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Les coups de cœur de la rédaction

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En Marche

En Marche

Au revoir là-haut

France, novembre 1918. Edouard et Albert. Ces deux-là n'étaient pas destinés à se connaître. Pas du même monde, comme on dit habituellement. Mais il faut oublier les chemins tout tracés lorsqu'on est Poilu.

Échappant, par pure ironie du sort, aux manigances criminelles d'un ambitieux Lieutenant, les voilà miraculés du champ de bataille. La tâche est difficile pour Albert. Comment aborder la vie quand on a été sauvé par un cheval mort et par un compagnon de tranchée qui refuse qu'on lui répare sa gueule cassée ? La guerre finie, abandonnés par la Mère Patrie, Edouard et Albert vont élaborer une savoureuse arnaque aux monuments aux morts. Et tel est pris qui croyait prendre.

Au revoir là-haut a reçu le prix Goncourt en 2013. Il ne l'a pas volé. L'écriture de Pierre Lemaitre est extraordinairement jouissive, le ton est vif, puissant, tendre, cruel, parfois ironique. L'auteur nous permet aussi de nous plonger dans cette période d'après-guerre où les services rendus par la jeunesse ont été oubliés avec une rapidité prodigieuse, et où la souffrance des familles décimées a entraîné un bien lucratif commerce.

Le répertoire des saveurs

Fruits de mer et ananas, betterave et cresson, fromage bleu et figues… Niki Segnit liste les associations de saveurs les plus appréciées par ses papilles gustatives.

Au-delà de la présentation des binômes, elle illustre et explique ce qui rend leur association intéressante. Exemple avec les poissons gras : les affinités classiques de saveurs comme saumon-concombre, truite-cresson… réduisent les graisses. Les câpres en saumure, les olives ou encore le jambon, font ressortir le côté sucré des poissons gras marins (hareng, maquereau, sardine…). Elle détaille ainsi chaque aliment.

Puis viennent les appariements : poisson gras et ail, ou amande, ou aneth, ou anis, asperge, avocat… ! L'exercice est répété pour tous les aliments qui composent chaque famille de saveurs : torréfiée, carnée, terreuse, boisée… Cette bible des associations des saveurs s'adresse à ceux qui cuisinent comme ils composent. Les symphonies classiques, ils les connaissent et prennent peu de plaisir à les reproduire. Par contre, ils jubilent à l'idée d'associer, d'oser, de s'inspirer des notes et des accords pour écrire leur propre partition.

Fermez pour un temps les livres de recettes traditionnels et dirigistes pour écrire vos propres mélodies culinaires.

La nuit de feu

Une nuit peut changer une vie. Au plus profond. À vingt-huit ans, l'homme qui n'est pas encore écrivain entreprend une randonnée à pied dans le Sahara. Objectif du périple : rejoindre l'ermitage d'Assekrem.

Élan de son jeune corps alerte, il prend de l'avance sur le groupe et va se perdre. Dans les immenses étendues du Hoggar, rien à manger, un petit fond d'eau à boire, il est complétement désorienté. D'autant que la nuit glaçante s'annonce. Elle va le changer à jamais. L'étudiant en philosophie formé à l'ultra-rationnel se mue en "agnostique croyant".

La nuit de feu est le dernier roman en date d'Eric-Emmanuel Schmitt. L'auteur est prolifique et souvent récompensé. Chaque année, un ou plusieurs livres portent son nom dans les rayons des libraires. Son écriture est fluide, se déroule avec aisance. Surtout, c'est là sa saveur, l'auteur allie très souvent histoires et philosophie, amenant à plonger sans effort au cœur de notre humanité.

Dans ce récit très intime, il aborde le sujet de la croyance. Loin de tout prosélytisme. Avec cette conviction : "La vraie croyance, c'est le doute, c'est un chemin". Un chemin sur lequel se trouveront peut-être ses mots, propices à cultiver, nous aussi, notre voyage intérieur.

American desperado

C'aurait pu être un roman noir. Mais American Desperado dépasse la fiction et tient lieu de document sur le crime organisé et le milieu mafieux aux États-Unis dans les années 70-80.

Le livre – qui se dévore comme un roman – retrace la vie hors norme de John Riccobono alias Jon Roberts, acteur majeur du cartel de Medellin à Miami. L'auteur, Evan Wright, grand reporter et écrivain américain, a puisé les éléments du récit dans ses nombreux entretiens avec le truand. Tout en effectuant un indispensable travail de précisions et de vérifications.

"La majeure partie du temps que j'ai passé sur cette terre, je n'ai eu aucun respect pour la vie humaine. Ça a été la clé de ma réussite", résumait froidement Jon Roberts. De sa naissance dans la famille Gambino affiliée à la mafia new-yorkaise à sa retraite "paisible", après avoir purgé seulement trois ans de prison, on suit non sans effroi ni perplexité l'effrayante épopée de la réussite criminelle de ce "cocaïne cowboy" qui fut aussi l'un des pires meurtriers de l'époque.

Un livre à lire moins par goût du genre littéraire que pour la découverte d'un système mafieux avec ses ramifications et implications qu'on n'imaginerait même pas.

Indulgences

En ce début du 16e siècle, l'Allemagne est une véritable pétaudière, où l'autorité politique se fractionne entre de multiples seigneurs et princes abbés se livrant à d'incessantes luttes d'influence et par l'épée.

La Renaissance italienne paraît encore loin. Au cœur d'un obscur village forestier, une jeune femme à l'esprit libre et indépendant est contrainte d'abandonner son enfant, ce qui lui vaudra d'être accusée de sorcellerie et de subir les affres de l'Inquisition. C'est, près de vingt ans plus tard, la quête éperdue de filiation de sa fille, Gretchen, que nous propose de suivre l'auteur, l'ancien avocat liégeois Jean-Pierre Bours.

L'écriture est belle et puissante, la trame ne souffre d'aucun répit (secrets, trahisons, violences…), les personnages sont captivants : tantôt d'une cruauté sans nom, tantôt d'une beauté angélique.

Mais le principal atout de ce roman est de plonger ces personnages fictifs dans le contexte bien réel de la Réforme : sur fond d'épouvantables épidémies minutieusement décrites, on y croise le moine théologien Luther, le peintre Lucas Cranach, la cour de Wittenberg, voire Faust lui-même…