Lectures

Jonathan De Cesare : croquer les émotions des soignants

5 min.
© Éditions du Basson
© Éditions du Basson
Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

Derrière un masque bucco-nasal qui met en valeur ses yeux bleus, on devine son sourire décontracté. Jonathan De Cesare pose son regard affûté sur la bibliothèque, puis sur les toits par la fenêtre... N’importe quel détail à portée de main est, pour lui, prétexte à création, explique-t-il d'une voix calme et chaleureuse qui transmet l’amour de son métier. "Parfois, les gens manquent d’inspiration en art. Il ne faut pas toujours chercher loin pour peindre. Cette tasse de café, c’est déjà un bon exercice !"

Jonathan De Cesare a commencé sa carrière en tant que reporter photographe, d’abord pour le groupe Sud Presse et pour Le Soir, ensuite comme indépendant. Originaire de Charleroi où il vit toujours, il dessine depuis l'enfance, entouré des dessins de sa maman coloriste de BD. Avoir un crayon en main, c'était son quotidien. Naturellement, il s'essaie aussi au pinceau. Après une première exposition d’art à 15 ans, il se dirige vers le reportage photographique et en fait son métier. Dix ans plus tard, il revient à ses premiers amours.

Aquarelle : un soignant est au chevet d'un homme entubé

Convaincu que les artistes ont toute leur légitimité pour traiter un sujet d'actualité tel que le Covid-19, il allie ses deux passions – le reportage photographique et le dessin – pour rendre hommage au personnel soignant. "Le côté reporter est revenu en moi. J'ai pensé tous les dessins du livre comme des photos que j’aurais prises. Je ne suis pas allé sur place car c'était interdit. Via mes contacts, j’ai eu accès à des banques d'images de photographes dont je me suis inspirées."

page de couverture du livre Intensif : deux soignants assis par terre.Le recueil d'aquarelles "Intensif" attire le regard sur les couleurs douces et bleutées des personnages assis sur le sol. "Le titre du livre convient aussi bien à la façon dont il a été créé qu'à ce qu’il représente", commente l'artiste. En trois semaines, l'idée vague de publier des aquarelles sur le travail du personnel de soins en unité Covid-19 s'est concrétisée en un livre imprimé à 1.000 exemplaires.

Ces images d'un hôpital fictif représentent tous les hôpitaux et l'investissement du personnel soignant dans cette lutte sans merci contre la maladie. Alors que nous n'applaudissons plus les soignants tous les soirs à 20h comme lors du premier confinement, peindre le travail des soignants est une autre façon de les remercier, estime Jonathan De Cesare. En témoigne le geste d'un chef de service hospitalier qui a offert une vingtaine d’exemplaires du livre à ses collègues.

Mille facettes

Éternel insatisfait, l'artiste n’hésite pas à relever de nouveaux défis, à susciter des projets. La peinture et le dessin sont deux mondes artistiques totalement différents. Pourtant, Jonathan De Cesare navigue entre les deux, plutôt à l'aise. Au départ d'un carnet de voyage, le livre "Intensif" présente des dessins colorés à l'aquarelle. Il s'inspire par ailleurs de la Renaissance pour sublimer des portraits en utilisant des pastels. Cela lui permet d'obtenir des textures presque à l'ancienne. Il affectionne également la peinture à l'huile dans ses toiles. On pourrait presque penser que ces créations sont réalisées par des personnes différentes. Pourtant, comme les deux faces d'une seule pièce, Jonathan De Cesare passe d’une technique à l’autre, au gré de ses envies.

Finalement, est-il nécessaire de catégoriser les artistes ? "Dans certaines galeries d'art, des artistes signent des contrats d'exclusivité qui les obligent à ne produire qu'un seul type d'art, le plus rentable pour les investisseurs", observe Jonathan De Cesare. Être spécialiste d'une seule technique permet d'associer, sans hésitation, un artiste à sa production. Prenons, par exemple, Alvaro Castagnet, un aquarelliste de renom. Il voyage partout dans le monde pour peindre des scènes quotidiennes de la vie moderne. Je l'admire énormément. Je pense que les artistes doivent continuer à s'émerveiller du travail des autres pour se lancer de nouveaux défis."

Se diversifier comporte aussi quelques avantages que l’artiste ne nie pas. "Il y a dix ans, je rêvais d’avoir un contrat dans une grande galerie mais aujourd’hui, je suis content de travailler avec une petite galerie qui me laisse carte blanche. Utiliser différentes techniques permet de ne pas m’ennuyer."

