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Le cerveau, cet inconnu

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© PHOTOALTO BELGAIMAGE
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Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Hugues Duffau est responsable du département de neurochirurgie du CHU de Montpellier et lauréat de la médaille Herbert-Olivecrona, l'équivalent du prix Nobel de neurochirurgie. Dans L'erreur de Broca, il propose de faire à nouveau connaissance avec le cerveau. Le professeur Duffau explique que le cerveau se répare seul, se remodèle, grâce à ses propres ressources. Et qu'il n'est pas divisé en régions qui correspondraient à une fonction spécifique.

Par exemple, il n'existerait pas de zone dédiée au langage, comme l'a déclaré l'anatomiste Paul Broca il y a 150 ans. La plasticité cérébrale permet au cerveau de réagir rapidement lorsqu'un problème se présente. Une fois la tumeur détectée, il se réorganise afin de fonctionner à nouveau normalement. Cela expliquerait notamment le fait que certains patients ne manifestent pas de symptômes dès l'apparition de la tumeur.

Le professeur Duffau explique que le cerveau se répare seul, se remodèle, grâce à ses propres ressources.

Un plan de navigation

Grâce à ces découvertes, Hugues Duffau écrit qu'il est possible d'opérer des patients souffrant de tumeurs cérébrales sans les endormir, et en préservant au maximum leurs capacités, notamment langagières. Cette technique d'opération sur patient éveillé, il l'a découverte en détails à Seattle, auprès du professeur George Ojemann. Il sera le premier à l'expérimenter en Europe, en 1997.

Depuis, le neurochirurgien a opéré plus de 600 tumeurs à la manière d'un cartographe de l'activité cérébrale. Il s'agit en fait d'observer les cerveaux des patients opérés afin de mieux comprendre le fonctionnement des réseaux neuronaux, leur interconnexion et leur capacité de réorganisation. L'opération est envisagée comme un véritable processus de navigation avec pour objectif d'endommager le moins possible les facultés du patient.

Opérer autrement

Comment se déroule une chirurgie cérébrale effectuée sur un patient éveillé ? Le patient est brièvement anesthésié afin de permettre une incision. Lorsqu'il se réveille, il est couché sur le flanc, face à un neuropsychologue. Un praticien qu'il aura déjà rencontré avant l'intervention afin de préparer avec lui toute une série de tests. Le chirurgien se trouve de l'autre côté du champ stérile, devant le cerveau. La tumeur est détectée via une échographie. Les tests peuvent alors débuter : mouvement du bras, reconnaissance du genre des mots, d'animaux sur la base de dessins…

Lors de chaque exercice, une sonde de stimulation électrique est utilisée afin de désactiver le réseau touché et de simuler une lésion virtuelle transitoire. Si, pendant cette désactivation, le patient ne peut plus effectuer la tâche demandée, par exemple bouger le bras, cela prouve que le réseau en question est crucial pour le mouvement.

Cette simulation répond ainsi à la question : que se passerait-il si on enlevait cette partie du cerveau envahie par la tumeur ? Les zones touchées sont identifiées à l'aide d'étiquettes. Grâce à elles, le neurochirurgien établi un périmètre autour des tissus à ponctionner en réduisant les dégâts.

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Communiquer, c'est crucial

Le patient participe activement à l'opération et contribue à sa réussite. Une part conséquente de L'erreur de Broca est consacrée à la communication. Le professeur Duffau insiste sur le fait qu'être médecin, c'est bien sûr soigner, mais c'est aussi s'adapter à la vie du patient pour en préserver sa qualité et lui permettre de concrétiser les projets qu'il porte. Le neurochirurgien insiste pour que la personne atteinte d'une tumeur soit accompagnée de ses proches lors des consultations. Il a la conviction que pour bien soigner, il faut envisager le patient dans son écosystème.

De son point de vue, il faut aussi laisser le temps au temps et être généreux en paroles : dire, répéter, utiliser d'autres mots, des métaphores, afin d'instaurer la confiance et amener le patient à prendre la pleine conscience de sa décision. Une manière, dit-il, d'établir les priorités alors que des choix douloureux risquent de se poser. Comme pour cette concertiste russe qui vit en France et parle cinq langues, mais devait renoncer à certaines de ses connaissances linguistiques. Elle a choisi de garder sa langue maternelle, ainsi que l'anglais qui lui permet de travailler, et le français, langue du pays dans lequel elle a choisi de vivre.

Pour Hugues Duffau, le cerveau est une sorte de miniaturisation parfaite de tous les possibles offerts par le monde des vivants.

S'ouvrir à d'autres théories ?

Pour Hugues Duffau, le cerveau est une sorte de miniaturisation parfaite de tous les possibles offerts par le monde des vivants. Si aujourd'hui ses recherches sont reconnues, elles ne sont pas encore largement appliquées, et Paul Broca, à travers de nombreux confrères, n'a pas dit son dernier mot.

Le professeur s'interroge sur l'impopularité de ses techniques, sans toutefois s'étendre sur les hypothèses qui nourrissent le doute. Il encourage à apprendre, à désapprendre et à faire appel à la fonction créative pour s'éloigner, parfois, du confort que peut apporter la répétition de gestes sécurisants.

L'erreur de Broca est un ouvrage remarquable par ses qualités pédagogiques qui le rendent accessible à tous. Sa principale vertu est peut-être de rappeler que le cerveau est une bien extraordinaire machine.

Pour en savoir plus ...

>> L'erreur de Broca - exploration du cerveau éveillé • Hugues Duffau • éd. Michel Laffon • 2016 • 279 p. • 20,40 EUR.