Arts

Le théâtre, une école de la vie

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©AFP_BELGAIMAGE
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Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

"Quand on chasse on mange, quand on mange on grandit, quand on grandit on quitte le nid pour faire des petits et c’est reparti." Ces paroles, c’est Alba, une petite chouette, qui les prononce. Alba ne veut pas manger car elle ne veut pas grandir. Elle est l’héroïne de Poids plume, un spectacle accessible dès l’âge de 7 ans. Perrine Ledent, l’auteure de la pièce, souhaitait aborder le thème de l’anorexie à travers le monde des rapaces. "Un rapace ne vole que s’il y a urgence, comme par exemple trouver de la nourriture ou éviter un danger. J’ai vu là un bel univers pour aborder la peur de grandir et les troubles de l’alimentation."

Ne pas édulcorer

Comment s’exprimer sur de telles préoccupations quand on s’adresse à un public qui fait ses premiers pas dans la vie ? Ariane Buhbinder a créé la compagnie Anneau théâtre. Elle a notamment donné vie à Monsieur Toubli, un spectacle qui parle des troubles de la mémoire chez les personnes âgées. Selon elle, le théâtre jeune public ne doit pas se censurer. Elle a la conviction que les enfants n’ont pas envie qu’on leur cache des choses. "À trop protéger les enfants, on finit par ne plus oser leur parler de la vie. Je fais souvent appel à mes souvenirs d’enfance et j'essaie de faire des liens entre mon propre enfant intérieur et l’enfant d’aujourd’hui. Les enfants sont clairvoyants et ont plus de vécu qu’on ne l'imagine."

Lorsqu’elle a décidé d’aborder le thème de l’anorexie, Perrine Ledent ne s’est pas demandée s’il s’agissait là d’une thématique trop sensible : "Les enfants sont moins conventionnels, moins retenus que les adultes. Quand ils posent des questions après la représentation, souvent ils ont déjà la réponse. On leur renvoie alors leurs interrogations ; on ne leur donne pas d’explications. Poids plume propose une fin ouverte. Les enfants doivent comprendre qu’il n’est pas aisé de guérir de l’anorexie".

Ariane Buhbinder ajoute : "C’est important de parler des préoccupations contemporaines des enfants. Mais il faut être conscient de l’impact des images ; elles sont plus fortes que les mots et peuvent marquer plus longtemps la mémoire d’un enfant. Là est notre responsabilité".

Sarah Colasse, directrice du Centre dramatique de Wallonie pour l’enfance et la jeunesse, souligne l’importance des bancs d’essais. Ils sont très souvent pratiqués par les compagnies de théâtre jeune public. "Ce processus est actif depuis une dizaine d’années. Les artistes prennent un temps pour expérimenter le travail en cours avec les enfants. Ils peuvent réajuster des choses en fonction des perceptions. Ils rencontrent aussi les adultes qui les accompagnent. Cela permet de ne pas jeter en pâture des créations. Les bancs d’essai sont aussi intéressants pour déterminer l’âge d’accès au spectacle."

Entre théâtre et pédagogie

Si les spectacles peuvent être soumis à l’avis des enfants et des enseignants, il n’est toutefois pas question de les instrumentaliser. De nombreux enfants vont au théâtre uniquement dans un contexte scolaire. Les compagnies sont conscientes que leurs œuvres, lorsqu’elles abordent des sujets délicats, sont matière à interrogation. Elles prévoient, entre autres, des carnets d’accompagnement pour les exploiter et inviter l’enfant à s’exprimer sur ce qu’il a compris et ressenti. Si une collaboration avec les enseignants est intéressante, les démarches artistiques et pédagogiques doivent rester différentes. "Le danger, c’est le formatage, prévient Sarah Colasse. On n’y est heureusement pas du tout pour le moment. Il faut maintenir la pluralité des sujets et des formes." "Avec l’approche artistique, on vise un écho émotionnel, esthétique, de l’ordre de la réflexion, enchaîne Ariane Buhbinder. Il ne s’agit pas de l’acquisition d’un savoir quantifiable. C’est davantage une initiation, un point de vue sur la vie ; ça fait partie de l’apprentissage avec un grand A."

Du théâtre pour aller mieux

Être ému, rêver, éveiller l’esprit… Peut-on parler de visée thérapeutique ? La réponse des trois professionnelles du théâtre jeune public est unanimement négative. Certes, l’art peut avoir un effet cathartique, mais ce n’est pas un but pour un artiste, qui n’est ni psychologue ni assistant social. "On fait de l’art pour l’art et il y a d’office plein de choses qui en découlent, dit Sarah Colasse. Bernard Grosjean, formateur en théâtre-éducation, parle des bénéfices collatéraux. Par exemple, apprendre à vivre ensemble, à partager, à aller mieux, à prendre sa place… Il ne faut pas venir au théâtre pour guérir, non ! Le théâtre emmène ailleurs les enfants qui en ont besoin. Il peut agir comme miroir. On est autorisé à y déposer les émotions qu’on a vécues. La distance permet de mettre les choses hors de soi."

La culture est essentielle ; elle structure à tout âge. Grandir, c’est être capable de se projeter dans le symbolique, c’est prendre de la distance par rapport à ce que l’on vit. Comme le dit joliment Ariane Buhbinder : "Emmener dans des univers oniriques et développer les imaginations, c’est important, cela peut entraîner des petits miracles. Ouvrir des fenêtres à l’intérieur des jeunes spectateurs, être plus sensible à soi-même, oui, cela peut parfois être thérapeutique".

Pour en savoir plus ...

• Centre dramatique de Wallonie pour l’enfance et la jeunesse : 064/66.57.07 • www.cwej.be
• Poids plume : 0493/20.17.98 • www.alula.be
• Monsieur Toubli : 0474/90.86.51 • www.anneautheatre.be