Bien être

Le yoga, d'est en ouest

3 min.

Chiens tête en bas, chandelles, salutations au soleil… Ils sont 300 millions à se contorsionner sur leur tapis à travers le monde. Le yoga se pratique aussi bien dans les salles de sport, pour raffermir sa silhouette, dans les entreprises, pour améliorer le bien-être au travail, dans les écoles, pour favoriser la concentration des élèves… " Mais dans le fond, quand on fait du yoga, on ne sait pas très bien ce que l’on fait ", observe Marie Kock. Est-ce une gymnastique douce ? Une pratique spirituelle ? Un style de vie ? Dans une enquête passionnante qui emmène le lecteur de Rishikesh à Los Angeles, la journaliste et professeure de yoga retrace les origines de cette discipline telle que nous la pratiquons aujourd’hui.

Ce yoga mondialisé, conçu comme des enchainements précis de postures et d’exercices de respiration aptes à renforcer le corps comme l’esprit, n’a pas toujours existé sous cette forme. Dans l’Inde ancienne, le yoga est une philosophie religieuse parmi d’autres. Il s’exerce assis, exige une grande rigueur et s’apprend auprès d’un gourou auquel on se dévoue à vie. On y cultive l’esprit plus que le corps.

Au XIXe siècle, cette discipline ascétique est en train de péricliter dans son pays d’origine. Pour préserver leur culture, des maîtres décident alors de l’exporter… vers les États-Unis. " Les Indiens sentent bien que pour faire revivre cet enseignement chez eux, ils doivent faire en sorte qu’ils soient validés par l’Occident, et plus particulièrement par le pays capable de rendre n’importe quoi populaire ", décrit Marie Kock.

Le rêve américain

Les premiers gourous débarquent outre-Atlantique au début du XXe siècle. Ils enseignent un yoga non dogmatique. Les pratiquants peuvent l’adopter tout en gardant leur religion d’origine. " Il y a quelque chose de touchant dans cette conquête. Cette génération de yogis, c’était celle des aventuriers, prêts à tout quitter pour faire vivre leur culture et s’installer dans un pays où il y avait aussi beaucoup de racisme." En 1924, une loi sur l’immigration limite les entrées sur le territoire. Les Américains se mettent alors à partir en Inde pour se former à l’enseignement du yoga, qu’ils ramènent dans leurs bagages un peu plus expurgé encore de ses connotations religieuses.

Quand les restrictions sur l’immigration sont levées, dans les années 50, une nouvelle génération de yogis indiens s’installe sur la Côte ouest. Leurs cours séduisent les stars californiennes. Ainsi que les hippies, auxquels le yoga propose une alternative à la consommation de drogues et des méthodes de lutte contre les addictions. C’est à cette époque aussi que la discipline commence à se présenter comme une forme de médecine alternative apportant une dimension thérapeutique absente des textes anciens.

Le yoga du corps

L’accent mis sur les postures en série est également un apport du XXe siècle, analyse Marie Kock, se référant notamment aux travaux du chercheur Marc Singelton (1). Dans les années 30, le succès de l’aérobic s’étend de la Scandinavie jusqu’en Inde, où même les militaires s’y adonnent. Les yogis ne sont pas insensibles à cet air du temps. Même s’ils n’assument pas tous cet héritage de la musculation de la même manière, on retrouve chez eux une même volonté de pousser les limites du corps pour le sublimer. " Influencé par la culture physique, le devoir presque patriotique de renforcer et magnifier les corps des Indiens, et la demande de l’Occident, le yoga dans sa forme moderne se présente donc comme une discipline mettant l’accent sur le corps, même si c’est pour finir par le transcender."

Aujourd’hui, les corps musclés à l’extrême ont fait place à des standards plus contemporains , à des corps secs, souples et allongés. Sur internet, on assiste à l’émergence d’un "yoga Instagram" ou les pratiquants en tenue moulante se mettent en scène dans les postures les plus spectaculaires. L’évolution du yoga l’égare parfois dans des chemins éloignés des principes de détachement matériel et de renoncement à l’ego. Le yoga se décline en produits dérivés (marques de vêtements, alimentation), des concours sont organisés. Cette commercialisation est à son comble dans le yoga  Bikram, qui s’érige en véritable marque déposée... " Dans les textes anciens, les yogas sutras, le yoga pouvait conférer des supers pouvoirs dont il fallait apprendre à se méfier. Peut-être, certains sont-ils toujours aveuglés par cette tentation aujourd’hui ", plaisante Marie Kock.

La quête de l’authentique

Si le yoga mondialisé n’est plus la pieuse discipline qu’elle était dans l’Inde ancienne, cela n’empêchera pas l’auteur du livre de retourner sur son tapis avec toujours, sinon plus, de plaisir. " Il y a une forme de bataille intellectuelle dans le monde du yoga pour savoir qui est le plus authentique. Le yoga Vinyasa est décrié par les pratiquants de l’Ashtanga, qui eux-mêmes sont décriés par les Iyengar. Le Kundalini, très à la mode, se présente comme plus ancien, plus spirituel, plus secret. Mais tous ces yogas sont des yogas mondialisés comme les autres. Au départ mon objectif était de découvrir ce qu’était le yoga le plus authentique. Mais au final, découvrir que le yoga est une discipline hybride, pensée pour les Occidentaux et adaptée à de multiples reprises m’incite à la pratiquer avec d’autant plus de souplesse.” 

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Pour en savoir plus ...

Yoga, une histoire-monde. De Bikram aux Beatles, du LSD à la quête de soi : le récit d'une conquête, Marie Kock, Éd. La Découverte, mars 2019, 256 pages, 21 euros