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Bibliothèques : la passion des livres... et des gens

6 min.
© Urbana ASBL
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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Une façade vitrée, décorée par les artistes Eyes-B et Parole (1), à l’image de la diversité qu’elle abrite. Ancrée au cœur de la capitale, la bibliothèque des Riches-Claires partage ses locaux avec le théâtre du même nom. On la sent un peu à l'étroit dans ces murs, qu'elle n'hésite d'ailleurs pas à franchir, lors d'animations, pour participer à la vie de quartier. Un étage est dédié à la littérature jeunesse, un autre aux adultes, avec des sections spécialisées : livres en grands caractères, ouvrages en langue étrangère, périodiques et journaux... Une pièce à part offre l'accès à des ordinateurs. Partout, les étagères sont pleines, mais méticuleusement rangées. Les bibliothécaires veillent à mettre en avant des suggestions de lecture ou les dernières acquisitions pour les lecteurs qui auraient du mal à faire leur choix parmi une telle abondance.

Cynthia Empain est bibliothécaire dirigeante de la Bibliothèque centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale. À l'occasion de l'anniversaire de ce service public, En Marche est allé à sa rencontre à la bibliothèque des Riches-Claires.

En Marche : Quand on parle de bibliothèques, on pense d'abord aux livres. Mais ce n'est pas que cela...

Cynthia Empain : Absolument ! Surtout comparé à ce qu'elles étaient il y a cent ans. On s'éloigne du concept de "temple de la culture", où le livre et le silence sont rois, pour aller vers la notion de "troisième lieu", c'est-à-dire un lieu qui n'est ni la maison, ni le travail, mais entre les deux. Les bibliothèques d'aujourd'hui sont des points de rendez-vous.

À côté des livres, on y trouve des espaces publics numériques (EPN) (2), où l'on peut faire des recherches sur Internet, rédiger des travaux ou imprimer des documents administratifs. La tendance est à la dématérialisation, et les organismes renvoient de plus en plus souvent vers Internet, mais tout le monde ne dispose pas d'un ordinateur ni d'un lecteur de carte d'identité pour se connecter personnellement de manière sécurisée. Un tel lecteur coûte entre dix et vingt euros, et puis surtout, les gens ne savent pas comment procéder, personne ne leur a expliqué la marche à suivre et ce n'est pas si évident ! Les bibliothécaires sont à leur disposition pour les aider, leur montrer comment s'y prendre, mais pas pour réaliser les choses à leur place. Ils aident aussi les usagers dans leurs recherches documentaires : comment utiliser un moteur de recherche ou un dictionnaire, comment recouper et vérifier différentes sources d'information.... On pense que les nouvelles générations savent utiliser Internet parce qu'elles sont nées avec un ordinateur dans les mains. Ce n'est pas le cas. Affiner ses recherches, interpréter les résultats de Google, identifier d'où viennent les informations récoltées, les analyser avec un regard critique, tout cela s'apprend. 

On propose aussi des livres électroniques via l’accès à des plateformes comme Lirtuel et Numilog (3). Dans certaines bibliothèques, on peut aussi emprunter des liseuses. Cela ne signe pas la fin du livre papier. C'est une autre façon de lire, qui a ses avantages. On peut y agrandir les textes si on a des difficultés de lecture. Cela facilite la vie de couple aussi, car on ne doit pas laisser la lumière allumée pour lire dans son lit, grâce au rétro-éclairage. Enfin, c'est pratique en voyage car on peut charger une grande quantité de livres pour un poids limité. 

EM : Face à ces évolutions, le métier de bibliothécaire est-il menacé ?

CE : Les bibliothèques existent depuis plus de 2.000 ans et elles existeront longtemps encore. Mais pas sous la même forme. En 1921, la loi Jules Destrée reconnaissait pour la première fois les bibliothèques publiques et en fixait la mission de base : le prêt de livres, le libre accès à l'information et à la culture pour tous, sans distinctions (4). En 1978, une adaptation de cette loi a permis d'inclure l'aspect "animation", et en 2009, un nouveau décret a ouvert les bibliothèques sur l'extérieur et le monde associatif. Aujourd'hui, la bibliothèque doit combiner des espaces d'étude et de silence avec des espaces de rencontre, des lieux où l'on peut éventuellement jouer de la musique... Il faut sortir des murs, s'ouvrir au monde, proposer davantage d'animations. On y invite des auteurs, des conférenciers, des artistes. On y organise des rencontres, des expositions, des ateliers d'écritures... Cela n'efface pas le cœur du métier, mais l'ancre dans la vie locale.

EM : Comment répondez-vous à cette mission d'accessibilité ?

