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Autismes non verbaux : ils ont à dire !

5 min.
Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

"De votre point de vue, le monde de l'autisme doit ressembler à un endroit profondément mystérieux. Mon plus grand espoir, en écrivant ce livre, est de pouvoir expliquer à ma manière ce qu'il se passe dans ma tête." Ce sont les mots d'introduction de Naoki Higashida dans son livre Sais-tu pourquoi je saute ? Il est diagnostiqué comme porteur du trouble du spectre de l'autisme à cinq ans. Il ne s'exprime que très peu oralement. Lors qu'il écrit ce livre en 2005, âgé de 13 ans seulement, il répond à 58 questions sur l'autisme en utilisant un clavier spécial sur lequel il formule ses pensées, lui permettant de sortir de son isolement communicationnel. "Avec le clavier, je peux former les mots en pointant simplement les lettres… Ça me permet aussi de fixer mes mots et d’empêcher qu’ils s’enfuient dès que j’essaye de les prononcer." Il explique également le calvaire d'une conversation : "Pour m’exprimer c’est comme si, chaque jour, à chaque instant, je devais parler une langue étrangère. Je n’arrive jamais à exprimer ce que je veux dire vraiment. C’est le contraire : des mots étranges, complètement incongrus, se mettent à fuser de ma bouche."

Dans un article de 2015, le psychanalyste et psychiatre français, Hervé Bentata, se montre très touché par le témoignage de Naoki (1) : "L'enfermement des autistes n’ayant pas accès à la parole est particulièrement sévère et peut nous laisser douter de l’existence d’une pensée, d’un langage constitué arrimé à une affectivité. […] La nosographie (description et classification méthodique des maladies NDLR) pousse à classer les autistes mutiques du côté des autismes avec déficit intellectuel, tant il est difficile de pouvoir mesurer leurs performances aux tests. […] Or, le témoignage de Naoki va complètement à l’encontre de cela. La question que pose ce livre est la fonction de l’écrit par rapport à l’oral, c’est-à-dire la possibilité d’une pensée construite sans paroles proférées."

L'ASBL Participate! confirme ces propos par des chiffres (2 : "Pendant longtemps, on a considéré que 70 à 80% des personnes présentant un trouble du spectre de l'autisme présentaient également un retard mental ou des limites intellectuelles. Des études récentes indiquent que la proportion des personnes ayant une déficience intellectuelle est de l’ordre de 45 à 50 %. Dans certaines recher ches, on fait même état d'une majorité de person nes avec une intelligence normale ou pres que."

Du livre au film

Après avoir lu un chapitre du livre Sais-tu pourquoi je saute ?, le romancier britannique David Mitchell, lui-même papa d'un garçon autiste, a une révélation : "C'est comme si notre fils nous parlait", confie-t-il à un journaliste de l'AFP en 2015. La traduction anglaise qu'il réalise avec son épouse, Keiko Yoshida rencontre un tel succès que le livre est finalement édité dans plus de 30 langues.

L'idée de réaliser un film nait chez des parents également touchés par le livre du jeune japonais. Leur fils, Joss, communique de manière très limitée. Stevie Lee et Jeremy Dear coproduisent le film et travaillent avec le cinéaste Jerry Rothwell.

David Mitchell intervient à plusieurs reprises dans le film : "Naoki a fait une carte de son esprit. Il détaille, par exemple, toutes les étapes nécessaire pour lui permettre de comprendre qu'il pleut. Cela ne vous viendrait jamais à l'esprit si vous êtes neurotypique (ayant un fonctionnement neurologique considéré dans la norme NDLR). Il relie les sons et les souvenirs anciens avec le mot 'pluie' pour interpréter ce qu'il se passe."

Le jeune garçon japonais est à la plageNaoki ne souhaitait pas apparaitre dans le film, ni en faire un film biographique. Cela a obligé le réalisateur à être créatif et à imaginer le texte de Naoki comme un fil rouge tissé entre les portraits de cinq jeunes porteurs de ce handicap. Des passages du livre sont lu en voix off et l'auteur est représenté pas un jeune autiste non verbal anglo-japonais, Jim Fujiwara.

"Ce documentaire ne peut pas prétendre parler au nom de toutes les personnes autistes, insiste Jerry Rothwell, mais il peut nous faire réfléchir d'une manière différente sur ce que nous voyons. Au lieu de mélanger leurs histoires, j'ai consacré à chaque personne une partie du film pour que nous puissions mieux les connaitre." Afin d'amener le spectateur à mieux comprendre les sensations ressenties par une personne autiste, il utilise une caméra immersive avec des plans très rapprochés. Pour donner à la musique et aux sons toute l'importance qu'ils méritent, le réalisateur a fait appel à l'artiste anglais Nick Ryan, lui-même synesthète (il associe des couleurs à des sons).

Une mosaïque

"Les protagonistes du film représentent une constellation de visions différentes d'une expérience de l'autisme, déclare le cinéaste, mais ils ont des compétences et des défis extrêmement différents, les mêmes que n'importe quel autre groupe d'êtres humains."

