Lectures

Changer : en rêver, le vivre, le raconter

3 min.
© AdobeStock
© AdobeStock
Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Ce sont sans doute ceux qui l'ont fait qui peuvent le mieux en parler. Ils ont démissionné, tout plaqué, changé de vie, et pris la plume pour partager leur histoire. Ce virage à 180° traduit chez plusieurs un refus de participer à un système qu'ils ne cautionnent pas ou qui manque de sens à leurs yeux, ou encore l'envie de se libérer de toute attache ou contrainte pour "vivre à 100%". Pour une part d'entre eux, cette nouvelle existence est marquée par un retour à la nature, sur fond de prise de conscience écologique ou d'appel à une vie plus saine. Pour d'autres, il s'agit de revenir à un mode de vie prémoderne : ressusciter des traditions ancestrales et des savoirs artisanaux ou contribuer à des projets communautaires alternatifs.

Au-delà de l'expérience personnelle qu'ils narrent, ces récits peuvent-ils ouvrir une réflexion plus globale, collective ?

Quelle que soit la voie choisie, ces parcours ont en commun une volonté de rompre avec le modèle de société qui s'est majoritairement imposé en Occident. "Ces crises individuelles, additionnées les unes aux autres, pointent en réalité le dysfonctionnement d'un système", fait remarquer l’historienne Sigrid Vannufel dans le dossier que l'ASBL Couples & Familles consacre aux crises existentielles. (1) Quoi que l'on pense de ces entreprises radicales, qu'on les juge utopistes ou carrément sectaires, on ne peut nier qu'elles viennent interroger nos façons de vivre et de consommer, l'organisation du travail et le régime économique actuels.

Un rêve bourgeois-bohême ?

Le cliché du jeune cadre dynamique reconverti en éleveur de chèvres dans le Vercors peut faire sourire : on ne s'improvise pas fermier sur un coup de tête quand on n'a jamais connu que la ville. Mais les témoignages de reconversions réussies sont de plus en plus nombreux (voir la liste non exhaustive de livres ci-dessous). Voyager sans argent, vivre de son art ou apprendre un tout nouveau métier relève du possible. L'envie de tout quitter n'est pas une simple fantaisie pour ceux qui l'ont fait. Elle est parfois une question de survie, de santé, d'équilibre mental, et donc un choix sensé et salutaire. "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous", déclarait Érasme dans son Éloge de la folie.

Ce virage à 180° traduit chez plusieurs un refus de participer à un système qu'ils ne cautionnent pas ou qui manque de sens à leurs yeux.

À côté de ceux qui ont sauté le pas, beaucoup en rêvent, mais se sentent empêchés par leur situation financière, leurs engagements familiaux ou d'autres freins encore. Combien sont-ils à fantasmer une reconversion radicale ? Difficile de le savoir. Louis-Marie Denis, coach certifié, estime que cette envie se fait de plus en plus commune. Mais, nuance-t-il, "il arrive qu'après avoir rêvé d'une réorientation ou d'un départ, [certains] en viennent à revoir, en fin de compte, la manière de se réinsérer dans leur contexte actuel en modifiant leur regard, leur comportement et en se situant de façon plus proactive, jusqu'à influencer positivement le milieu où ils vivent." (2)

Les éclaireurs d'un autre monde possible

À la lecture de ces témoignages, on se rend compte aussi que les aventures réussies sont souvent le fruit d'un parcours long de plusieurs années, d'une succession d'étapes et de transformations intérieures afin de parvenir à lâcher prise. Tout quitter du jour au lendemain s'avère davantage une image : derrière l'apparence d'un tournant à 180° et la vision romanesque que l'on peut en avoir, la réalité est généralement moins spectaculaire. Pour parvenir à ce résultat, la plupart ont commencé par de petits pas. Un congé sabbatique leur a par exemple offert la possibilité de mettre leur projet à l'épreuve, avant de s'y engager définitivement.

Changer de vie change-t-il le monde ? Au-delà de l'expérience personnelle qu'ils narrent, ces récits peuvent-ils ouvrir une réflexion plus globale, collective ? Par le témoignage qu'ils apportent, ils ont en tout cas le mérite d'être une source d'inspiration pour ceux qui rêvent sans oser, ou qui ne sont pas encore prêts à franchir le cap. En prouvant que des voies alternatives sont possibles, ils viennent ébranler des certitudes ou dissiper des craintes. Ces hom mes et ces femmes sont, en ce sens, les pionniers d'une société à (re)penser et (re)construire. Pas seulement sur le plan individuel, mais ensemble.


À lire :
Petite, Sarah Gysler, Éd. des Équateurs, 2018
Toucher terre, Florence Besson, Éd. Flammarion, 2019
Embrasser l'inconnu, Aurélie Delahaye, Éd. Anne Carrière, 2019
Et lentement, tout bascule, Arthur et Blandine de Lassus, Éd. L'Escargot, 2020
Matins clairs, Pedro Correa, Éd. L'Iconoclaste, 2020
Changer de vie. Comment j'ai décidé de tout plaquer pour découvrir le monde, Jérémy Chauvin, Éd. Larousse, 2021

Lire aussi :

(c) Adobe Stock

Redonner du sens au travail