Lectures

Le livre ? Pas ringard !

6 min.
"L’ado n’est pas dérangé par des thèmes forts car il vit des choses très fortes. Par contre, l’identification reste importante"
Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Si l’exercice reste imposé à l’école et que certains jeunes gens n’iront jamais plus loin, d’autres cultivent leur goût pour la lecture et fréquentent assidument bibliothèques et librairies. Rien de bien neuf dans ce constat. Mais l’omniprésence de la communication numérique et des réseaux sociaux a-t-elle changé les habitudes de lectures ? Les adolescents sont-ils moins friands d’histoires couchées sur papier ? Pas vraiment, selon Catherine Jottrand, co-organisatrice du prix littéraire pour adolescents Farniente (1).

Elle rencontre régulièrement de "vrais grands lecteurs", ceux qui ont "une pile de bouquins sur leur table de nuit". "Si les auteurs parviennent à les captiver dès les premières pages et leur proposent des sujets qui les touchent et les divertissent, ils jouent le jeu et dévorent le roman".

Le constat est le même du côté d’Anne De Bardzki, libraire (2) : "Les vrais lecteurs sont capables de s’immerger dans de bonnes briques, le format poche a peu de succès chez cette génération. Les réseaux sociaux sont de vrais prescripteurs. Les ados suivent des blogs et des youtubeurs accros à la lecture et apprécient leurs conseils".

C’est aussi pour cela que le livre en tant qu'objet continue à plaire : "Un livre, ça se prête" ajoute Catherine Jottrand, "plus il porte les traces de partages, plus il a lui-même une histoire, et plus il sera précieux."

Le héros, cet ado comme les autres

Amour, amitié, aventure… chacun y trouve ses thèmes de prédilection, avec toutefois un point commun : le héros est presque toujours lui-même un adolescent. Selon Catherine Jottrand, "l’ado n’est pas dérangé par des thèmes forts car il vit des choses très fortes. Par contre, l’identification reste importante".

Un constat qu’appuie Anne De Bardzki : "les héros sont soit dans le quotidien, soit dans un quotidien déformé ou inventé. Il y a un plaisir de l’identification qui existe à tout âge, même si parfois c’est un peu réducteur, mais c’est plus facile pour la commercialisation des livres."

Des émotions sans émoticônes

Histoire prenante, objet précieux… et la langue dans tout cela ? Comment évolue-t-elle dans un monde inondé d’images? Elle reste importante, selon Anne De Bardzki. "Il y a un goût pour le rap, le slam et le travail poétique sur la langue. Au-delà de l’histoire, il y a un intérêt pour la langue et le style. Les romans anglo-saxons traduits conservent une efficacité de langue cinématographique, un récit qui emporte. Dans les romans français, on a des écritures différentes qui parfois sont inspirées du langage parlé."

Ceux-ci, selon Catherine Jottrand, sont loin de faire l’unanimité : "certains auteurs essaient d’utiliser le langage sms. Chez nos lecteurs, ça ne prend pas trop car ils sentent très vite que c’est un adulte qui a essayé d’écrire comme un adolescent."

Et si le plaisir traverse les générations, les pratiques de lectures, elles, évoluent. "Les adolescents ont l’habitude de faire plusieurs choses en même temps et cela se voit à travers leur appréhension de la lecture. Ils sautent d’un livre à l’autre, d’un genre à l’autre sans la moindre difficulté."


Conseils lecture

Anne De Bardzki et Catherine Jottrand ont sélectionné quelques ouvrages qui récemment ont séduit les jeunes lecteurs.

Les choix d’Anne de Bardzki

Et mes yeux se sont fermés

A priori, Maëlle n’est pas différente des autres filles de seize ans. Cette année-là, elle passe de plus en plus de temps sur Facebook, abandonne le sport, modifie sa façon de s’habiller, quitte son petit ami… Sans hésitation ni compromis, elle prend un virage à 180 degrés. C’est pour, croit-elle, sauver le monde, qu’elle rejoint l’organisation Daech.

Un an plus tard, Maëlle revient pourtant de Syrie…

ADB : "Le sujet peut faire peur, mais il est traité avec justesse et subtilité. C’est l’histoire d’une personne et d’un choix. Ça donne des indications et des informations d’une façon romancée, mais qui aide à construire un jugement fin. C’est bien fait, et du coup, utile."


