Expositions

La grève des femmes de la FN, 50 ans après…

3 min.
© Carhop
© Carhop
Info CSC

Info CSC

On les appelait les femmes-machines. "Elles étaient deux cents qui travaillaient dans des halls immenses sous de hautes verrières. La chaleur pouvait monter jusque 50°, 60° quelquefois. Elles travaillaient les bras dans une huile extrêmement toxique, avec des projections dangereuses. Pour se protéger, elles devaient mettre de lourds tabliers qui rendaient la chaleur plus pénible encore. Pour avoir un peu de fraîcheur, elles mettaient de l’eau dans leurs sabots. Des courroies pendaient du plafond et provoquaient régulièrement des accidents de travail".

Ce récit ne date pas du 19e siècle. Ce que raconte Jean-Marc Namotte, fils d’un régleur de la FN et aujourd'hui secrétaire fédéral de la CSC Liège-Huy-Waremme, ce sont ses souvenirs de gamin, dans les années 60, lorsqu'il rejoignait son papa dans l’entreprise.

Après trois mois de lutte, les ouvrières ont obtenu la moitié de l'augmentation de salaires qu'elles réclamaient. Mais elles ont aussi gagné de la reconnaissance et du respect.

"Nous n’étions rien"

Pour ce travail de forçat, les ouvrières touchaient un salaire de misère. Qualifiés de spécialistes, les hommes, eux, recevaient un salaire bien plus élevé. Même les gamins-machines entrés à l’usine à quatorze ans touchaient rapidement plus que les femmes. "Nous n’étions considérées ni dans notre travail ni à l’extérieur", se souvient Jenny Magnée, représentante emblématique du conflit à la CSC.

En 1962, un accord conclu dans le secteur des fabrications métalliques stipulait que, pour fin 1965, les salaires des femmes devraient atteindre 85% de ceux des hommes. Mais au terme de cette échéance, alors que rien n'avait changé, les patrons ont voulu renégocier l'accord. Une attitude qui mit le feu aux poudres. Les ouvrières de la FN arrêtèrent spontanément le travail et tinrent leur première assemblée. La grève fut reconnue par les syndicats et un comité constitué.

Le conflit s'installa, se prolongea. L’argent manquant, la vie se fit très difficile. La FN employait des familles entières. La grève entraîna l’arrêt progressif des ateliers qui manquaient de pièces. Beaucoup de maris, de frères firent pression sur les femmes, mais elles tinrent bon. Le comité de grève, formidablement efficace et solidaire, distribuait des colis aux grévistes et gérait les multiples difficultés.

La grève était dure mais pacifique et sans aucun dégât. Les syndicats arrachèrent une hausse salariale de près de trois francs de l’heure, soit la moitié de ce que les femmes réclamaient. Mais ils pensaient que les patrons n'iraient pas plus loin…

Après trois mois de lutte, les ouvrières ont donc obtenu la moitié de l'augmentation de salaires qu'elles réclamaient. Mais elles ont aussi gagné de la reconnaissance et du respect, elles sont devenues des interlocutrices avec lesquelles il faudrait compter désormais ! Elles ont prou vé leur capacité à s’organiser, à s’intégrer dans le mouvement social, à prendre la parole dans des assemblées, à participer aux négociations…

Un tournant dans l’histoire syndicale

"Ce combat très important nous rappelle que l'action syndicale et la solidarité des travailleuses et des travailleurs peut modifier le cours des événements, affirme Béatrice Louviaux, secrétaire principale de la Centrale du métal et du textile à Liège-Verviers (CSC Metea). À l’époque, les ouvrières devaient suivre le rythme effréné des machines. Aujourd’hui, dans d’autres contextes, nous connaissons à nouveau une pression énorme sur les travailleuses et les travailleurs."

Comme le souligne celle qui peut se prévaloir d'être la première femme à diriger une province de la centrale syndicale du métal et du textile, le moteur d’une entreprise, ce sont d’abord des hommes et des femmes. L’entreprise doit donc être un "bien commun" bénéfique pour tous, ce qui passe par un renforcement du dialogue social.

Quant à la revendication "À travail égal, salaire égal", des avancées ont eu lieu en cinquante ans. Mais le combat est loin d’être gagné puisque l’écart salarial entre hommes et femmes reste une réalité dans notre pays. L’accès à la formation pose également problème.

En 1966, les femmes de la FN ont forcé l’adhésion syndicale. Elles ont réussi à rallier les hommes à leur cause, ce qui a renforcé leur combat. "'Ensemble, on est plus fort' est bien plus qu’un slogan, lance Béatrice Louviaux. Certains veulent détruire les organisations syndicales. Elles sont pourtant indispensables pour continuer le combat contre toutes les discriminations", conclut-elle.


La grève des femmes-machines s'expose

Pour commémorer l'évènement, la CSC et la FGTB de Liège-Huy-Waremme proposent, du 16 février au 26 mars, l'exposition "Femmes en colère". Réalisée par le Carhop, l'Ihoes et l'agence Cible, l'expo s'ouvre par la reconstitution d'un salon des années 60 puis d'un poste de travail de la FN où sons, chaleur et odeurs de l’atelier imprègnent le visiteur. Un parcours retrace le conflit et des vidéos livrent des témoignages d'époque. Sont évoqués quelques grands combats des femmes sur le temps de travail, les salaires, l'égalité...

Une autre exposition qui relie la grève d’hier et les luttes d’aujourd’hui aura lieu du 8 mars au 23 avril dans le hall de la CSC à Liège.