Expositions

Le Trinkhall rouvre ses portes vers des regards différents

5 min.
Un musée baigné de lumière naturelle, conçu par le bureau d’architecture Beguin-Massartverre - ©P.Schyns-Sofam
Un musée baigné de lumière naturelle, conçu par le bureau d’architecture Beguin-Massartverre - ©P.Schyns-Sofam
Stéphanie Bouton

Stéphanie Bouton

Dans le parc d’Avroy, au milieu des travaux engendrés par le chantier du tram liégeois, la nouvelle structure moderne et opaline abritant le Trinkhall museum contraste. Succédant au MADmusée (musée des arts différenciés), le Trinkhall reprend le nom historique du lieu datant de 1880. Il est l’aboutissement d’un projet qui a mis plus de dix ans à se concrétiser. Les travaux ont permis de quintupler la surface initiale du MADmusée. Aujourd’hui, il présente 600m² d’exposition sur deux étages, un espace librairie, un centre de documentation, une réserve destinée à la collection des oeuvres du Créahm et un café-restaurant (voir ci-dessous).

Une collectionde 3.000 oeuvres

Comme par le passé, le musée développe et met en valeur une très riche collection : près de 3.000 pièces produites essentiellement par des artistes du Créahm (lire ci-dessous) mais aussi par tous les ateliers qui, en Belgique ou à l’étranger, ont pour objectif de révéler et de déployer des formes d’art produites par des personnes handicapées mentales.
"Ce nouveau musée reprend souffle après des années d’exil hors les murs" indique Carl Havelange, le directeur artistique du Trinkhall museum. Il abrite la collection extraordinaire du Créahm qui s’étoffe depuis quarante ans. "Il garde en mémoire toutes ces années de création, de recherche et d’émotion partagées. Mais c’est aussi un musée d’art contemporain, c’est-à-dire qu’il adresse au présent les questions qui importent".
Preuve en est la très belle première exposition intitulée Visages/frontières qui interroge la fragilité humaine. Riche de 80 oeuvres (peintures, dessins, sculptures, photos), cette collection illustre avec une bouleversante intensité la question de l’identité. Les visages de la collection du Créahm (ceux d’Inès Andouche, d’Antonio Brizzolari, de Pascale Vincke et de beaucoup d’autres) dialoguent avec des oeuvres plus anciennes ou celles d’artistes contemporains comme ces trois magnifiques portraits (tirages argentiques) de pasteurs/guerriers réalisés par Thomas Chable en Éthiopie ou encore cet autoportrait d’Anne de Gelas.Les oeuvres exposées sont admirablement mises en valeur grâce à l’enveloppe de polycarbonate du bâtiment, qui laisse entrer une lumière douce et naturelle. Au coeur de cette salle du premier étage, une blackbox abrite des oeuvres plus précieuses tels trois autoportraits de Rembrandt ou deux lithographies de James Ensor.

Les monographiques

Les activités du Trinkhall s’organisent autour de thématiques annuelles. La prochaine aura pour thème l’animalité. Parallèlement à l’exposition permanente, un espace temporaire situé au rez-de-chaussée est dédié tous les six mois à un artiste en particulier. Pour débuter cette première saison, le musée a fait appel à Jean-Michel Wuilbeaux de l’atelier de la Pommeraie (Beloeil), une personnalité troublée et troublante, comme l’explique François Poupier, régisseur de la collection permanente. "Il peint, il dessine, mais il écrit aussi beaucoup sur ses toiles pour ne pas laisser de doutes aux visiteurs, pour qu’ils comprennent bien son travail et les émotions qu’il ressent. Au fur et à mesure de ses oeuvres, il commente davantage ses tableaux, y indique les références des couleurs utilisées, les dates de début et de fin de leur réalisation, signe de son nom et de son prénom". Des tableaux interpellants qui font appel à ses souvenirs d’enfance dans sa région minière : une oeuvre d’une exceptionnelle densité !

Deux créations majeures

En poussant la porte du musée, le regard est d’emblée attiré par un bateau pirate, oeuvre d’un des artistes phares du Créahm. Théâtre de papiers et de cartons, réalisé avec du matériel de récupération, ce galion a occupé Alain Meert pendant un an, comme le raconte François Poupier. "Au départ, on lui avait demandé ce que serait pour lui le musée idéal… Avec l’aide de Patrick Marczewski, il a construit ce bateau de près de trois mètres de long, toutes voiles dehors. Il y a intégré son travail, illustré sa famille, ses amis, les personnes qui lui sont chères au Créahm. Ce bâteau, c’est son univers et sa vie !" Un bateau qui navigue en rêvant parmi les idées, les formes et les émotions.

