Santé mentale

“Ma vie libérée du tabac”

5 min.
© Jimmy Kets
© Jimmy Kets
Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

La cigarette, c’était vraiment le truc auquel je ne pensais pas renoncer! Pour moi, c’était tout simplement impensable, témoigne Sara, 37 ans, fumeuse pendant 20 ans à raison de 30 cigarettes par jour. Je fumais dès que je me réveillais, avant même de déjeuner. Et mon compagnon, pareil!” Tous deux ont décidé d’arrêter quand Sara est tombée enceinte. “Je suis déjà maman d’un grand ado. Je n’étais pas parvenue à arrêter pendant ma première grossesse. Et mon fils a eu pas mal de problèmes de santé à la naissance”.

Une motivation en béton et un accompagnement approprié ont permis à Sara de se débarrasser de la cigarette. Si elle a arrêté pour son bébé, elle découvre qu’elle aussi se sent mieux: fini la toux du matin, les bronchites à répétition et… l’odeur de tabac froid

Puis, il rechute. Deux ans ont passé. Philippe a repris des forces et s’est décidé : la cigarette, il veut vraiment arrêter. Il reprend son projet là où il l’avait laissé et recontacte Tabacstop. “C’est Régine qui me coache encore aujourd’hui. Elle m’a expliqué que je serais en partie remboursé de mes achats de patchs. Pour moi, c’était fondamental sinon je n’aurais pas pu arrêter. Je n’avais pas les moyens d’avancer l’argent.

Sara : "Je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour que notre loulou soit en bonne santé." - © Jimmy Kets

Des témoignages sans fards

Sara et Philippe sont deux des dix anciens fumeurs qui témoignent dans un ouvrage publié par la Fondation contre le cancer à l’occasion des dix ans de son service gratuit d’aide à l’arrêt tabagique. Chaque récit de vie, recueilli par la journaliste Françoise Raes, est accompagné d’un commentaire sur ce qui se joue dans l’arrêt tabagique. Les portraits en noir et blanc des témoins, photographiés par Jimmy Kets, ajoutent une touche artistique à la publication.

Ces dix témoignages sont des instantanés de vies parfois marquées par la solitude, la précarité, la maladie. Des récits poignants d’hommes et de femmes de tous âges, dans lesquels se retrouveront sans aucun doute bon nombre de fumeurs et d’ex-fumeurs. Car si chaque parcours est unique, des constantes se dégagent : la première cigarette fumée jeune, très jeune parfois, est rapidement devenue une compagne indispensable, rythmant le quotidien.

La force de la nicotine, équivalente à celle d’une drogue dure (lire ci-dessous), et la profondeur de l’assuétude au tabac expliquent le parcours d’obstacles que traversent et décrivent ceux qui, un jour, décident d’écraser définitivement leur cigarette…

Ces histoires sont aussi porteuses d’espoir et montrent toute la valeur de l’aide que peuvent apporter les tabacologues pour construire un projet de vie sans tabac. Sans aucun accompagnement, en effet, la première tentative d’arrêt n’aboutit positivement que dans 3 à 4% des cas. Les chances de succès sont trois à quatre fois plus élevées en s’assurant du soutien de professionnels.

Se faire aider

L’accompagnement par des professionnels augmente sensiblement les chances de réussite du sevrage tabagique. A chacun la formule qui lui convient le mieux.

Des conseils, un suivi en tête à tête ?

Le médecin traitant est le premier interlocuteur à qui s’adresser. Soit il accompagne lui-même le sevrage, soit il oriente vers un professionnel de la santé formé en tabacologie. Les tabacologues agréés proposent des consultations en privé ou dans les Centres d’aide aux fumeurs. Bon à savoir : l’Inami intervient dans le coût de huit consultations réparties sur maximum deux ans chez un tabacologue agréé (liste des tabacologues sur www.tabacologues.be).

Un soutien en couple ou en groupe ?

Des séances en couple ou en groupe sont généralement organisées dans les Centres d’aide aux fumeurs (CAF). Situés le plus souvent dans les hôpitaux, ces centres offrent une prise en charge – individuelle ou collective – par une équipe multidisciplinaire (liste des CAF sur www.aidesauxfumeurs.be).

Un coaching par téléphone ou en ligne ?

La ligne de Tabacstop (0800 111 00) est accessible en semaine entre 15h et 19h pour toutes les questions sur le tabac et le sevrage. Tabacstop offre gratuitement un accompagnement intensif et personnalisé par téléphone ainsi qu’une aide financière éventuelle pour les substituts nicotiniques. Un programme de coaching virtuel est aussi accessible sur www.tabacstop.be.

Philippe : "Pour moi, Tabacstop sauve des vies." - © Jimmy Kets.

