Bien être

Tisser du lien, c'est bon pour la santé

5 min.
© Yasmine Gateau
© Yasmine Gateau
Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Printemps 2020, en plein confinement. Daphné, douze ans, a trouvé une bobine de ficelle. Il lui vient l'idée de tendre un fil entre son balcon et celui des voisins d'en face. C'est symbolique. Elle ne songe même pas qu'un autre voisin va l'imiter, puis que ces cordes vont se parer de fanions colorés et se multiplier, de maison en maison. En quelques jours, c'est toute la rue des Échevins, à Ixelles, qui se trouve redécorée. Les habitants baptisent leur œuvre collective "Le lien social" : une façon d'affirmer qu'en dépit des mesures de distanciation, personne ne doit rester isolé, tout le monde est relié.

"Dans la vie de tous les jours, hors Covid, on ne fait pas attention au lien social. Il a fallu qu’on en soit momentanément privé pour que la chose se révèle dans toute son importance." Pour Benoit Dardenne, psychologue social, chercheur et professeur à l'ULiège, le contexte imposé par cette crise sanitaire (confinement, distanciation sociale, quarantaine...) agit comme un révélateur. "Pour montrer l'importance du lien social, la recherche scientifique procède d’ailleurs de la même manière : on va temporairement priver les gens de lien sociaux, dans un cadre expérimental, et puis observer les conséquences de cette privation. Avec le confinement, on assiste à une espèce d'expérience de psychologie sociale à l'échelle mondiale."

Des effets sur la santé

"Un individu est fait de connexions sociales, souligne Benoit Dardenne. On se définit par des groupes d'appartenance. Certains chercheurs parlent d'un 'besoin fondamental d'appartenir' (need to belong)." La recherche a pu établir que la privation de contacts sociaux a des conséquences psychologiques claires. "L'isolement ou le rejet ont des effets sur le fonctionnement du cerveau (ils entraînent une perturbation de l'activité normale de certaines zones cérébrales) et sur certaines hormones. On a même pu démontrer qu'une partie des zones activées suite au rejet social sont très proches de celles qui entrent en jeu dans la régulation de la douleur physique. À l’opposé, être intégré socialement active d'autres zones cérébrales, avec un impact sur le système de récompense-plaisir."

Les résultats sont moins évidents en ce qui concerne la santé physique, mais montrent néanmoins une influence indirecte. "Beaucoup d'études montrent un effet au niveau de la mortalité : l'isolement ne crée pas directement une surmortalité, mais facilite l'impact d'autres éléments déclenchants. Certaines populations sont plus vulnérables que d'autres, comme celles qui souffrent déjà de certaines pathologies comme la dépression. Si une personne atteinte d'une maladie chronique est, en plus, isolée socialement, le risque de mortalité augmente. La gestion de la santé est moins efficace quand on est seul, détaille Benoit Dardenne. Des études montrent qu’on gère beaucoup mieux la douleur quand on est entouré d'autres personnes, fût-ce même uniquement de leurs photographies. Il n'est donc pas nécessaire d'avoir un contact physique très proche pour ressentir les bienfaits du lien social. Face à la peine ou à des émotions négatives, la présence symbolique des autres peut aider."

Cultiver les liens de façon symbolique

En cette période particulière, les psychologues cliniciens s'accordent à dire qu'il faut cultiver le lien social, par exemple en proposant de l'aide à ses voisins. On fait ainsi coup double, car "non seulement cette personne se sentira moins seule, mais en plus vous aurez eu, vous aussi, un contact : vous serez tous les deux rassérénés et de bonne humeur", s'enthousiasme le psychologue social. 

À Ixelles, les créateurs du "Lien social" l'ont bien compris et ont poursuivi leur projet en y incluant les pensionnaires de la résidence voisine "Les heures douces". Confinés dans le jardin de la maison de repos, les plus âgés se sont mis eux aussi à confectionner des fanions colorés. Les guirlandes ont ensuite été tendues entre les balcons de la résidence et les fenêtres des voisins. 

Autre lieu, autre idée : à Gembloux, la comédienne Christelle Delbrouck s'est improvisée "crieuse publique" durant le confinement (3). Munie d'un porte-voix, elle s'est chargée de transmettre des messages d'amour de maison en maison, tout en respectant les distances de sécurité. Une initiative bien accueillie et très vite imitée par une habitante de Habay, en province de Luxembourg (4). 

