"NinaLisa" : un sort jeté sur la vie
À travers un dialogue puissant entre la chanteuse Nina Simone et sa fille Lisa, le drame musical "NinaLisa" explore la vie troublée de l’artiste.
2 min.
Expositions
Il y a des expositions qui ne laissent pas indifférent. Mélange intrigant d’art brut, d’art moderne et contemporain, d’archives médicales et d’extraits de films, Danser brut en fait partie.
À l’âge de 15 ans, Jane Avril, alors patiente du docteur Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, découvre son talent pour la danse. Quelques années plus tard, devenue star du Moulin Rouge, elle révolutionne le monde du cabaret par sa gestuelle particulière, caractérisée par des mouvements saccadés et des torsions du corps contre nature… Gestes qu’elle a observés lors de son séjour à l’hôpital. Les affiches et dessins produits par Henri de Toulouse-Lautrec représentant la danseuse ont créé la notoriété du peintre et du modèle.
L’exposition belge qui explore le mouvement sous toutes ses formes est présentée simultanément dans deux institutions : au Bozar à Bruxelles et au Musée Dr Guislain à Gand. Cinq mêmes thèmes sont abordés, seules certaines œuvres ne sont présentes qu’à un endroit. Les lieux, par contre, apportent une ambiance différente à l’exposition. Temple de l’art, le Palais des Beaux-Arts permet de découvrir l’exposition dans de grands espaces aérés. Plus cosy, le musée sur la psychiatrie Dr Guislain (voir encadré) l’accompagne d’une ambiance sonore parfois troublante.
La ronde folle des farandoles et des manèges, intimement liés aux souvenirs d’enfance, ouvre en douceur la thématique. La fête foraine représentée sur une broderie de Jacques Trovic ou sur les dessins de Helmut Nimczewski invite à découvrir le mouvement dans ces moments de fête. Un fabuleux manège construit grâce à des matériaux de récupération et des moteurs bricolés est présenté dans un film sur l’artiste français Pierre Avezard, surnommé Petit Pierre. Autodidacte et infirme, il a laissé à sa mort une œuvre remarquable d’art brut. L’art outsider ou l’art brut (voir encadré) est particulièrement mis en avant dans cette exposition tant l’histoire de cet art est liée aux artistes marginalisés et à la psychiatrie.
Helmut Nimczewski, Coliseum, 1988, LaM,Villeneuve-d’Ascq
En évoquant la transe et la possession, l’exposition plonge le visiteur au cœur de phénomènes qui remontent parfois au Moyen-Âge. En 1374, une "épidémie de danse" traverse le Bas-Rhin, puis les Flandres pour arriver en France. La tarentelle, danse rituelle thérapeutique est pratiquée dans le sud de l’Italie dès le 14e siècle. Dans le film Paracelsus, de Georg Wilhelm Pabst, tourné en 1943, le danseur expressionniste, Harald Kreutzberg, entraîne les spectateurs hypnotisés. Ces pas et ces gestes rappellent la chorégraphie de Michael Jackson dans son clip Thriller. Les marathons de danse pratiqués aux États-Unis dans les années 30 incitaient des couples, souvent très pauvres, à danser pendant des heures, voire des jours, pour espérer gagner un prix ou tout simplement recevoir quelques repas.
De l’hystérie vers le cinéma
À la fin du 19e siècle, les mouvements et les postures prêtés à l’hystérie sont utilisés par les danseuses de cabaret et par les acteurs du cinéma muet. Les tics nerveux de Charlot reproduisent des gestes attribués à la folie. Les artistes plasticiens utilisent également des thèmes liés à la fragilité du corps. La sculpture de Grace Schwindt "Midnight Blue Dance" évoque une image typique de l’hystérie : l’arc de cercle. La partie "de Charcot à Charlot" montre que les manifestations de l’hystérie trouvent de nouvelles significations et mises en scène. Des dessins de Jean-Martin Charcot, neurologue français à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris au 19e siècle, et de son assistant Paul Richer sont également exposés. Ceux-ci ont permis d’inventorier les symptômes de la maladie.
Le docteur Dirk De Wachter, psychiatre à la KU Leuven, a consulté les archives et la bibliothèque de Jean-Martin Charcot. "J’ai ainsi observé que les comportements étranges de ces patients enfermés dans la maladie se retrouvaient dans l’art de nos chorégraphes les plus talentueux. La danse moderne semble être parvenue à faire le lien entre la déviance et la normalité, entre le malade marginalisé et l’artiste encensé de toutes parts, entre la souffrance invisible dont on ne parle pas et l’esthétique de l’art de la danse sous le feu des projecteurs", se félicite le psychiatre qui milite "pour que l’individu vulnérable ait une place à part entière dans une société inclusive."
