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Les bonnes ondes contre l’isolement

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

“J’avais acquis une certaine autonomie mais depuis cette crise, j’ai l’impression d’avoir fait un bond en arrière.” Véronique, 45 ans, est malvoyante depuis six ans à cause d’une maladie auto-immune. Comme bon nombre de personnes déficientes visuelles, elle souffre d’autres pathologies rendant son immunité plus faible. Face à la crise sanitaire, les difficultés sont nombreuses. “Pour ma part, le confinement durera encore longtemps… Me déplacer en toute sécurité semble particulièrement périlleux voire impossible. Ma malvoyance ne me permet pas d’estimer correctement la distanciation sociale réglementaire et je ne peux ainsi assurer ma sécurité et celle des autres. Il faut aussi se rendre compte que nous compensons notre déficience visuelle par le toucher… Et, actuellement, si on se promène avec un guide, il faudrait qu’il soit à 1m50 !” Une situation qui décourage Véronique comme d’autres personnes malvoyantes ou aveugles à sortir, même en cette période de déconfinement. 
 
L’association Eqla (anciennement Œuvre nationale des aveugles) accompagne, depuis 1922, les personnes aveugles et malvoyantes à Bruxelles et en Wallonie. Un travail avant tout social. “D’habitude, nous avons des accompagnatrices qui se rendent au domicile des personnes pour les aider dans leurs démarches administratives, par exemple. Nous organisions aussi des animations, des sorties culturelles, nous envoyions des livres… tout cela a dû être interrompu à cause de la crise”, déplore Antoine Terwagne, chargée de communication chez Eqla. Consciente des conséquences sociales de la crise sur leurs membres, Eqla a adapté ses activités. “Avec notre service culture, nous avons mis en place une série d’activités accessibles à distance et centrées sur le son. C’était essentiel que les personnes puissent encore accéder à la culture, aux loisirs.” Parmi ces activités, des podcasts, des séances d’animation par vidéo-conférences, des téléchargements de livres sonores, etc. Bref, le son devient, grâce aux nouvelles technologies, un véritable outil de culture et de loisir.
 
 

La culture et le jeu pour garder un lien

“Le son est l’un des sens qui me permet d’être en contact avec l’autre.” C’est ce que rappelle avec insistance Michèle, sexagénaire malvoyante. “Depuis que j’ai découvert les podcasts, j’en écoute tous les jours ! Parfois plusieurs par jour. Ça suscite ma curiosité et je peux continuer à faire les petites choses du quotidien tout en me cultivant.”
Grande lectrice, Véronique a, quant à elle, opté pour les livres sonores. “Quand vous réalisez que vous ne savez plus lire, vous avez le sentiment d’être coupée du monde. Comme ma malvoyance s’est aggravée tardivement, je ne suis pas ‘brailliste’. Mais grâce aux livres audio, je m’ouvre à d’autres horizons." C’est aussi un moyen pour elle d’échanger avec sa fille. "Je me souviens : elle était en cinquième humanité. Elle devait lire un livre pour l’école. Grâce aux livres sonores, j’ai pu lire le même livre qu’elle et nous avons pu en discuter ensemble.”
 
Le 5/5, jeu d’énigmes quotidiennes, les enquêtes de Sherlock Holmes, les animations par vidéo-conférences... L’association s’est démenée pour continuer à offrir des moments d’échanges et de loisirs aux membres. “Pendant les vidéo-conférences, on en profite aussi pour prendre des nouvelles de chacun, se réjouit Véronique. Eqla est une association familiale et donc on se connait bien. L’animatrice prépare des jeux et parfois, elle nous demande de préparer des petites histoires. Ça peut paraître anodin pour certains mais on s’accroche à ce qu’on peut. On oublie pendant une heure tout ce qui se passe.”
 

“Assise entre deux chaises”

Véronique et Michèle ont été plus loin. Elles ont proposé certaines idées de jeux à leurs proches. Une nouvelle façon de garder le lien mais pas seulement : “C’est assez valorisant en fait. Je peux aussi être initiatrice de quelque chose en reproduisant ce type de jeux et d’animations auprès de mon entourage. J’ai déjà essayé sur Skype avec des amis (voyants), pour leur remonter un peu le moral durant cette période. Il n’y a pas que les personnes handicapées qui ont des soucis, rappelle Véronique avant d’ajouter : Je suis assise entre deux chaises. J’ai besoin d’avoir des contacts avec des personnes malvoyantes et non-voyantes pour me tirer vers le haut mais dans ma réalité familiale, je suis dans le monde des voyants et je dois m’adapter à eux. Je dois tout le temps me prouver à moi-même que je peux encore apporter ma petite pierre à l’édifice.”
 
Outre, le partage permettant de garder un lien social, des outils culturels et de loisirs, comme ceux cités plus haut, jouent un rôle émancipatoire auprès des personnes déficientes visuelles. Pour Antoine Terwagne, c’est aussi un moyen d’insuffler davantage d’inclusion. “Nous réfléchissons à produire des podcasts pour des personnes déficientes visuelles mais aussi à destination du grand public. Le média audio permet de sensibiliser à la déficience visuelle. Le confinement nous oblige à développer davantage ce type de production puisqu’on ne peut plus être à leurs côtés pour les guider. Et l’'univers sonore permet de garder ce lien.”