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Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Les podcasts sont des récits sonores que l’on peut télécharger, souvent gratuitement, sur un smartphone ou une tablette. La pratique, finalement, est assez proche de celle du replay pour les programmes télévisés. Faire son "marché" dans les programmes radio et les écouter quand on veut, et – privilège de l’audio – où l’on veut. Mais, depuis maintenant quelques années, des récits sonores ont été créés indépendamment des programmes radio. Et ceux-là sont uniquement accessibles en ligne. Ils possèdent également leurs propres codes narratifs. On appelle ces récits des podcasts "natifs". Il s’agit souvent d’histoires présentées sous forme d’épisodes, à l’identique d’une série télévisée. La référence en la matière est originaire des États-Unis et date de 2014. Serial (1), un feuilleton audio consacré à une grande enquête criminelle, a donné ses lettres de noblesse au genre. Il existe également des podcasts indépendants les uns des autres mais rassemblés autour d’une thématique : la cuisine, le sport, le développement personnel, la mode, les expériences de vie… aucun domaine n’échappe aujourd’hui à l’engouement du podcast.

C’est long, c’est lent, c’est intime

Pourquoi un tel emballement ? Les raisons sont nombreuses. Il y a tout d’abord le mode de consommation. Dans le métro, à la salle de sport, au boulot… il est aisé d’écouter un contenu sonore au format plus ou moins long (entre 5 et 50 minutes) sans avoir besoin de ses yeux, de ses mains, et sans déployer des trésors de concentration. Et puis, il y a la magie du son. De nombreuses productions audio parlées sont proposées par des journalistes professionnels sachant raconter une histoire. Ils s’entourent de techniciens qui réalisent des créations d’une grande qualité. Et il ne faut pas oublier la puissance d’une voix, l’émotion d’une écoute. Le podcast peut-être une expérience intime, immersive, une nouvelle manière de ressentir, et en même temps, de s’éveiller sur certains sujets, de s’informer. Il permet une grande liberté de format et de ton. Son entrée officielle dans la culture populaire ne saurait tarder.


Ils méritent d’être écoutés

Il existe de nombreux récits sonores de qualité consacrés au bien-être et à la santé. Et parmi ceux-ci, des témoignages forts, vrais, intelligents, parfois pudiques parfois percutants mais toujours éloignés d’une écoute "voyeuriste" agrémentée de curiosité malsaine. Ils ne laissent pas indifférents. Quelques suggestions.

Qu’est-ce qu’une vie qui ne dépasse quelques heures ? Comment faire quand la naissance arrive après la mort ? Et comment faire le deuil de ces brèves existences ? C’est ce que nous raconte Valérie dans la série Transfert (1) présentée sur le pure player slate.fr. Elle donne la parole à des anonymes qui ouvrent une porte de leur vie. Il s’agit de format long, 30 à 50 minutes environ. Dans Transfert, les journalistes se font discrets. Les questions, les relances sont absentes. L’heure est à la confidence. Une seule voix nous guide, celle de la personne qui accepte de partager son vécu. Un habillage sonore discret renforce l’expérience. Dans la même veine, le quotidien suisse Le Temps offre à l’écoute Brise glace (2). La présentation peut effrayer, et les titres des oeuvres peuvent parfois paraître racoleurs. Brise glace dit s’intéresser à "tout ce qu’on n’ose ni dire ni demander aux gens qui nous entourent". Les thématiques abordées sont larges. Et ici également, la démarche est davantage informative que divertissante. Boris avait 50 ans lorsqu’il a été diagnostiqué autiste Asperger. Il raconte comment "cette reconnaissance" lui a permis de "faire le deuil de sa construction sociale" et comment, pendant toute une vie, il a mis son énergie a tenter de passer inaperçu. Il dit d’ailleurs, dans ce domaine, avoir atteint le "sommet de son art". Son témoignage de 25 minutes, entrecoupé par les questions de la journaliste, est dense, et rendu fluide par un travail de montage exigent. Arte Radio excelle également dans l’exercice. J’ai rien senti (3) nous fait entrer, pendant une dizaine de minutes, dans le quotidien de Nicolas. Il a perdu le sens de l’odorat lorsqu’il avait huit ans. Il est anosmique. Nicolas raconte sa vie sans odeurs. Avec une drôlerie parfois épicée d’un peu d’amertume. Le jeune homme de 33 ans parle d’une vie "dans une bulle, qui plonge dans un ennui mortel". Il raconte un sens de l’intime bouleversé, et de multiples frustrations à gérer. Un récit subtil, habillé par des éléments sonores originaux plongeant directement l’auditeur dans le monde du narrateur. Un instantané qui vous poursuit encore quelques temps après l’écoute.