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Partager les histoires de migrations

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© MigratieMuseumMigration
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Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

Depuis des décennies, Bruxelles présente un visage multiculturel. Plus de 180 nationalités y vivent ensemble. D'après les statistiques 2018 utilisées par le musée, ce sont les Français qui représentent le groupe d'immigrés le plus important avec plus de 60.000 ressortissants. Ensuite viennent les Roumains, les Marocains, les Italiens, les Espagnols et les Polonais. 35% de la population bruxelloise n'est pas belge. Et environ 70% des Bruxellois ne sont pas d'origine belge (sur base de la nationalité des parents ou des grands-parents).
"De nombreuses personnes ne connaissent pas l'histoire de leurs ancêtres, constate Isabel Ceballos, responsable du Migratie Museum Migration. Une des raisons - je le sais par expérience, mon père vient du Chili - est qu'il y a beaucoup de tristesse, de douleur derrière ces parcours. Ce musée donne la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent de raconter et de garder une trace." Ce projet a vu le jour grâce à l'ASBL Foyer, ancrée à Molenbeek. Fin des années 60, le Foyer était la première organisation à proposer des activités pour les enfants des travailleurs immigrés. "Pour fêter les 50 ans du Foyer, nous cherchions à mettre en valeur les histoires des personnes d'origine étrangère. Le but n'était pas de créer un musée. Mais nous avons recueilli tellement d'histoires lors des ateliers qu'il nous a semblé important de les partager…" Le musée a ouvert ses portes en octobre 2019.

35% de la population bruxelloise n'est pas belge et environ 70% des Bruxellois ne sont pas d'origine belge.

Les routes des migrants

L'exposition temporaire Une fuite sans fin, (jusqu') en Europe propose quatre séries de photos réalisées par des photographes professionnels et évoque deux (des quatre) principaux itinéraires empruntés par les réfugiés pour atteindre l'Europe.
Le 28 juillet 1951, la Convention internationale relative au statut des réfugiés est signée à Genève. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) est le "gardien" de cette Convention et de son Protocole de 1967. Ratifiée par 145 pays, le texte définit le terme "réfugié" et énonce les droits des personnes déracinées, ainsi que les obligations juridiques des États pour assurer leur protection. Le principe fondamental est le non-refoulement, selon lequel un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté sont gravement menacées. Ceci est désormais considéré comme une règle du droit international coutumier.

Septante ans plus tard, le musée de la Migration saisit l'occasion de mettre en avant l'actualité des migrations. "Les migrants arrivent en Belgique par deux routes. La petite île italienne de Lampedusa est le premier territoire européen sur la route maritime des migrants qui partent des côtes africaines, notamment libyennes et tunisiennes, détaille Johan Leman, président du musée. Ensuite, ils vont sur Ventimille, ville du territoire italien, puis sur la France via Menton et certains arrivent à Bruxelles. Les migrants venus du Moyen-Orient, notamment de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan, utilisent la route des Balkans, transitent par la Turquie voisine et remontent vers l'Autriche, l'Allemagne pour arriver notamment à Bruxelles."

Les photos de l'artiste Elio Germani

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Elio Germani, photographe de presse, vit à Bruxelles. Il a suivi des migrants sur la route des Balkans en 2015 et 2016. La série de photos intitulée Les dépossédés illustre les voyages d'hommes, de femmes et d'enfants à travers la Serbie, la Croatie, la Macédoine du Nord pour arriver en Grèce, en Hongrie, en Autriche, en Allemagne… Sur une des photos, on découvre l’image d’un garçon assis, tôt le matin, entre les tentes du camp grec d’Idomeni, à la frontière avec la Macédoine. Le lieu héberge deux tiers de mineurs. Plus loin, une famille syrienne est en discussion avec la police à Roszke, près de la frontière serbe en Hongrie.

Le photographe italien Virgilio Martini, quant à lui, a passé du temps avec des personnes préparant le passage par les montagnes en Italie pour rejoindre la France et propose une série de photos réalisées à partir de 2011 : Crossing Ventimiglia.

Intitulés Exode, les portraits de Francesco Campisi ont été réalisés en 2017 dans le centre d'accueil de Syracuse en Sicile. Un court texte retrace le parcours des migrants. Une jeune fille nigériane, orpheline, fuit l'État d'Edo en 2016 pour échapper à la violence et aux agressions sexuelles. Elle souffre encore aujourd'hui de crises de panique. Refusant un mariage forcé, une femme somalienne quitte son pays et trouve un bateau pour effectuer la traversée vers l'Italie en 2014. Elle y demande l'asile en raison de l'impossibilité de retourner dans son pays d'origine. Un homme ghanéen s'installe avec sa famille à Tripoli en Lybie pour y travailler. Lorsque la guerre civile éclate, il s'enfuit en Italie pour demander l'asile.

Une série de cinq photos de Franky Verdickt dépeint les deux derniers jours de La jungle de Calais avant que ce camp ne soit évacué par les services de l'ordre français. D'autres photos ont été réalisées près de chez nous au Parc Maximilien à Bruxelles, par Elio Germani, et à Zeebruges, par Lieven Soete et Fernand Marechal.