À l’étage, au-dessus de la salle "champignon" greffée au bâtiment principal, trône l’autre oeuvre magistrale du musée : l’impressionnante cabane de Pascal Tassini, un artiste liégeois qui fréquente les ateliers du Créahm depuis plus de vingt ans et dont l’oeuvre est désormais mondialement reconnue. Construite au sein de l’atelier où il travaille, la cabane est à la fois une de ses pièces maîtresses, mais aussi un refuge pour l’artiste qui y entrepose ses créations. Elle est composée d’innombrables morceaux de tissus colorés, entremêlés et noués les uns aux autres : un procédé qui a fait la spécificité et la renommée de l’oeuvre de Pascal Tassini.

À elles seules, ces deux oeuvres donnent envie de profiter des vacances pour emmener aussi les plus jeunes découvrir ce musée extraordinaire. Ici et là, des vidéos et des interviews témoignent du quotidien des artistes en atelier et du travail réalisé : une manière d’humaniser encore un peu plus les oeuvres qui composent le musée…

Le Trinkhall café

Avec sa large terrasse ouvrant sur le parc d’Avroy, le café-restaurant du musée reste librement accessible au public. Le Trinkhall café by madcafé est une coopérative à finalité sociale intimement liée à l’histoire, aux questionnements et aux ambitions du Créahm.

Il y a quarante ans, les ateliers du Créahm occupaient le bâtiment situé dans le parc d’Avroy. Des expositions y étaient organisées et, le Créahm souhaitant rapidement s’ouvrir au public, une cafétéria a été créée. Conçu comme un espace de rencontres et d’échanges, ce lieu de consommation et de restauration s’est rapidement avéré être un excellent outil de dialogue et de communication, très fréquenté sur le temps de midi. Les artistes des ateliers, mais aussi des artistes extérieurs, des amis, des curieux ou tout simplement les promeneurs du parc viennent y prendre un verre, tout en profitant de l’ambiance des ateliers dont les réalisations s’exposent dans la salle prévue à cet effet ou sur les murs du café. Le service est assuré par les artistes et les animateurs des ateliers, des bénévoles, mais aussi par d’autres personnes handicapées, extérieures aux ateliers.

En 1999, les responsables du Créa hm confèrent au café son autonomie, lui permettant ainsi d’assurer ses propres missions. Ce lieu dynamique et convivial prouve qu’une autre forme d’économie, de valeurs, de regards sur la personne et ses capacités, est possible. Aujourd’hui encore, une partie du personnel est porteuse d’un handicap.

 

>> Le Trinkhall café est ouvert tous les jours de 10h à 18h. 04/223.16.19 • madcafe@creahm.be • Programme détaillé des activités du café sur Facebook.

Le Créahm, novateur et engagé

Créé à Liège en 1979, le Créahm (acronyme de créativité et handicap mental) est une association dont l’objectif est de révéler et de déployer des formes d’art produites par des personnes porteuses d’un handicap mental. L’association propose à celles-ci des ateliers créatifs animés par des praticiens en arts plastiques (peinture, dessin, sculpture, gravure) et en arts vivants (théâtre, danse, cirque, musique), inscrivant ainsi son projet dans un cadre pleinement artistique, et non thérapeutique ou occupationnel.
L’objectif poursuivi par le Créahm est également sociétal puisqu’il vise une meilleure intégration de la personne handicapée dans le champ social.
Les travaux personnels et les projets originaux développés au coeur de ces ateliers se concrétisent par des expositions, des publications et des spectacles diffusés en Belgique et à l’étranger.
>> Plus d’infos sur creahm.be

Pour en savoir plus ...

Trinkhall museum, Parc d’Avroy à 4000 Liège • 04/222.32.95 • www.trinkhall.museum
Actuellement accessible sur rendez-vous du mercredi au dimanche (4 plages horaires quotidiennes, avec 15 visiteurs par plage horaire).
Réservations via le site du musée. L’ouverture complète est prévue le 11 septembre.
Tarifs : 5 EUR (adulte) • 3 EUR (+ de 65 ans et demandeur d’emploi) • gratuit pour les moins de 26 ans et chaque premier dimanche du mois.