La partie "Forêt de gestes" met ensuite en lumière des gestes dansés qui se retrouvent dans la vie quotidienne. Et ce sont les crayons ou les pinceaux qui font office de corps dansants dans la dernière partie de l’exposition. Ces instruments sont utilisés pour canaliser l’énergie mentale et physique.
Des liens inattendus, parfois surprenants, sont réalisés entre des images médicales d’archives, des œuvres d’art, des films, des objets… Danser brut exprime la poésie du mouvement et questionne le visiteur sur la frontière entre normalité et anormalité.
L’exposition rappelle aussi que l’art joue un rôle important dans le bien-être psychique et mental des individus.
Le docteur Joseph Guislain (1797-1860) avait des idées très progressistes et a mis un point d’honneur à traiter de manière digne, humaine et thérapeutique l’ensemble de ses patients. En 1986, le musée sur l’histoire de la psychiatrie ouvre ses portes au public afin de faciliter l’accès aux connaissances et aux informations en matière de soins de santé mentale en général et de la psychiatrie en particulier. L’actuel conservateur du musée ainsi que le directeur général du centre psychiatrique Dr Guislain ont compris l’importance de conserver le bâtiment, l’ancien hospice, ainsi que les objets de l’époque. Ce lieu permet de mieux comprendre les troubles psychiques, psychologiques et psychiatriques grâce à une collection d’objets présentée dans une exposition permanente et à différentes expositions temporaires.
Par analogie avec le champagne brut (sans addition de sucre et, pour certains, le meilleur), Jean Dubuffet invente le terme "art brut" en 1945. "Cette dénomination désignait sa propre collection, précise Tatiana Veress, directrice du Art et marges musée à Bruxelles. C’était presqu’une sorte de label. Il refusait qu’on utilise ce terme pour désigner d’autres œuvres du même type. Différentes dénominations sont alors utilisées : art outsider, art hors les normes, art différencié. Mais le terme "art brut" est le plus connu du grand public."
Il n’est pas si simple de définir l’art brut. "Il y a plusieurs spécificités qui le caractérisent, poursuit Tatiana Veress. Les artistes sont autodidactes, inventifs et créatifs. Ils vont trouver d’autres façons de créer. Par exemple, nous avons dans notre collection, un cordonnier qui a commencé à dessiner sur la semelle des chaussures des clients. Certains proviennent de milieux marginalisés : personnes sans-abris, incarcérées, souffrant d’un handicap mental, d’une maladie psychique… Mais ce n’est pas toujours le cas. Par contre, leur création est marginalisée dans leur façon d’aborder la création." Ces artistes sortent du circuit culturel classique et créent d’abord pour eux-mêmes sans chercher forcément à montrer leurs œuvres.
L’Art et marges musée à Bruxelles fête ses 10 ans "mais cela fait 35 ans que l’association existe, qu’elle a commencé sa collection et qu’elle défend les artistes marginalisés, précise la directrice du musée. Au départ, il n’y avait pas du tout de reconnaissance de ces artistes. Il était important de conserver leurs œuvres, de les valoriser et de faire évoluer le regard du monde sur ces œuvres." Le but de l’asbl Art en Marge (dont est issu le musée) est de jouer l’interface entre les artistes et les lieux d’exposition. "Nous jouons un rôle de découvreur mais aussi d’intermédiaire. Parfois, certains pensent qu’on va leur voler toutes leurs œuvres, d’autres n’ont pas la compréhension de ce que cela veut dire exposer… Nous les accompagnons et nous les aidons à faire un pas dans le monde de l’art."
Art et marges musée, rue Haute 314, 1000 Bruxelles · 02/533.94.90 · artetmarges.be · ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h · 4 EUR (réductions possibles) · réservation souhaitée
Embrasez-vous : exposition temporaire pour les 10 ans du musée · jusqu'au 25 avril
Danser brut jusqu’au dimanche 10 janvier
Bozar, Palais des Beaux-Arts, rue Ravenstein 23 à 1000 Bruxelles · du mardi au dimanche de 10h à 18h · 12 EUR (réductions possibles) · 02/507.82.00 · bozar.be
Museum Dr Guislain, Jozef Guislainstraat 43 à 9000 Gand · du mardi au vendredi de 9h à 17h et les samedis et dimanches de 13h à 17h · 10 EUR (réductions possibles) · 09/398.69.50 · museumdrguislain.be/fr
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