Le Récif

Mitia, son frère Vladimir et leur mère prennent la route des vacances dans un camping-car. Au cours de ses promenades sur le rivage, Mitia rencontre une bande de garçons vagabonds qui se font appeler les Épaves.

Pourquoi ces garçons n’ont-ils aucune attache, aucun souvenir ? Pourtant, Mitia a cette étrange certitude d’être un des leurs ?

ADB : "Ce roman est un peu insaisissable, il est empreint de réalisme magique et présente un côté lyrique. Le récit est très prenant et le style est intéressant. Ce roman plaira aux vrais grands lecteurs."


Coeur de loup

Féodora a grandi parmi les loups. Ils sont tout pour elle et, bientôt, elle deviendra maître-loup, comme sa mère. Mais ce destin extraordinaire est anéanti quand surgit l'armée du tsar, dévastant tout sur son passage.

Alors que sa mère est faite prisonnière, l'intrépide Féo part avec sa meute à travers les forêts enneigées de Sibérie. Bravant l'ennemi, le froid, les tempêtes, elle est prête à tout pour la sauver...

ADB : "Il y a beaucoup d’aventures et de trouvailles dans ce roman. Les paysages et les ambiances restent en mémoire. Le récit est bien mené, à la manière d’un thriller."


Goodbye Berlin

Maik, quatorze ans, est l’enfant unique et négligé d’un foyer bourgeois déliquescent. L’été s’annonce mal : sa mère rentre pour une énième cure de désintoxication, et son père part en voyage d’affaires. Tschick, immigré russe fraîchement débarqué dans l’école, incontestablement surdoué, le fascine et le rebute en même temps.

Tschick a un plan pour les vacances : rejoindre son grand-père en Roumanie, au volant d’une vieille Lada volée. Contre toute attente, Maik le suit.

ADB : "Goobye Berlin est un roman délicieux, à lire à tout âge. C’est un road movie qui ne manque pas de péripéties. Un livre drôle et optimiste."


Les choix de Catherine Jottrand

Robin des graffs

Sam, la nuit, tague sur les murs de Paris des couples d’animaux de l’arche de Noé. Le jour, il va chanter au cimetière du Père Lachaise en hommage aux SDF morts dans la rue. C’est au commissariat du quartier qu’il rencontre une petite fille fugueuse en mal d’affection. Bonny décide que Sam sera sa nouvelle famille et part avec lui.

La police est sur les dents : capturer le taggueur adoré des réseaux sociaux et qui défie les forces de l’ordre, retrouver la petite fille et son kidnappeur.

CJ : "Une atmosphère qui fait penser aux polars, des personnages attachants et vrais, une belle dose d’humour et de tendresse : voici quelques ingrédients qui font la réussite de ce roman."


Sauveur et fils

Le deuxième tome de cette série vient de sortir. Côté jardin, Sauveur mène sa vie avec son fils Lazare, 9 ans. Côté ville, Sauveur reçoit ses patients : Ella, qui se travestit en garçon, Blandine, qui se shoote aux bonbons, Samuel, qui ne se lave plus.

Mais n'oublions pas pour autant les autres espèces animales dans cette saison 2. Vivent les hamsters, les ouistitis, et en guest-star : Pépé le putois !

CJ : "Des petites histoires courtes et drôles, extrêmement bien amenées."


Songe à la douceur

Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, il en a 17 ; c’est l’été, et il n’a rien d’autre à faire que de lui parler. Il est sûr de lui, charmant, et plein d’ennui, et elle timide, idéaliste et romantique. Inévitablement, elle tombe amoureuse de lui, et lui, semblerait-il… aussi.

Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard.

CJ : "Cette très belle histoire d’amour est écrite en vers libres. On entre directement dans l’histoire et c’est tellement bien construit qu’on ne se rend pas compte des contraintes de style."


La théorie du grand tout

Ce n’est pas parce que tout le monde pense que tu devrais tourner la page que tu es prêt à le faire. Sarah, 15 ans, a perdu sa meilleure amie dans un terrible accident et n’arrive pas à s’en remettre.

Son arme : le cynisme. Plus rien n’a d’importance. Jusqu’à cette drôle de rencontre…

CJ : "C’est un livre sur la culpabilité et la responsabilité. Comment réagir quand le drame arrive ? L’héroïne ne nie pas les faits et admet sa part de responsabilité. La présentation du deuil est réaliste. L’auteur parvient à parler d’un sujet grave avec humour et finesse. C’est un grand coup de cœur des ados qui participent au prix Farniente."