"Le plus important pour un artiste, quel qu'il soit, c’est de rester vivant aux yeux des gens." Cette période est d'autant plus compliquée pour le milieu artistique car la culture a quasiment disparu de notre quotidien. Positif, acharné et sensible, Jonathan De Cesare ne baisse pas les bras et ne manque pas de projets. Il n'attend pas nécessairement qu'on le complimente sur la beauté de son travail. Les différentes techniques utilisées sont surtout au service de l'émotion que l'artiste souhaite transmettre dans ses œuvres.

Portrait chinois : "Si j'étais"

Un livre : un livre de la Renaissance.

Un film : un film comique.

Un mot : émotion.

Un super pouvoir : revenir en arrière pour retrouver le monde avant le Covid-19 !

Un style de musique : le jazz manouche.

Un instrument de musique : la guitare.

 

Quelques dates-clés de la vie de l'artiste

1982 : naissance à Charleroi.

1997 : première exposition dans le hall d'entrée d'un hôpital de Charleroi.

2010 : arrêt de sa carrière de reporter-photographe, début de sa carrière d'artiste.

2012 : naissance de son fils.

Aquarelle : une femme enceinte est assise dans un couloir d'hopital. Un soignant arrive vers elle.Novembre 2020 : peinture d'aquarelles en soutien au milieu hospitalier, commande du journal français Le Figaro et réalisation du livre "Intensif".



Pour en savoir plus sur l'œuvre de Jonathan De Cesare ou contacter l'artiste : jonathandecesare.comcontact@jonathandecesare.com

Les Éditions du Basson : une grande famille

Toujours autant passionné qu'au premier jour, Etienne Vanden Dooren a créé sa petite maison d'édition à Charleroi il y a presque dix ans. Avec une dizaine de livres édités par an, les Éditions du Basson ont trouvé leur place dans le paysage belge.

"Si c'était à refaire, je n'hésiterais pas et je me lancerais à nouveau dans l'aventure", s'enthousiasme Etienne Vanden Dooren qui travaille en duo avec une collègue. Métier de l'ombre, l'éditeur est en quelque sorte un intermédiaire entre un projet d'auteur et le produit fini proposé au lecteur. Etienne Vanden Dooren accompagne les auteurs qu'il sélectionne avec soin. L'intérêt de son métier ? Publier des ouvrages intéressants, drôles, décalés mais pas seulement… "En tant qu'éditeur, nous retravaillons les productions avec les auteurs, nous leurs donnons des conseils, des pistes d'améliorations. Ce sont des moments de partage et de collaboration extrêmement importants."

En 2015, le Service général des lettres et du livre de la Fédération Wallonie-Bruxelles recensait quelque 250 maisons d'édition sur le territoire belge, dont près de la moitié à Bruxelles (1). Bien qu'elle couvre la plupart des catégories éditoriales, la production belge en français reste assez spécialisée, estime Louis Wiart, dans un article consacré aux éditeurs émergents en Belgique francophone (2). En effet, une place déterminante est occupée par la bande dessinée ainsi que par les ouvrages universitaires, scolaires et juridiques. Dans son annuaire, l'Association des éditeurs belgesliste, quant à elle, neufs éditeurs rien qu'en région carolorégienne (3). "Ce ne sont pas de concurrents mais des collègues", insiste Etienne Vanden Dooren.

La ligne éditoriale de l'équipe du Basson se concentre sur les romans, l'humour et le décalé, publiant des auteurs venus de tous horizons (belges et étrangers). L'offre comporte aussi des publications en rapport avec la région de Charleroi. Comme l'explique Louis Wiart, un tel positionnement permet à l'éditeur de se développer sur une niche locale où la concurrence des éditeurs français ne s’exerce pas, mais aussi de s’inscrire dans des logiques de partenariats et de soutiens par des opérateurs publics et culturels du territoire.

Moment important dans sa carrière, Etienne Vanden Dooren a créé avec Jean-Philippe Querton le journal satirique belge Même pas peur en 2015. Réponse aux attentats de Charlie Hebdo, cette publication, qui aurait dû être unique, a comptabilisé 26 numéros jusqu'en 2019.

Jamais à court d'idées, l'équipe du Basson a aussi lancé en 2016 le premier Festival du livre de Charleroi avec une vingtaine d'autres maisons d'éditions. Malgré le scepticisme de quelques participants, la première édition fut un succès. Et le festival se perpétue d'année en année.

(1) Chantal Lambrechts, Mission de coordination LIBREL.be et Production numérique belge francophone, rapport final, Service général des lettres et du livre – FWB, 2015.

(2) Louis Wiart, Les éditeurs émergents en Belgique francophone : enjeux de fonctionnement et de développement. Mémoires du livre / Studies in Book Culture, vol. 11, no 2, 2020.

(3) adeb.be

Pour en savoir plus ...

Livre Intensif, Jonathan De Cesare  2020 ● 47 p ● Éditions du Basson ● 25 EUR