Arts

L'humour vert de Frédéric Jomaux

5 min.
Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Frédéric Jomaux est le résultat d'une hybridation surprenante : après des études d'ingénieur horticole et un début de carrière passé à promouvoir une gestion écologique des espaces verts communaux, il est rattrapé par son goût pour la scène. Un rêve d'enfance, confie le comédien avec une lueur espiègle dans le regard : "Ce sont les humoristes, qu'on regardait beaucoup en famille, qui m'ont donné envie de me plonger dans cet univers. En particulier les sketches d'Albert Dupontel, dont je suis un grand fan." Vers ses 25 ans, à Mons où il vit alors, il découvre l'improvisation, qui devient une passion : "L'impro est une forme théâtrale qui me plaît beaucoup, parce qu'il y a toute cette liberté dans le texte, dans le personnage ; ça change tout le temps." Et il ne s'arrête pas là. Arrivé à Bruxelles, l'apprenti comédien commence à fréquenter l'Espace Catastrophe où il suit de nombreux cours. Mime, clown, tous les arts du spectacle l'intéressent.

Joindre deux passions

L'idée de marier son métier à son goût pour la scène vient d'un constat qu'il partage avec sa collègue Virginie Hess. Tous deux ont l'impression de prêcher pour un public convaincu. Comment atteindre une audience moins avertie ? "Virginie avait un passé de comédienne, moi j'étais en train de me former à l'improvisation théâtrale. Nous avions envie tous les deux d'aborder la sensibilisation à l'environnement autrement. Non seulement toucher plus de personnes, mais aussi changer de ton, car souvent, les informations que nous amenions lors de colloques étaient assez négatives et anxiogènes. L'idée nous est venue de monter un spectacle." Ainsi naîtra l'ASBL Écoscénique, avec la création de Graines de voyous, un stand-up traitant du problème des pesticides.
À mi-chemin entre la conférence et le spectacle, cette première production tient aussi un peu du tour d'équilibriste. "Notre volonté était de proposer quelque chose d'humoristique, de léger, mais de fournir en même temps du contenu, de faire comprendre au public que les problèmes environnementaux sont réels et qu'il est possible de changer certaines choses à notre niveau. Le plus important, c'est de ne juger personne, de ne pas donner de leçons. Nous-mêmes, nous avons besoin de faire progresser certaines de nos habitudes et de nos croyances", reconnaît Frédéric Jomaux. L'humour et l'autodérision permettent de faire avancer la réflexion sans pointer du doigt.

Tout en délicatesse

Faire rire aide aussi à dédramatiser ou à briser les tabous. Avec son spectacle Six pieds sous l'herbe, Frédéric Jomaux tente de sensibiliser à la végétalisation des cimetières (1). "Beaucoup de gens ont du mal à accepter la présence de plantes sauvages dans un cimetière. Cela leur donne l'impression que la commune ne l'entretient plus, qu'on ne respecte pas nos morts", commente-t-il. Sur scène, il aide le public à mieux comprendre cette démarche en l'abordant sous un angle humoristique : "Si aux enterrements, il y avait des chants d'oiseaux, ça adoucirait peut-être un peu la peine des gens. Mais pour ça, il faut se débarrasser du gravier. À cause du bruit ! Vous avez déjà essayé d'écouter des chants d'oiseaux en marchant sur des graviers ? C'est comme écouter de la musique classique en mangeant des biscottes." (2)
"La première fois que j'ai joué ce spectacle, j'espérais ne heurter personne parce que la mort reste encore un tabou, se souvient le comédien. Il fallait trouver le bon équilibre, ne pas aller trop loin, mais quand même susciter la réflexion et faire sourire." Pari apparemment réussi : "Des personnes m'ont confié qu'elles avaient commencé à voir les choses autrement, notamment par rapport à l'humusation des corps (voir encadré). Le sujet est délicat, mais une fois qu'on en parle, en réalité les langues se délient. Je crois que ce spectacle a donné lieu aux plus beaux débats que j'ai pu avoir, parce que les gens y livraient des anecdotes très personnelles."sur scène