"Toutes les initiatives qui tournent autour de l'entraide sont essentielles. Beaucoup existent déjà hors du contexte de l'épidémie de Covid. Je pense aux 'repair cafés', par exemple, qui sont là aussi pour créer du lien. Mais confinement oblige, ces associations ne peuvent plus tourner pour le moment", regrette Benoit Dardenne. Il faut donc faire preuve de créativité, inventer d'autres supports pour permettre au lien social de subsister. "Je connais une personne qui vient de constituer un album photo de l'année écoulée, à destination de ses proches. C'est une excellente idée. Le lien est symbolique, mais c'est une action qui montre que la connexion sociale peut prendre des formes multiples."

Des besoins variables

C'est pour les personnes âgées et les adolescents que les conséquences du manque de contacts sociaux sont les plus lourdes. "Les jeunes enfants, tant qu'ils sont avec leurs parents, disposent là des liens essentiels, rassure Benoit Dardenne. Par contre, les adolescents ont vraiment besoin de contacts sociaux avec d'autres jeunes de leur âge. En être privé peut être très douloureux pour eux. À l'inverse, les personnes âgées ont besoin de voir leurs enfants et petits-enfants, davantage que de passer du temps avec leurs pairs.

Le besoin de contacts sociaux dépend aussi de la personnalité de chacun : "Il y a des personnes qui se contentent d'avoir une ou deux personnes autour d'eux ; d'autres ont besoin d'être plus entourés. Pour certains, se voir en face-à-face est essentiel, pour d'autres, un lien à distance est suffisant."

"Le toucher ou la vision sont des sens particulièrement importants pour le contact social", souligne le psychologue social. "Quand la présence physique est limitée par le confinement, la technologie permet de pallier certains manques. Les réunions de famille ou les apéros entre copains peuvent se faire via des applications vidéo. Cela ne remplace pas le contact en face-à-face, mais cela aide de se voir et de se parler par écrans interposés. Le lien se maintient aussi via des attentions envers l’autre, comme l'illustre l'anecdote de l'album photo."

Un équilibre à trouver

Si le lien social est vital, il n'est pas moins nécessaire de se ménager aussi du temps à soi. "L'être humain a aussi besoin de s'isoler, fait remarquer Benoit Dardenne. Imaginez une famille de cinq personnes vivant dans un appartement. Lors du confinement, la grande difficulté, en particulier pour les adolescents, outre la privation de contacts avec leurs pairs, c'était l'impossibilité de s'isoler. Le bon équilibre pour un être humain, c'est d'avoir suffisamment de liens, mais aussi la possibilité de se retrouver avec lui-même."

Le besoin de connexion doit être mis en balance avec celui d'être seul, d'avoir "un quelque chose à nous", une activité dans laquelle nous pouvons nous investir pleinement, que ce soit la lecture, le jardinage, la méditation... "Le challenge est de trouver des activités qui remplissent ces deux besoins fondamentaux, mais il n'y a pas qu'une seule bonne manière d'y répondre, c'est à chacun de trouver la sienne", résume le psychologue social.


(1) “Lien Social et Arbre des Oubliés du Confinement”, André Lantremange, Youtube.com, mai 2020

(2) “Lien Social et Résidence 'Les Heures Douces'”, André Lantremange, Youtube.com, octobre 2020

(3) "Christelle Delbrouck crie des mots pour adoucir les maux", Marc Welsh, L'Avenir, 13 juillet 2020

(4) "Fabienne est devenue crieuse publique à Habay", La Meuse, 19 mai 2020

Cultiver la terre, cultiver le lien

Dans le cadre de sa série consacrée aux inégalités sociales de santé, la MC s’est intéressée à la question des liens sociaux, ainsi qu’aux initiatives qui permettent de les cultiver.

Travailler la terre, l'ensemencer, prendre soin d'une parcelle potagère, récolter ses propres fruits, légumes et herbes aromatiques... Une activité de plein air qui permet autant de se retrouver soi-même que de rencontrer ses voisins. Les potagers communautaires et autres composts de quartier ont le mérite d'allier le geste écologique à la cohésion sociale.

Ces initiatives permettent aussi de réduire les inégalités en rassemblant autour d'un projet commun des personnes d'âges, de cultures et de compétences diverses, dans un rapport de complémentarité. Reportage en images sur mc.be/notre-sante.