, on a constaté non seulement une amélioration de la glycémie, mais aussi une diminution de la sensation de faim. Ce qui veut dire que l'appétit peut potentiellement être régulé par certains aliments qui modifient leur microbiote intestinal", se félicite Nathalie Delzenne, sans crier pour autant au "remède miracle". Cela pourrait en tout cas suggérer que le microbiote intestinal a un rôle à jouer dans certains troubles alimentaires. Et renforcer l'idée que l'intestin est bien le fameux "deuxième cerveau" du corps humain.

>> Plus d’infos sur le site de FOOD4GUT