Être didactique aussi

"J'ai orienté mes spectacles de telle façon qu'ils constituent un outil pour aider les pouvoirs publics à informer et sensibiliser le citoyen", explique Frédéric Jomaux. L'artiste peut s'appuyer sur une solide expérience professionnelle : pendant vingt ans, il a travaillé à cela, notamment au Pôle wallon de Gestion Différenciée − entretemps rebaptisé Adalia 2.0 (adalia.be).
Les sujets s'imposent souvent d'eux-mêmes, à travers l'actualité ou via des contacts avec des associations. La pollution lumineuse, thème du spectacle La lumière broie du noir, a été proposé par une structure de sensibilisation à l'environnement. L'artiste est rapidement fasciné par ce sujet qu'il connaissait peu. "Cette problématique commence seulement à être prise en compte en Belgique. En France, il y a déjà des lieux labellisés 'Villes et villages étoilés', où les lumières sont éteintes durant la nuit, détaille Frédéric Jomaux. L'impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité est énorme : destruction des insectes, perturbation dans la reproduction de certains animaux… Ça touche aussi au problème de la visibilité du ciel étoilé, des troubles du sommeil."
Enthousiaste, le comédien a cependant appris à modérer ses élans, pour ne pas manquer son objectif. "Dans une première phase d'écriture, on se rend compte que le spectacle va être imbuvable si on veut parler de tout. Un travail de vulgarisation est à réaliser, tout en évitant de faire des raccourcis. On essaie de proposer des spectacles pas trop longs (moins d'une heure), pour laisser le temps au débat."
Savants dosages entre humour, poésie et didactique, les créations de Frédéric Jomaux font mouche, en joignant l'utile – pour ne pas dire le nécessaire – à l'agréable.


(1) Fruit d'une décision européenne, la (re)végétalisation des cimetières, débutée en 2015, visait à atteindre dès 2019 l'objectif zéro pesticides. Plus d'infos sur ecowal.be. Lire aussi "Prendre soin des cimetières" par Catherine Daloze, En Marche, 15 octobre 2015.
(2) Extrait du spectacle "Six pieds sous l'herbe".

L'humusation : revenir à la terre

L'humusation est une pratique funéraire écologique, alternative à l'inhumation et à l'incinération, qui consiste à déposer le corps dans un compost, recouvert d'une couche de broyats. Au bout de 12 mois, les micro-organismes de surface auront transformé la dépouille en un humus riche et fertile, tout à fait sain.
Véritable "retour à la nature", l'humusation se pratique sur un terrain dédié, sécurisé et selon un processus contrôlé. En Belgique, elle n'est pas encore autorisée, mais l'idée fait son chemin. La coopérative Humusation, à travers notamment la mise en place du premier "Centre Pilote pour l’Humusation", œuvre à sensibiliser le public et les élus locaux pour que cette pratique soit intégrée dans la législation.

>> Plus d'infos : humusation.org

Le débat, pour ouvrir des possibles

Écoscénique, ce ne sont pas que des spectacles. Pour alimenter le débat et sensibiliser un maximum de personnes aux questions écologiques, les deux complices ont su diversifier leur approche. En parallèle des créations théâtrales de Frédéric Jomaux, Virginie Hess a construit le projet L'écran des possibles, en collaboration avec Point Culture et avec le soutien de la Région wallonne.

L'objectif est de proposer une série de documentaires sur la transition écologique suivant des thématiques bien précises (agriculture, mobilité, énergie, etc.), avec une particularité : sélectionner ceux qui ne se contentent pas de dénoncer les problèmes, mais apportent aussi des solutions. "Et si cela se passe près de chez nous, c'est encore mieux, parce qu'il est plus facile alors pour le spectateur de transposer ces solutions sur son territoire", ajoute Frédéric Jomaux. L'écran des possibles promeut notamment le film Aujourd'hui, réalisé par Paul De Meersman, qui met à l'honneur des initiatives communales et citoyennes réalisées en Gaume et du côté d'Arlon.
Comme les spectacles, la projection est suivie d'un échange avec le public. "Nous ne sommes pas des spécialistes, nous ne maîtrisons pas forcément toutes les thématiques, précise Frédéric Jomaux. L'idée, c'est d'entamer le débat, parfois avec la présence d'agriculteurs locaux, de spécialistes qui renforcent la discussion, et éventuellement d'approfondir certaines questions, par exemple en termes de législation par rapport aux pesticides dans le cas du spectacle Graines de voyous." Cela ramène aux réalités locales et donne de la visibilité aux actions réalisées par les communes ou par des citoyens, preuves qu'il est possible d'agir, de s'impliquer.
Les ciné-débats sont proposés gratuitement (ils sont subventionnés par la Région wallonne). C'est un concept clé sur porte, qui s'adresse aux pouvoirs publics, associations et collectifs en tout genre. Actuellement, une quarantaine de films sont proposés. Le catalogue est renouvelé en fonction des demandes et des nouveautés.

>> Plus d'infos sur ecrandespossibles.be

Pour en savoir plus ...

À la suite de la crise sanitaire, les activités de l'ASBL Écoscénique ont été mises en pause. "Nous étions dubitatifs par rapport aux ciné-débats par vidéo-conférence. Quant aux spectacles, comme ils sont très interactifs, je me voyais mal les faire en ligne, soupire l'humoriste. Personnellement, j'ai besoin du contact avec le public."
Plusieurs projets avaient démarré avant l'arrivée du Covid et n'attendent que les retrouvailles avec le public : Les dénaturés de la biodiversité, spectacle en duo soutenu par Be Planet et Elia, ou encore Des Zabeilles et moi, un projet de Céline Verlant autour des insectes pollinisateurs.

>> Les prochaines dates seront communiquées sur ecoscenique.be.