Bien être

Un accueil, une aide et des soins accessibles à tous

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© Philippe Turpin - Belpress
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Mal-être, dépression, anxiété, dépendance à l'alcool, problèmes familiaux, phobies, traumatismes, burn-out, troubles psychiques graves... les raisons de pousser la porte d'un service de santé mentale (SSM) sont multiples et diverses. Pour les enfants et les adolescents, peuvent s'ajouter à cette liste non exhaustive des difficultés d'apprentissage, des problèmes scolaires, des conflits avec les parents...

"Les SSM sont à même de recevoir toute demande d'ordre psychique, psychologique ou psychiatrique", confirme Marie Lambert, du Centre de référence en santé mentale (Crésam). La santé mentale concerne en effet tout le monde, y compris mais pas uniquement les patients psychiatriques chroniques et aigus.

Reconnus et subventionnés comme services publics généralistes, ceux que l'on nom mait aussi centres de guidance ou centres de santé mentale sont accessibles à tous. Si la plupart des personnes sont orientées par un professionnel, une institution ou un proche, elles peuvent aussi prendre elles-mêmes l'initiative de la démarche. L'application de tarifs modérés garantit cette accessibilité et permet, dans les faits, à des patients de bénéficier de soins auxquels ils ne pourraient accéder en privé, pour des raisons financières(1).

"Les SSM sont fort sollicités et la plupart sont au bord de la saturation. Mais toutes les demandes sont examinées en vue de proposer une réponse la plus adéquate dans un délai le plus court possible, explique Marie Lambert. Parfois, la personne sera réorientée vers un service plus approprié ou vers une structure ou un thérapeute de confiance. Par contre, le travail reposant sur une équipe pluridisciplinaire, le SSM est particulièrement bien outillé pour répondre à des problématiques complexes".

Des consultations mais pas seulement

"Une grande partie des adultes qui nous contactent viennent avec une demande de soutien ou d'accompagnement dans la durée 'pour aller mieux', observe le Dr Gillain, psychiatre au SSM Entre mots à Ottignies. Certains nomment expressément le mot 'thérapie'."

Les consultations psychologiques et médicales représentent certainement la réponse la plus adéquate apportée à de telles demandes. La plus fréquente aussi. Mais le champ d'interventions des SSM est bien plus vaste. Il va du conseil et de l'orientation aux activités de groupe en passant par des examens et diagnostics, des entretiens avec l’entourage, un accompagnement psychosocial, des thérapies familiales ou de couple, un traitement médicamenteux...

Pour les enfants en âge (pré)scolaire, les rééducations - essentiellement la logopédie et la psychomotricité - font partie des prises en charge les plus fréquentes aux côtés des demandes de soutien et de conseils. Quant aux adolescents, les thérapies constituent la principale réponse aux plaintes psychiques qu'ils formulent.

Des initiatives spécifiques

Ancré dans un territoire déterminé, le SSM est bien placé pour connaître le contexte social et culturel de sa patientèle. Il peut ainsi avoir une vision globale des problèmes rencontrés et réaliser un travail de prise en charge et de prévention en partenariat avec de nombreux intervenants de terrain. Il s'appuie sur un réseau très vaste dans lequel on retrouve, par exemple, les structures psychiatriques, les médecins, les services sociaux, les institutions pour personnes handicapées, les structures judiciaires..., sans oublier les proches des patients. Lors qu'il s'agit d'enfants ou d'adolescents, d'autres acteurs peuvent être étroitement impliqués : pédiatres, PMS, écoles, ONE, Aide à la jeunesse...

Pour coller au plus près des besoins et des demandes de leur patientèle, de nombreux SSM ont mis en place des projets qui visent une population spécifique ou soutiennent une approche méthodologique particulière. Ces initiatives concernent par exemple les problématiques d’assuétudes, la guidance et le traitement d’auteurs d’infractions à caractère sexuel, le soutien à la parentalité, la mise en réseau autour des personnes âgées, les situations d’exil…

D'autres SSM ont créé des clubs thérapeutiques pour permettre à des usagers souffrant de troubles psychiatriques ou psychologiques sévères ou chroniques, de se stabiliser au fil du temps et d’accéder aux soins dans un cadre pluridisciplinaire.

Pour les usagers, ces lieux d'accueil et d'activités représentent tout à la fois un lieu d'ancrage qui maintient le lien social, un espace d'expressions sans jugement et un havre de paix, comme s'en est fait l'écho Rolland Massart, au nom des usagers du club André Baillon à Liège, lors du colloque organisé récemment par le Crésam(2). Le club, c'est une zone protégée mais ouverte sur l'extérieur, disait-il encore, insistant sur le fait que le SSM, tout en jouant un rôle aussi vital que l'hôpital, représente sans aucun doute pour beaucoup d'usagers l'ultime rempart avant la rue…

Les SSM occupent effectivement une place privilégiée et incontournable dans une offre de soins intégrée. Une place qui ne fera que croître, à l’heure des réformes des soins en santé mentale qui privilégient les soins dans le milieu de vie, tant pour les adultes que pour les enfants et les adolescents. À l'heure aussi du transfert de compétences qui amène vers les Régions nombre d’acteurs de la santé et du social.


Les sentinelles de la santé mentale

Créés au début des années 70 comme alternatives à l'hospitalisation psychiatrique, les services de santé mentale fêtent cette année leur 40e anniversaire. Ils sont les témoins privilégiés de la déstructuration sociale et de l'évolution de la conception de la santé mentale.

La reconnaissance officielle des centres de santé mentale par l'État belge en tant que "services publics, ouverts, accessibles à tous et implantés dans les lieux de vie de la population" date de 1975. Depuis la réforme de l'État en 1980, ces services relèvent de la compétence des Communautés. Aujourd’hui, en Wallonie, 65 services agréés accueillent le public dans 90 lieux différents. En Région bruxelloise, 22 services sont agréés par la Cocof (Commissions communautaire francophone).

"En 40 ans, les SSM ont acquis une maturité qui leur vient de la rencontre quotidienne avec le mal-être, la souffrance psychique, la folie et la précarisation psycho-sociale, analyse la Fédération des services de santé mentale bruxellois francophones(1). Ils ont dû confronter leurs pratiques aux crises économiques successives qui entraînent des conséquences sociales graves : chômage, précarité matérielle, nouvelle pauvreté, discrimination raciale, augmentation de la violence, perte de repères symboliques traditionnels et érosion de la confiance dans les valeurs habituelles. Des années 90 à nos jours, ce mouvement n'a cessé de s'accélérer et de s'amplifier".

Les SSM reçoivent de plus en plus de demandes pour des problèmes où le facteur "santé mentale" est principalement la conséquence de la précarité des conditions de vie, poursuit la Fédé ration. Selon elle, traiter le problème uniquement sous cet angle revient alors à mettre un emplâtre sur une jambe de bois.

"Ce dont a besoin une personne qui vient de perdre son logement ou son emploi n'est pas nécessairement un antidépresseur ou une psychothérapie. Dès lors, les réponses qui ne prennent en compte que le seul aspect psychologique ou social dans ces situations sont inopérantes. Nous avons à construire des réponses collectives qui ne laissent pas la compréhension du mal-être, des symptômes et des soins à apporter du seul côté de la santé mentale ou du seul côté social. L'enjeu est de réussir l'articulation des regards et des actions à mener", affirme encore la Fédération bruxelloise.

Plus fondamentalement, n'y a-t-il pas lieu d'interroger la conception même de la santé mentale, ses représentations et sa prise en charge, dans un paysage en mutation ? C'est en tout cas l'avis de nombreux observateurs et acteurs de terrain.

"Troubles obsessionnels compulsifs, stress, hyperactivité, burn-out, phobie scolaire, dépendance aux nouvelles technologies… On trouve aujourd'hui de nouvelles plantes dans le jardin où se cultivent les troubles mentaux, faisait remarquer Marie-Françoise Meurisse, médecin et philosophe, lors du récent colloque déjà cité. Les services de santé mentale sont confrontés à de nouvelles demandes qui sont révélatrices de ce qu'on considère, dans notre société, comme étant des comportements sains ou pathologiques, remarque-t-elle. Les troubles de l'humeur et la dépression sont aussi en augmentation dans le panel des troubles psychiques. On parle même d'épidémie, de maladie du siècle pour la dépression. Faut-il rappeler qu'on la retrouve davantage dans les pays à haut niveau de vie, qu'elle est plus prégnante dans les sociétés individualistes qui mettent l'accent sur la réussite, la responsabilité individuelle, le matérialisme, et qui imposent des diktats sur le bonheur ?"

Pour la coordinatrice de la plateforme en santé mentale de la province du Luxembourg, il importe donc de rappeler que la frontière entre "le sain" et "le pathologique" est mouvante et évolue au cours du temps, comme en attestent nos affirmations pas si lointaines sur l'homosexualité. "Les SSM sont ainsi les témoins privilégiés de l'évolution de la santé mentale dont les problématiques sont de plus en plus complexes dans notre société occidentale", conclut Marie-Françoise Meurisse.