Alimentation

Sucres : un goût amer pour la santé     

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Julie Luong

Julie Luong

Réconfortant, anxiolytique, régressif, addictif : tout le monde aime le sucre. C’est une tendance que les industriels ont identifiée depuis longtemps et qu’ils ont largement participé à renforcer. Or les sucres sont aujourd’hui tenus pour en grande partie responsables de l’épidémie d’obésité à travers le monde. "Certaines préparations sucrées sont clairement corrélées avec l’augmentation du risque de surpoids, d’obésité, mais aussi de diabète de type 2, de stéatose hépatique (foie gras) et de maladies cardiovasculaires", commente Véronique Maindiaux, diététicienne et responsable du département diététique de la Haute École Vinci.

Sodas, jus et cafés améliorés
Sont ici incriminés les "sucres libres", qui comprennent les "sucres ajoutés", notamment dans les sodas, ainsi que les sucres naturellement présents dans le miel, les sirops et les jus de fruits. La consommation de sucres libres a en effet la faculté d’alourdir le bilan calorique l’air de rien : pas besoin d’avoir faim pour en manger ! Mais ce n’est pas tout : les sucres libres, en particulier quand ils sont consommés sous forme de sodas, présentent une charge glycémique élevée. La charge glycémique désigne la capacité d’un aliment à augmenter le taux de sucre dans le sang (glycémie), avec à la clef des fluctuations d’énergie et de possibles fringales. Elle est considérée comme élevée à partie de 20. Une pomme, par exemple, présente une charge glycémique de 6 et une canette de soda, de 22...
"Par ailleurs, les boissons sucrées n’ont pas d’effet régulateur sur l’appétit", commente Véronique Maindiaux. "Quand on mange des calories solides, on a un effet de régulation de l’appétit qui est meilleur que quand ces calories sont liquides. C’est le problème des limonades... mais aussi des jus de fruits." Quoique le sucre qu’ils contiennent soit naturellement présent, les jus de fruits représentent un piège diététique courant. Parce qu’ils contiennent aussi des vitamines, ils sont souvent considérés comme "bons pour la santé" alors que leur intérêt nutritionnel est en réalité bien inférieur aux fruits dont ils sont issus. "Même s’ils sont conçus à partir d’aliments sains, les jus modifient leur structure initiale qui a, elle, un effet régulateur sur l’appétit", poursuit Véronique Maindiaux.
Autre faux ami : les boissons chaudes auxquelles on ajoute du sucre, comme le thé ou le café, mais surtout les cafés "améliorés" avec sirops, arômes, laits et autres crèmes fraîches – souvent proposés en taille XXL. Pour réguler sa consommation de sucres, il faudrait donc faire davantage attention à ce que l’on boit qu’à ce que l’on mange... Et marier, tant qu’on le peut, le sucre avec des aliments intéressants sur le plan nutritionnel. "Le moins critiquable, ce sont les produits sucrés qui ont certaines qualités nutritionnelles, qui contiennent des protéines, des fibres, du calcium. Par exemple, le yaourt. Le fait de rajouter un peu de sucre dans le yaourt, ça aide à manger du yaourt. Ça peut donc être utile. Il faut prendre en compte la qualité nutritionnelle de l’ensemble de la préparation."  Plutôt de la confiture sur du pain complet que des bonbons, donc...

50 grammes par jour       
Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’apport idéal en sucres libres ne doit pas dépasser 10 %, voire 5 % de la ration énergétique totale chez l’adulte et l’enfant, soit 50 à 25 grammes environ pour une femme adulte. "Cela équivaut par exemple à un yaourt aux fruits qui comprend en général 10g de sucres ajoutés, une portion de confiture qui contient également 10g de sucre, et un morceau de chocolat de 25g qui contient plus ou moins 12g de sucres", illustre Véronique Maindiaux. En revanche, pointe la diététicienne, un Kinder Bueno (18g de sucres), un Capri-Sun (20g de sucres) et une portion de Frosties (13g de sucres) suffiront à vous faire dépasser les recommandations quotidiennes...
"On dit souvent qu’il faut manger moins gras et moins sucré, mais je dirais qu’il faut surtout manger des aliments moins transformés, commente-t-elle. C’est aussi le degré de transformation qui influence la santé. Les aliments dont la matrice a été fortement modifiée ont plus d’impact négatif. Le sucre, par exemple, est généralement extrait de la canne à sucre, de la betterave, du coco, de la rapadura... Or, pour faire de la pâtisserie, on peut utiliser des ingrédients peu transformés comme les abricots secs, la banane. Ce n’est pas du sucre transformé, mais ça donnera un goût sucré." Ce critère du degré de transformation vaut aussi pour les céréales petit-déjeuner, grandes pourvoyeuses de sucres en dépit d’une image santé  que les leaders du marché ont tenté d’imposer au fil du temps. "Il vaut mieux choisir du granola : ce ne sera pas nécessairement pauvre en graisses et en sucres, mais ce sera peu transformé."
Toutefois, même si ces recommandations semblent simples, elles représentent aussi une contrainte. Il faut non seulement être bien informé, se détacher des fausses croyances entretenues par la publicité, mais aussi avoir les moyens financiers et la disponibilité d’esprit nécessaire aux changements d’habitude. Aujourd’hui, les produits transformés sont drastiquement moins chers que les produits non transformés. Bien se nourrir a donc un coût, une réalité qu’aggrave encore l’inflation. Une grande partie de la population est donc en permanence aux prises avec des injonctions contradictoires : boucler la fin du mois et faire attention à sa santé ; contrôler son alimentation, mais subir la stigmatisation qui touche les personnes en surpoids. "Il faut essayer d’aller vers des messages qui soient moins culpabilisants et moins stigmatisants, encourage Véronique Maindiaux. Les injonctions n’ont jamais eu aucun effet."