Dans la ville de Noida, en Inde, Amrit dessine ce qu'elle veut manger, les étudiants autour d'elle, les paysages… Son style naïf met en valeur, avec de nombreux détails, son quotidien. Sa maman reconnait qu'elle a essayé d'empêcher Amrit d'être elle-même. "Elle a ses obsessions. C'était socialement gênant. Quand j'ai lu le livre de Naoki, j'ai réalisé que je devais la laisser faire."

Le jeune anglais, Joss, communique en prononçant certaines phrases de manière limitée. Le réalisateur a souhaité utiliser des vidéos de l'enfance de Joss, en miroir de ce qu'il vit aujourd'hui. Cette partie illustre la mémoire autistique dont parle Naoki : "Les souvenirs des gens (neurotypiques) sont disposés en continu, comme une ligne. Ma mémoire ressemble plus à un ensemble de points, les souvenirs sont tous éparpillés et jamais connectés dans le bon ordre."

En Virginie (États-Unis), Ben et Emma sont amis depuis l'enfance et suivent un enseignement à domicile. Pour communiquer, ils utilisent des panneaux de lettres alphabétiques. Ils aspirent à plus de reconnaissance et d'inclusion envers les personnes neuro-atypiques. "Je pense que nous pouvons changer la conversation sur l'autisme en faisant partie de la con versation", déclare Ben à travers le tableau de lettres.

Jestina s'amuse dans les vaguesLe film se termine en Sierra Leone, où Jestina et ses parents sont confrontés à la superstition et l'incompréhension face à ce handicap alors qu'ils travaillent à l'ouverture de la première école spécialisée du pays.

Pour Naoki, découvrir l'autisme dans différents contextes internationaux lui a donné le sentiment d'appartenir, pour la première fois, à une communauté mondiale. Le cinéaste espère que son message fera bouger les lignes : "J'aimerais que l'on considère moins l'autisme comme un handicap cognitif et plus comme un handicap de communication et agir en conséquence."

(1) Bentata Hervé, Écrits techniques sur l’autisme et littérature. À propos de Sais-tu pourquoi je saute ? de Naoki Higashida, Cahiers de PréAut, vol. 12, no. 1, 2015, pp. 251-258

Une multiplicité de formes d’autismes

Les limitations au niveau de la communication sociale et les comportements stéréotypés, répétitifs ainsi que les intérêts particuliers forment le noyau de l’autisme. Ceci peut se manifester de différentes façons et avec une intensité variable. Ce qui signifie que les personnes avec autisme peuvent être très différentes les unes des autres. C’est pourquoi les termes "trouble (au singulier) du spectre de l’autisme" sont désormais utilisés au lieu de 'troubles envahissants du développement', pour rendre compte des diverses formes que peut prendre ce trouble.

Ce n'est pas parce que les aptitudes sociales et la communication sont perturbées qu'elles sont absentes. C'est la qualité du contact social qui est touchée et, parallèlement, la qualité de la communication.

Le trouble du spectre de l’autisme est un trouble du développement qui influence l’adaptation de la personne à son environnement. Ce n'est pas une maladie mentale. Le cerveau peut avoir subi des altérations au niveau du langage, de la motricité, de la perception, des émotions, des interactions sociales… Les manifestations du trouble peuvent varier aussi bien de nature que d’intensité au cours du développement ainsi qu’à l’âge adulte.

La Canadienne Carly Fleischmann a été diagnostiquée autiste non verbale à 2 ans. Elle est devenue célèbre sur la toile car elle a été la première à animer un talkshow où elle interviewe, par clavier interposé, des célébrités. "L'autisme m'a enfermé dans un corps que je ne peux pas contrôler," déclare-t-elle.

En Belgique, la reconnaissance de l'autisme comme un handicap spécifique a été officialisée en 1994 par la Communauté flamande et seulement en 2004 par la Communauté française.
Les causes exactes de l'autisme restent mystérieuses, les études mettant en exergue des facteurs à la fois génétiques et environnementaux.

Pour l'ensemble du spectre de l’autisme, plusieurs études, indépendantes les unes des autres, font état de 60 à 70 cas sur 10.000, soit 1 personne sur environ 150. Pour la Belgique, cela voudrait dire qu'il y a environ 80.000 personnes présentant un trouble du spectre de l'autisme et que chaque année, environ 850 nouveaux cas seraient détectés. La proportion filles/garçons est de 3 à 4 garçons pour 1 fille.

Plus d'infos 

participate-autisme.be 

inforautisme.be

infosante.be/guides/autisme 

autismeurope.org 

autisme-en-action.be

Pour en savoir plus ...

Le livre : Sais-tu pourquoi je saute ? • Naoki Higashida • Daniel Roche (traduction) • Poche • 2017 • 192 p. • 7 EUR

Le film : The reason I jump (titre original) • thereasonijumpfilm.com • réalisé par Jerry Rothwell • sortie en salle le 7 avril