Les vagues d'immigration

Lorsque le visiteur monte dans les étages pour visiter les deux salles d'expositions, il est accompagné par une fresque des prénoms donnés aux nouveau-nés en 2018 à Bruxelles. "Les enfants l'adorent, s'exclame Isabel Ceballos. Elle témoigne de la diversité culturelle de Bruxelles. Dans le top 3, on retrouve Mohamed (13.397), Maria (11.001) et Jean (7.029). Suivis par Marie, Mohammed, Fatima, Michel, Anne, Ahmed, Sarah, Pierre, Nathalie, David…"

Au premier étage, le visiteur est invité à se familiariser avec les différentes vagues d'immigration. "La ligne du temps de la migration explique comment la super diversité des nationalités est arrivée à Bruxelles à l'après-guerre, développe la responsable du musée. Les migrants italiens ont commencé à travailler dans les mines. Dans les années 60, il y a eu une nouvelle vague d'immigration. Sur les chantiers de construction des tunnels de Bruxelles, on entendait parler beaucoup de langues. Un visiteur turc a reconnu le casque qu'il utilisait sur ces chantiers. À la décolonisation du Congo et du Rwanda, des étudiants sont arrivés à Bruxelles et sont à l'origine du quartier Matongé. L'histoire de l'Union européenne à partir de 1957 a également eu un impact important sur la migration. Lors de l'adhésion d'un pays, cela se reflète directement dans les chiffres. Après la chute du mur de Berlin, il y a eu plus de Polonais par exemple. Dans les dernières années, ce sont les Roumains ou les Bulgares qui sont arrivés."

Le musée est avant tout un lieu chaleureux pour partager sa propre histoire. Des vitrines, renouvelées tous les six mois, témoignent des vécus de citoyens bruxellois. Domenico Lenarduzzi, fils d'un mineur italien, est devenu directeur général de l'Union européenne au département Enseignement. Il y raconte son histoire familiale et comment il a élaboré le projet Erasmus : "Je crois sincèrement que l'échange est enrichissant. […] Cette conviction est bien sûr une conséquence de mon propre voyage, de mon histoire personnelle." Bachir a grandi ici, il est belge et marocain. Il n’oubliera jamais que son père a tout sacrifié pour donner à ses enfants une vie meilleure.

À l'extérieur, l'histoire de la migration est racontée par sept artistes contemporains. Le jardin et le rez-de-chaussée sont en accès libre pendant les heures d'ouverture du musée pour permettre aux personnes du quartier de profiter d'un lieu accueillant et d'un espace vert.

Une fenêtre ouverte sur l'espoir

L'oeuvre de l'artiste sicilien Elia Li Gioi où on voit les gilets de sauvetage rouge© S Cosentino
Imane Zinbi guide des groupes de jeunes et des primo arrivants depuis deux ans. Au deuxième étage, elle présente l'oeuvre de l'artiste sicilien Elia Li Gioi De la douleur à l’espoir : "Il a ramassé des objets trouvés sur les côtes, le reste des bateaux, les gilets de sauvetage… pour montrer qu'il y a des gens qui sont à l'aise dans leur vie et d'autres qui souffrent et qui risquent leur vie pour trouver une vie normale." La guide invite souvent les groupes à marcher au milieu de l'épave du petit bateau : "Un bateau de pêche n'est pas fait pour traverser la mer. Beaucoup de bateaux n'arrivent pas à destination."

La visite se termine sur une série de photos où les personnes racontent leur histoire avec leurs mains : Bea regrette de ne pas parler le hongrois, la langue de sa maman. La bague qu'elle a héritée lui rappelle que sa mère était très raffinée. Abdeltif et Aicha, professeurs, ont été invités par le gouvernement à donner des cours dans les écoles secondaires. Abdeltif remercie ses parents de l'avoir laissé faire ses choix. Aicha s'exprime sur l'importance de parler sa langue maternelle avec les enfants.

Pour conclure la visite, nous retiendrons ce témoignage de Magali : "La route que mes grands-parents ont prise en quittant Bergame, dans les années 40, pour donner un avenir à leurs enfants, est la même pour tous. Celle de la survie pour certains. En tant que petite-fille et fille d'immigrés italiens, j'ai beaucoup d'empathie pour tous ceux qui, aujourd'hui encore, sont sur cette route. C'est de l'espoir, d'où qu'ils viennent et où qu'ils aillent."

Migratie Museum Migration, rue des Ateliers 17 à 1080 Molenbeek • 02/609.55.61 • migratiemuseummigration.be • ouvert les mardis, mercredis et jeudis de 10h à 17h, les vendredis de 10h à 19h, les samedis et dimanches de 12h à 17h • 6 EUR pour les plus de 12 ans (réductions possibles)
Exposition Une fuite sans fin, (jusqu') en Europe : jusqu'au 29 mai