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Jeux vidéo : changement d'air aux manettes 

6 min.
Boris Krywicki

Boris Krywicki

Cela n’a probablement échappé à personne : en plein confinement, le jeu vidéo a atteint des sommets de popularité. Les ventes de consoles explosent, celles des jeux dématérialisés (téléchargés depuis le domicile) encore plus, et même l’Organisation mondiale de la santé recommande de s’y mettre (en soutenant la campagne #PlayAppartTogether – « jouez séparément ensemble »). Et pour cause, les vertus du loisir paraissent opportunes : s’occuper sans sortir de chez soi, explorer des espaces virtuels entre amis, se défouler après une rude journée de télétravail… Le jeu vidéo recèle aussi de multiples trésors artistiques et expressifs, et nul besoin de s’affaler dix heures par jour devant l’écran pour les découvrir. Voici un guide touristique des landes numériques.  

Vivre des histoires

Les détracteurs du jeu vidéo l’opposent souvent à la littérature, alors qu’il se montre parfois tout aussi doué pour conter des récits captivants. Les joueurs débutants, terrifiés par la dextérité qu’impose la manipulation d’une manette, peuvent d’ailleurs commencer par ces œuvres narratives : les contrôles s’y révèlent souvent intuitifs (écran tactile, flèches du clavier) et, surtout, impossible de perdre, ce qui évite le moindre stress. Firewatch (PC et consoles, 20 euros) se dévore comme un roman aux protagonistes attachants : Henry, un garde forestier dévasté par son divorce, reclus dans le parc qu’il surveille, dialoguant par talkie-walkie avec Delilah, sa supérieure et son unique contact humain. Moins dépaysant, A Normal Lost Phone (PC, téléphones et tablettes, 3,50 euros) et son petit frère Another Lost Phone mettent le joueur nez à nez avec l’interface d’un téléphone qu’il a retrouvé au sol par hasard. Il va falloir lire les SMS, fouiller dans la galerie, décoder les mots de passe pour comprendre à qui l’appareil appartient et pourquoi il a été abandonné. Les deux épisodes bénéficient d’une écriture très juste et abordent des thématiques sociales capitales. Le même développeur a récemment créé une nouvelle œuvre, soutenue par Arte : Enterre-moi, mon amour (PC, téléphones et tablettes, 5 euros), où l’on guide une migrante dans son épopée vers l’Europe par des messages lui conseillant la route à prendre. Faut-il se cacher dans ce car ou tenter de passer la frontière une fois la nuit tombée ? Ce titre militant compte 19 fins différentes… Et il ne s’agit pas que de happy end. Comme tous les arts, en plus de divertir, le jeu vidéo peut aussi faire réfléchir.

Coopération sur le canapé 

Une multitude de jeux vidéo proposent d’être pratiqués à plusieurs, en compétition ou en équipe. Outre les modes en ligne, certaines options permettent de se rassembler conjointement derrière l’écran, conférant au loisir des atours d’activité conviviale, idéale en famille. Overcooked 1 et 2 (PC et consoles, environ 20 euros) proposent à quatre cuistots en herbe de cuisiner ensemble. Les différents niveaux imposent des recettes dont il faut réaliser les étapes successives (découper les légumes, faire cuire les pâtes…) avant de les servir sur un passe-plat. Les contrôles très basiques (déplacements et deux boutons d’action) rendent l’expérience accessible, mais le groupe devra réellement se coordonner pour exceller, d’autant que des obstacles sont ajoutés au fil de la progression. S’il est techniquement possible que chacun œuvre dans son coin, dialoguer et s’assigner des tâches permet de s’en sortir beaucoup mieux, et le jeu devient galvanisant une fois que chacun a trouvé sa place.  

Les amateurs de grands espaces à explorer se sentiront vite à l’étroit dans les cuisines d’Overcooked. Pour y remédier, l’excellent Rayman Legends (PC et consoles, environ 30 euros) offre des univers colorés à traverser en équipe, en sautant d’une plateforme à l’autre. Dans le même esprit, mais davantage orientée énigmes, la saga des Trine (PC et consoles, 50 euros pour la Ultimate collection contenant les quatre épisodes) place chaque joueur aux commandes d’un protagoniste aux capacités bien distinctes : le magicien peut créer des objets, le chevalier dispose d’un bouclier, etc. À chaque tableau, il s’agit d’utiliser ses compétences à bon escient pour progresser. Mais notre chouchou de cette catégorie, conçu par une équipe de quatre Français, s’appelle Heave Ho (PC et Nintendo Switch, 10 euros). Dans ce jeu de coopération délirant, chaque convive incarne une tête hurleuse munie de deux bras, sans jambe. En s’accrochant les uns aux autres, en formant des chaînes humaines, il va falloir grimper, se cramponner, se balancer, jusqu’à ce que l’ensemble du groupe atteigne la fin du niveau – interdit de laisser des camarades derrière ! Simple et hilarant ! 

