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Un guichetier pas comme les autres          

Dans Carnets d'un guichetier ou l'étonnant ordinaire, Benoît Hissette dresse le portrait de ces clients, anonymes ou habitués, qu'il croise quotidiennement dans son bureau de poste de Laeken. Rencontre avec l'auteur de cet ouvrage singulier, dont la plume révèle toute l'humanité qui se dégage de ces tranches de vie.         

3 min.
(c)Julien Marteleur
(c)Julien Marteleur
Julien Marteleur

Julien Marteleur

Une galerie dans laquelle 30 tableaux sont exposés : c'est un peu dans ce lieu qu'on a l'impression de pénétrer lorsque l'on tourne les pages du livre de Benoît Hissette. La plume est vive, poétique, parfois truculente mais toujours bienveillante. Quelle mouche a donc piqué cet homme, guichetier chez bpost depuis 20 ans et auquel rien ne prédisposait à l'exercice des mots, pour lui inoculer ce virus de la littérature ? "J'ai toujours eu une attirance naturelle pour la littérature et l'art en général, pour la beauté des choses, confie Benoît. Pour moi, il s'agit avant tout d'une quête personnelle : où trouver le beau autour de soi ? Est-il possible de faire de sa vie un chef d'œuvre ?"
Ancien pensionnaire de la communauté de la Poudrière (Emmaüs) à Bruxelles, Benoît Hissette a toujours été attentif à l'autre. Derrière son guichet du bureau de De Wand (Laeken), l'homme de 64 ans voit défiler quotidiennement des centaines de visages. Pourtant, il ne rechigne jamais à prêter une oreille attentive aux petits tracas de ces personnes qui viennent acheter des timbres, retirer de l'argent ou effectuer un changement d'adresse. Derrière l'apparente banalité de ces transactions, le guichetier entrevoit autre chose : il est, pour certains clients, le seul lien social de la journée. Comme pour Monsieur Jamme, homme sans âge, tiré toujours à quatre épingles, qui se rend au bureau de poste comme d'autres se rendent à l'église : religieusement. "Les papiers, les factures, les relevés de compte, ne seraient-ils pas votre parfait camouflage ?, s'interroge l'auteur à son égard. "Ne serait-ce pas là l'ingénieux prétexte pour échanger chaque jour un peu d'humanité ?"

Comme autant de paraboles
L'humanité derrière ces rencontres, c'est ce qui a poussé Benoît à prendre la plume, il y a maintenant 3 ans. Pas pour en tirer un livre, mais pour ne pas oublier, pour retenir la singularité de ces instants fugaces, si vite balayés par le mouvement des aiguilles de l'horloge. "Parfois, je prends des notes au vol sur mon lieu de travail, parfois je couche les mots à tête reposée. Peu importe la méthode, il me faut revenir au plus près de ce qui s'est passé durant ces échanges, des émotions ressenties, pour mieux percevoir à quel point cela me fait du bien de me rapprocher de l'autre", confesse le guichetier. S'agirait-il d'un exercice cathartique pour l'auteur ? Comme autant de paraboles, ses portraits invitent en tout cas à l'introspection. S'il y a une morale à tirer, c'est qu'il est possible de trouver une certaine pureté chez chacun d'entre nous. Notamment chez Johann, client régulier atteint de troubles du spectre autistique, sur lequel Benoît s'est plus longuement épanché. "Je voulais dire pas mal de choses à son sujet car il était un peu 'extra-terrestre'. Le rencontrer était à chaque fois une évasion, une récréation des sens. Quand les points de repère changent, qu'on découvre d'autres balises, tout devient intéressant. Il est malheureusement décédé, son portrait est donc aussi une forme d'hommage posthume", révèle Benoît.

Un remède contre le cynisme
Carnets d'un guichetier… est un remède au cynisme ambiant. L'auteur pose un regard bienveillant, absent de tout jugement, sur ces tranches de vie "hors-cadre" qui viennent épicer un quotidien professionnel parfois trop "fonctionnarisé". Pour autant, il évite l'écueil de la béatitude en ne cachant rien des invectives, des menaces et autres désagréments inhérentes à son métier, comme lorsqu'il raconte ce client un peu trop énervé qui ponctuera sa visite d'un crachat sur l'une de ses collègues. Là encore, il préfère tirer de cet événement regrettable, la dignité dont elle a fait preuve. "Ce genre de choses fait malheureusement partie de la vie, parfois. Mais c'est aussi cette part d'inconnu qui la rend si étonnante…", souligne-t-il. Cet "étonnant ordinaire", Benoît Hissette ne le vivra bientôt plus derrière son guichet : il prend sa pension l'an prochain. Est-ce à dire qu'il s'arrêtera d'écrire ? "Je vais sans doute continuer à travailler bénévolement au Palais de justice de Bruxelles : j'ai trop besoin de rencontres et de découvertes, avoue-t-il. J'ai déjà pris la peine de remercier par écrit certains de mes clients. Pour avoir fait partie de 'mon' grand inconnu, pour m'avoir confirmé dans mon identité, dans la place que j'occupe… Et puis, certains d'entre eux m'ont ordonné d'écrire un nouveau livre (rires)! Je vais essayer."

Pour en savoir plus ...

Carnets d'un guichetier ou l'étonnant ordinaire, B. Hissette, Éd. Jésuites, 2020, 119 pp, 13 EUR ● L'ouvrage est également disponible au guichet de l'auteur, Av. de la Brise 15, 1020 Laeken