Bien être

Des réseaux pas si sociaux ?

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Comme un doudou, on l'emmène partout et on n'apprécie pas que quelqu'un d'autre le touche. Il nous rassure. En quelques années, il est devenu l'objet indispensable, sans lequel on se sent complètement démuni. Et de fait, le smartphone est un véritable outil, sorte de couteau suisse technologique. Mais c'est aussi parfois un moyen de ne pas parler aux autres, de ne pas penser, de fuir une émotion difficile…

Il est temps de se reconnecter sans filtre, sans avatar, à nos émotions, nos désirs, notre créativité.

En France, l'Institut d'éducation médicale et de prévention (IEMP) a estimé que le principal risque lié à un usage excessif des écrans est la désocialisation, un facteur "qui contribue à augmenter les risques dépressifs, et peut compromettre une carrière ou des études." La psychologue Sabrina Philippe constate de plus en plus de phobies sociales parmi ses patients. Les plus jeunes, en particulier, se sentent davantage en sécurité face à leur écran que dans l'espace public.

Un monde à part

Le monde virtuel constitue une source de distractions illimitée : flux constant de publications, notifications personnelles, publicités… Il est addictif, et conçu pour l'être, dénonce la psychologue : qu'on pense seulement aux "fils d'actu" déroulables à l'infini…

Il est aussi marqué par l'immédiateté. Sabrina Philippe invite à réaliser un simple exercice : la prochaine fois que vous vous apprêtez à publier quelque chose sur les réseaux sociaux, ou à réagir à une publication… attendez. Retenez-vous un moment de commenter ou de "liker". Il est probable que votre avis, après quelques minutes déjà, diffère, voire que vous renonciez à l'exprimer… "Parce que lorsque vous n'êtes plus dans l'impulsivité, l'enfant en vous, cette partie régressive si sollicitée par le Net, se calme, laissant à votre partie adulte la possibilité de se manifester", explique la psychologue.

Plus nous passons de temps dans le virtuel, plus il nous devient difficile de nous réacclimater au réel.

Addiction, régression, évitement… Les troubles psychologiques augmentent, observe Sabrina Philippe, or ils masquent ou compensent un problème dans le développement de la personnalité : estime de soi défaillante, sentiment d'insécurité, souffrance non résolue.

Une personnalité faussée

Sur les réseaux sociaux, nous avons naturellement tendance à montrer notre profil le plus avantageux, une image de nous qui correspond davantage à un idéal qu'à la réalité. En quête de reconnaissance sociale, nous mentons aux autres, et à nous-mêmes.

C'est également ce que nous voyons des autres, sur Internet : un reflet amélioré et trompeur qui, lorsqu'on le mesure à l'aune de son propre vécu, a de quoi démoraliser. Se comparer à notre entourage est un réflexe normal, qui nous permet d'évaluer nos choix, nos situations. Mais dans la vie réelle, analyse Sabrina Philippe, "d'une part nous avons des répits, des moments où nous ne sommes pas en lien avec les autres, et d'autre part nous évoluons la plupart du temps dans un cercle qui nous ressemble. Ces deux points sont fondamentaux et garantissent notre confort psychologique."

La "réalité virtuelle", appellation antinomique si l'on y songe une seconde, tend à nous éloigner de nous-mêmes et entraîne l'apparition d'un "fake self" ou soi fictif. Et plus nous passons de temps dans le virtuel, plus il nous devient difficile de nous réacclimater au réel.

Se satisfaire du réel

La psychologue invite à s'interroger sur nos pratiques et celles de nos enfants et à reconnaître que nous sommes tous affectés. Si l'on constate un début d'addiction, de repli sur soi, il ne faut pas hésiter à demander conseil à un professionnel. Une thérapie pourra aider à retrouver le contact avec nos émotions, le dialogue avec nos proches et surtout… à reconstruire son estime de soi pour pouvoir redevenir “vrai”. Il est temps de se reconnecter sans filtre, sans avatar, à nos émotions, nos désirs, notre créativité.

Lionel Joly Charasse suggère de faire en sorte d'être plus satisfaits de nos vies réelles, pour éviter d'avoir tendance à s'échapper dans le virtuel. "Le mode de fonctionnement des réseaux sociaux, la connaissance qu'ont leurs concepteurs de notre système cognitif et de notre fonctionnement biochimique font qu'une simple prise de décision pour se défaire des écrans ou en faire un usage conscient, c'est-à-dire conforme à nos souhaits, est presque automatiquement voué à l'échec", met-il en garde, avant de proposer des outils et démarches très concrets pour déjouer ces pièges. On peut par exemple définir des moments dédiés aux écrans, utiliser une application pour objectiver sa consommation, désactiver certaines fonctions ou notifications, s'habituer à sortir sans son smartphone…