CE : Outre la gratuité de nos services, on essaie d'inclure tous les âges ainsi que les personnes avec un handicap. Nous disposons d'un large catalogue de livres en grands caractères et de livres audio. Si nécessaire, on renvoie les usagers vers une bibliothèque spécialisée, telle que celles de la Ligue Braille ou d'Eqla, avec lesquelles nous avons développé un partenariat (5). La bibliothèque est aussi attentive à être accessible aux personnes à mobilité réduite (PMR) : elle est équipée d'ascenseurs et on veille à maintenir un espace suffisant entre les rayonnages. Ce n'est pas toujours possible, car il faut composer avec les locaux existants, qui datent d'une autre époque. 

Pendant la période Covid, nous avons été le seul accès à la culture resté ouvert. La bibliothèque a fermé pendant un mois au tout début du confinement, mais très vite, nous avons rebondi et veillé à maintenir l'essentiel de nos services, à travers une formule de take-away pour l'emprunt des livres, par exemple (6). Pour garder le lien avec nos lecteurs, nous avons mis sur pied des groupes Facebook, des rencontres par Zoom... Dès la réouverture, les usagers sont revenus en nombre, en nous confiant à quel point cela leur faisait du bien.

EM : Au-delà du rôle de passeur de culture, la bibliothèque publique est donc aussi tisseuse de liens.

CE : Certainement ! Il existe une cinquantaine de bibliothèques en région bruxelloise, à raison de deux ou trois par commune, en moyenne. La Ville de Bruxelles en compte pas moins d'une dizaine. Cela peut paraître beaucoup, mais chaque bibliothèque publique s'ancre dans un quartier et y joue un rôle essentiel dans la vie sociale et culturelle. Chacune adapte son offre au public local et s'associe à d'autres acteurs de proximité comme les écoles de devoir, les crèches, les maisons de quartier... 

Chaque bibliothèque a ses habitués, dont des personnes isolées pour qui elle représente parfois le seul lien social. Des personnes sans domicile fixe fréquententaussi les bibliothèques, qui peuvent, dans ce cas, jouer un rôle de relais vers les associations ou les centres d'aide, fournir des informations utiles et un accès à Internet. Elles gardent ainsi un contact avec le monde. Les groupes en alphabétisation viennent également souvent en visite. Il ne s'agit pas nécessairement de personnes analphabètes : ce sont parfois des universitaires dans leur pays d'origine qui, arrivés ici, doivent apprendre une nouvelle langue... et un nouvel alphabet. L'accès aux livres leur offre l'opportunité de raconter leur parcours ou de recréer un lien avec leurs enfants à travers des lectures partagées. 

Ces contacts avec un public varié est au cœur du métier. Pour être bibliothécaire, il faut être passionné. Il faut aimer les gens, aimer aider, être à l'écoute. C'est un métier très social, en somme, bien loin du cliché du bibliothécaire timide.


(1) Urbana-project.com/portfolio/les-riches-claires-eyes-b-parole
(2) Ou points d'accès publics à internet (PAPI) dans les structures de taille plus modeste.
(3) Lirtuel.be et numilog.com. Le second est spécifique à Bruxelles.
(4) Les frais d'inscription annuelle à une bibliothèque sont modiques voire gratuits. Ils permettent l'emprunt des livres et l'accès à tous les services proposés par la bibliothèque. Les animations sont également gratuites.
(5) Bibliotheque.braille.be ou 02/ 533.32.40 • eqla.be (section "offre culturelle") ou 02/240.79.96
(6) Lire aussi "Les bibliothèques en mode take-away", En Marche n°1662, 3 décembre 2020.

Une bibliothèque de village

Le réseau des bibliothèques publiques francophones en Belgique est constitué de plus de 400 bibliothèques, de tailles diverses. Mais il en existe d'autres encore qui ne sont pas reconnues, comme la bibliothèque de Wodecq, dans la commune d'Ellezelles en Hainaut.

"Il y a un siècle, cette bibliothèque a été créée au sein de l'école du village. Elle était tenue par des religieuses. Leur communauté a été dissolue à la fin des années 60, l'école a fermé, et les livres ont moisi pendant une vingtaine d'année, raconte Régine Cotton, responsable bénévole. Jusqu'à ce que, en 1995, un échevin me suggère de remettre la bibliothèque sur pied.

On peut encore y trouver des livres qui datent de l'époque, à laquelle se sont ajoutés de nombreux dons. Grâce au subside octroyé par l'administration communale et aux 20 centimes réclamés par livre emprunté, Régine complète le catalogue avec des nouveautés. "Je travaille à l'instinct, confie-t-elle. L'avantage, c'est que je connais tout le monde au village, et je peux deviner ce qui va plaire : les BD, les polars, les romans du terroir et la littérature canadienne, marchent très bien, par exemple." 

Pour les 2.000 habitants du village, la bibliothèque de Wodecq est une institution. Dès octobre, les classes de l’école communale y passeront chaque mois. "Je viens d'inscrire notre 726e lecteur cette semaine", se félicite Régine.

Pour en savoir plus ...

>> Plus d'infos sur les activités autour du centenaire des bibliothèques publiques : bibliotheques.be