Musique

"Refugees for refugees" : nouveau souffle, nouveau son

3 min.
© DieterTelemans
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Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Rencontrer l’autre, c’est aussi rencontrer sa musique. Et promouvoir les musiques traditionnelles, c’est l’objectif de l’ASBL Muziek - publique. Depuis une quinzaine d’années, l’équipe travaille autour de trois pôles : l’organisation de cours et concerts, la mise en contact de musiciens de diverses origines et la promotion de leur travail avec un label. En 2015, la crise migratoire fait la "Une" de l’actualité. L’étiquette "réfugié" est apposée sur des milliers d’individus. L’engagement politique, ce n’est pas le job de Muziekpulbique, mais la gravité du moment les pousse à l’action. "Nous avons alors décidé de mettre en avant le bagage culturel de ces personnes, explique Lynn Dewitte, responsable du label. Et essentiellement celui des musiciens professionnels. Nous avons contacté des associations, elles ont relayé notre recherche. Grâce à elles, nous avons rencontré une quarantaine de musiciens et nous avons finalement décidé de travailler avec une vingtaine d’entre eux". Immédiatement, vient l’idée de la réalisation d’un album dans lequel chacun pourrait mettre un peu de lui-même, de sa langue, de sa technique et de ses codes musicaux.

Héritages et apprentissages

Un crowdfunding est lancé et largement diffusé. Le travail autour de l’album peut commencer. "Il a fallu une période d’adaptation, enchaîne Lynn Dewitte. Les histoires, les langues, les instruments, les codes musicaux… les différences ne manquaient pas !". Tammam Al Ramadan est originaire d’Alep. Joueur de flûte de ney, il est convaincu qu’il existe des connections entre les nombreuses traditions musicales : "concert après concert, résidence après résidence, nous avons trouvé une ambiance et des accords musicaux. Une musique, c’est comme une langue, on peut l’apprendre, la comprendre et la parler". Petit à petit, les ponts se construisent et l’album Amerli est né. Il est composé de morceaux issus des pays d’origine des musiciens. Ceux-ci apprennent à se connaître, à découvrir leurs musiques respectives, à improviser ensemble. Là, on entend que la musique syrienne et les chants populaires afghans se font sur la même gamme, que des compositions pakistanaises peuvent se jouer avec des instruments syriens. L’aventure humaine est baptisée "Refugees for Refugees". Elle se consolide autour de 10 musiciens, dont deux Belges. