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Adieu, "cher" logis...

2 min.
© Centre Vidéo de Bruxelles
© Centre Vidéo de Bruxelles
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Attendre, attendre, toujours attendre… Les locataires de la "tour" Brunfaut, à Molenbeek (Bruxelles), patientent depuis des années pour qu'on leur aménage des conditions de vie un peu plus conformes à la dignité humaine. Sans cafards dans les cuisines, sans taches d'humidité aux plafonds, sans ordures au pied de l'immeuble… Mais avec des ascenseurs qui fonctionnent, des lumières dans les cages d'escalier et une isolation thermique et acoustique un tant soit peu efficace. Certains d'entre eux, comme Stéphanie, ont emménagé dans cet immeuble de logements sociaux il y a plus de cinquante ans !

Et attendent toujours… D'autres "anciens" se souviennent avoir vu - au choix - un frigo passer par la fenêtre et se fracasser au sol, des cafards ramper dans un lit d'enfant, un lit à deux places crever le plancher et chuter un étage plus bas. On en passe et des meilleures…

Résultat d'une politique du logement social conçue – déjà ! – à budgets restreints, tout cela a transformé, pendant un demi-siècle, cette tour de métal des années soixante, déclarée novatrice au moment de son édification, en catalogue des horreurs. Début des années 2000, les locataires se rebiffent. Soutenus par La Rue, une association d'éducation permanente impliquée dans les luttes urbaines, ils parviennent petit à petit à construire une parole collective qui n'aboutira que dix ans plus tard à une promesse de rénovation. Pas n'importe laquelle. En… 2017 ou 2018, le "65 Rue Brunfaut" deviendra passif sur le plan énergétique.

Autrefois four ou frigo au gré des saisons, le bâtiment devrait réduire ses factures de chauffage de 90%, selon l'architecte. Certains logements seront munis de 4 à 5 chambres, ce qui permettra aux familles nombreuses de mieux se déployer. Aux 16 niveaux existants, on rajoutera cinq nouveaux étages avec – enfin ! – des cloisons étanches "pour vivre chez soi et non dans la chambre du voisin". À chaque étage, on installera des "jardins d'hiver" (sic).

Deux mondes distincts

Tout le monde est content, alors ? Non, et c'est l'objet de ce petit film qui donne la parole aux locataires, appelés à vivre ailleurs pendant… deux à trois ans, le temps nécessaire à cette rénovation massive. But du documentaire : faire sentir l'absence de concertation autour du projet. Architectes, autorités, société immobilière ont, certes, mis les petits plats dans les grands pour le chantier de remise à neuf. Mais ils ont réécrit la vie de demain avec leur propre lecture du monde, eux qui n'occuperont pas les lieux. Le comité d'accompagnement a été créé bien tard et n'a pu être associé correctement au dossier.

Entre la temporalité des procédures administratives et celle de la vie quotidienne en logement social, le gouffre n'a pu être comblé. "La participation, c'est bien plus que la diffusion d'informations aux locataires, explique-t-on à La Rue.L'annonce officielle de la rénovation, en 2011, n'a en rien amoindri le sentiment de la plupart des locataires de n'être pas ou pas suffisamment entendus dans leur vécu et leurs difficultés".

Les enfants malmenés

Habitué à interroger le rapport des habitants à leur ville via ses Ateliers urbains, le Centre Vidéo de Bruxelles a filmé la mobilisation de ces locataires et les dernières semaines passées au 65, avant qu'ils ne déménagent vers un hypothétique "ailleurs" transitoire, jugé peu rassurant. En toile de fond, les témoignages ne cessent d'évoquer le sort des enfants, malmenés par cette vie faite d'insalubrité, d'insécurité et, surtout, d'imprévisibilité. Car les délais ne cessent de s'allonger. Et le spectateur de se souvenir, à l'instar des concepteurs de ce documentaire sans voix off, que 44.000 ménages sont en attente d'un logement social en Région bruxelloise.

Tous ceux qui en occupent déjà un ne connaissent évidemment pas le même sort que ceux de Brunfaut. Mais tous, d'une façon ou d'une autre, méritent une considération qui ne soit ni tardive, ni de façade.

Pour en savoir plus ...

Ça ira mieux demain, documentaire de 20 minutes réalisé par les locataires du 65, rue Brunfaut, à Molenbeek, sera disponible en avril (DVD) au Centre Vidéo de Bruxelles • 02/221.10.67 • www.cvb-videp.be. D'autres ateliers urbains caméra au poing ont été consacrés à Flagey, au Quartier Nord, à celui des Goujons (Anderlecht), etc.