Bouger pour jouer 

Certains se rappellent peut-être de Wii Fit et de sa balance, qui ont été le cheval de Troie du jeu vidéo dans de nombreux foyers en 2007. La proposition de Nintendo incarnait un coach sportif à domicile, pesait l’utilisateur et l’informait de ses progrès physiques au fil des jours. Original mais peu efficace sur le long terme, au point que la plupart des joueurs ont rangé leur balance numérique au grenier. Récemment, la firme nippone a sorti un nouvel accessoire, au service d’un logiciel davantage amusant, et surtout encore plus épuisant : Ring Fit Adventure (Nintendo Switch, 80 euros). Le jeu se pratique à l’aide d’un cerceau en plastique (pilates ring, authentique outil de fitness) qu’il faut manipuler de différentes manières pour vivre une aventure de longue haleine : combats contre des monstres, course à pied pour franchir des obstacles… La palette variée d’exercices offre une façon ludique de faire du sport, sertie d’un univers riche.

Changer d’air

Pour ceux en quête d’une proposition plus tranquille, il existe des œuvres bien moins frénétiques. Depuis sa sortie remarquée le 20 mars dernier, Animal Crossing : New Horizons (Nintendo Switch, 60 euros) déchaîne les passions pour son ambiance zen et l’évasion numérique qui en découle. Ici, pas d’ennemis à abattre, mais des animaux anthropomorphes tous plus mignons les uns que les autres à rencontrer et choyer. Le joueur débarque sur une île quasiment déserte. Il faut décorer sa maison, agrandir le village, planter des fleurs pour égayer le paysage et ériger un écosystème apaisant. Animal Crossing se pratique comme une activité récréative quotidienne, qui évolue au fil du calendrier – fête de Pâques, anniversaire du joueur, etc. 

Encore plus champêtre : Stardew Valley (PC et consoles, environ 15 euros) fonctionne sur le même principe, à ceci près qu’on y gère une ferme. Pour faire prospérer sa famille, le joueur y plante des légumes, élève du bétail, et peut même se marier. Il existe un système de coopération en ligne pour s’échanger des services avec des camarades agriculteurs du monde entier. L’esthétique de ce titre indépendant, créé par une seule personne (l’Américain Éric Barone) s’avère plus modeste que celle d’Animal Crossing, mais les possibilités y sont tout aussi riches. 

Enfin, pour ceux qui préfèrent des escapades plus contenues, avec un début et une fin, le développeur That Game Company a conçu deux merveilles poétiques. Dans Flower (PC, Playstation 3 et 4, 7 euros), on incarne un pétale qui doit, au gré du vent, collecter ses semblables et voguer d’une fleur à l’autre pour les raviver. Journey (PC, Playstation 3 et 4, 15 euros) nous place pour sa part aux commandes d’un voyageur mutique qui doit traverser un immense désert en activant d’étranges mécanismes. Bercées par des mélodies enivrantes, ces aventures sereines se parcourent en une poignée d’heures, mais laissent des souvenirs persister après leur terme. 

Comme le rappelait le psychologue Michaël Stora dans une récente interview pour Le Soir, un jeu vidéo peut permettre d’échapper, outre au confinement, “ à la lourdeur des relations interpersonnelles qui peuvent exister dans toutes les familles ”, incarnant une forme d’“ île déserte ” salvatrice pour se ressourcer. 

Jouer avec modération

Aucun loisir ne mérite d’être pratiqué pendant plusieurs heures d’affilée sans interruption, et les jeux vidéo ne dérogent pas à la règle. La plupart des machines nous en avertissent d’ailleurs dès l’allumage – et certaines, comme la Wii, rappellent à l’ordre les joueurs distraits en cours de partie. Il vaut mieux marquer une pause toutes les heures, voire deux fois plus fréquemment pour les jeunes enfants. Néanmoins, ce conseil ne doit pas mener à la diabolisation du jeu vidéo. Avant de qualifier une œuvre de violente, les parents se doivent de dépasser leurs stéréotypes et de demander à leurs enfants de leur expliquer le principe du jeu, chercher à comprendre pourquoi il revêt de l’intérêt pour leur(s) enfant(s). C’est l’occasion de créer des moments de partage, de mieux connaître cette culture qui semble exotique de loin, mais qui peut se révéler passionnante et riche : tous les jeux recèlent une valeur artistique, un propos politique, certains peuvent être pratiqués ensemble, etc.  

Par ailleurs, l’étude “ Mobile and interactive media use by young children ” (Radesky, Schumacher et Zuckerman, 2015) insiste sur l’importance de ces interactions entre parents et enfants durant l’utilisation du média pour en expliquer les pratiques abusives. Les adultes ont souvent envie de faire découvrir à leur progéniture des films ou des albums de leur jeunesse… Pourquoi ne pas un peu inverser cette dynamique ? Les enfants se sentiront valorisés, mieux compris, ce qui facilitera peut-être les négociations leur demandant de jouer moins longtemps.