La nicotine, une drogue dure

Nous avons, dans notre cerveau, un petit circuit neurologique qui s’appelle le circuit de la récompense. Il nous donne le goût du plaisir, l’envie d’aller de l’avant en faisant les choses que l’on aime. Toutes les substances addictogènes (alcool, tabac, héroïne, cocaïne… ) surstimulent ce circuit et donnent l’envier de continuer encore et toujours pour revivre les pics de plaisir.

L’addiction à la nicotine s’installe particulièrement rapidement, observe le Dr Vincent Lustygier, psychiatre, dans l’ouvrage “Ma vie libérée du tabac”. Une jeune fille de 16 ans perd ainsi tout contrôle sur sa consommation en à peine 3 mois. Pour un garçon du même âge, il faut compter environ 6 mois. A titre de comparaison, on considère qu’il faut 30 ans pour atteindre ce stade avec l’alcool. C’est là qu’on prend conscience de la puissance de cette drogue qu’est la nicotine”.

Cette découverte, inattendue pour le monde scientifique, a été confirmée par des expériences animales. Le spécialiste des assuétudes ajoute : “L’autre découverte importante, c’est la vitesse à laquelle la nicotine sensibilise le cerveau adolescent : elle est la plus rapide de toutes les drogues. Ajoutez à cela que le circuit de la récompense est encore plus sensible à l’exposition aux produits psychotropes avant la maturité du cerveau, aux environs de 20 ans. Tout nous dit que nous devrions absolument protéger nos jeunes de boire, de fumer et de prendre du cannabis au moins jusque l’âge de 20 ans”, martèle le spécialiste.

L’apport de ces découvertes est utile pour le sevrage tabagique. “Quand on arrête brutalement le tabac, le circuit de récompense se met à hurler dans notre tête pour avoir son produit! Et c’est alors l’inverse du plaisir : inconfort, irritabilité, colère…, précise le Dr Lustygier. Les médicaments dont nous disposons permettent de calmer cela. Un bon tabacologue peut doser correctement cette substitution pour obtenir un arrêt confortable. Mais cela ne fait pas encore de la personne un non-fumeur”.

Selon le psychiatre, celle-ci doit faire le deuil des pics de plaisir provoqués par la drogue et reconstruire quelque chose à la place, retrouver le plaisir naturel, toujours présent, mais éclipsé par le bonheur frelaté du tabac. “Pour vraiment arrêter, on a généralement besoin des deux et c’est tout l’art d’un bon accompagnement de sevrage tabagique”, conclut-il.

Des prix trop bas

En 2013, la Belgique comptait 27% de fumeurs réguliers (25% en Flandre, 24% en Wallonie et 31% à Bruxelles). Ils étaient 22% un an plus tôt ! Qu’est-ce qui explique cette forte augmentation? En grande partie le succès croissant du tabac à rouler. “Une cigarette roulée revient jusqu'à quatre fois moins cher qu'une cigarette ordinaire”, dénonce la Coalition nationale contre le tabac qui regroupe plusieurs organisations actives dans le secteur de la santé.

Résultat ? Ces dernières années, les fumeurs – particulièrement les jeunes et les personnes précarisées – se sont le plus souvent tournés vers le tabac à rouler. “Pourtant, même s'il est bien moins réglementé que les cigarettes manufacturées, le tabac à rouler est aussi dangereux pour la santé”, observe la Coalition.

A l’occasion de la journée mondiale sans tabac du 31 mai, la Coalition enjoint la classe politique d’engager le futur gouvernement fédéral sur la voie de mesures fortes. Elle demande notamment de doubler le prix du tabac à rouler et d’augmenter de 50% le prix des cigarettes au cours de la prochaine législature.

Une augmentation sensible des accises spécifiques sur les cigarettes et le tabac à rouler est la mesure la plus efficace pour réduire la consommation de tabac et décourager les jeunes de commencer à fumer. Cette proposition est d’ailleurs soutenue par l'Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale. À New York, où les prix du tabac sont très élevés, le pourcentage de jeunes fumeurs a diminué de 20 à 12% entre 2003 et 2011”.

La Coalition recommande aussi qu'une partie des recettes liées à l'augmentation des accises soit consacrée à une aide gratuite au sevrage pour les fumeurs les plus vulnérables car ceux-ci fument plus, commencent plus tôt, sont fortement dépendants et éprouvent plus de difficultés à arrêter de fumer. Enfin, elle réclame la présence obligatoire d’avertissements sanitaires et de la mention “Tabacstop” sur les emballages du tabac à rouler.

Pour en savoir plus ...

>> Arrêts sur image - Ma vie libérée du tabac, Fondation contre le cancer, 2004, 32p.
L'ouvrage est également téléchargeable sur www.tabacstop.be  - Info : 02 736 99 99.