Addict ?
Aujourd’hui, il est fréquent de parler d’ addiction au sucre. Une drogue dure, vraiment ? "D’un point de vue médical, psychiatrique, cela peut sembler excessif de parler d’addiction. Mais d’un point de vue comportemental, ça existe en effet", estime Véronique Maindiaux. Impression de ne pas pouvoir s’en passer, pulsions en cas de stress ou de déprime, culpabilité, tentatives d’arrêter qui échouent... Le sucre semble cocher beaucoup de cases de la dépendance. "La consommation de sucres intervient au niveau du circuit de la récompense et de la production de substances comme les endocannabinoïdes qui sont liés au plaisir, à la sensation de bien-être, de relaxation, poursuit la diététicienne. Une fois qu’on a vécu de façon intense cette expérience, on a envie de la réitérer."
Comme pour les autres addictions, nous ne sommes pas égaux face au risque de devenir accro. La meilleure prévention est donc probablement la modération tout au long de la vie. "Chez les personnes qui ont l’habitude de consommer du sucré de manière chronique, l’absence de sucres sera plus difficile à supporter", explique Véronique Maindiaux. Or, ces habitudes s’acquièrent en général dans l’enfance et l’adolescence. "La préférence pour le goût sucré est plus grande chez l’enfant que chez l’adulte. Par exemple, un enfant sera satisfait au niveau gustatif avec une plus grande quantité de sucres dans un yaourt par rapport à un adulte. On sait qu’il y a donc une évolution du goût sucré avec l’âge : il très présent chez les enfants, les adolescents et peut-être les jeunes adultes et diminue ensuite. Mais le pic de croissance de l’adolescence peut amener à consommer beaucoup de sucres parce que les besoins énergétiques sont très élevés : ces habitudes peuvent alors s’installer."
Tout est une question de conditionnement, notre cerveau ayant un don particulier pour les associations. "Si tous les jours en rentrant de l’école, on a pris l’habitude de consommer quelque chose de très sucré, on aura peut-être cette envie en rentrant du travail. De même, si chaque fois qu’on allume la télévision, on donne à un enfant une boisson sucrée, il aura sans doute envie de boire sucré une fois qu’il regardera la télévision à l’âge adulte." Bien sûr, ces associations peuvent être détricotées, à force de régularité et de patience. "C’est comme une rééducation, comme des exercices de kiné, résume Véronique Maindiaux. Le principe de l’addiction, c’est qu’il faut un sevrage, tout en faisant en parallèle un travail sur la perception du sucré et du goût sucré. Que ce ne soit pas le sucre qui apporte une sensation de bien-être, mais que le plaisir prenne le dessus. Le chocolat, par exemple, n’apporte pas simplement du plaisir parce qu’il est sucré, mais parce qu’il a de nombreuses saveurs. On peut apprendre à les reconnaître, travailler sur la pleine conscience, etc." Avec, si besoin, l’accompagnement d’un professionnel.

Les aliments "crapuleux"

Selon Véronique Maindiaux, plus que du sucre, ce sont de certains aliments conçus par l'industrie pour entraîner l’addiction dont il faut se méfier. "On se pose par exemple la question du succès du Nutella et des produits Ferrero en général ! Il y a un truc dans ces produits-là qui fait que certaines personnes ne peuvent pas s’arrêter et vont manger le pot à la cuillère. Et ici, ce n’est pas seulement le sucre qui est en cause. Ainsi, on ne voit pas ce phénomène avec les autres pâtes à tartiner. Il y a probablement quelque chose qui se joue par rapport à ce qu’on appelle la palatabilité et qui fait que quand un aliment est à la température de la bouche, on a une explosion des arômes, de la texture, etc." Une caractéristique qu’on retrouve dans ces aliments qu’on peut manger sans faim, mais avec, dans la tête, une série de représentations mentales : la famille, l’enfance, l’insouciance, la sécurité... Palatabilité + publicité = danger ? Réfléchir à sa consommation de sucres et de produits transformés est en tout cas bien moins innocent qu’il n’y paraît.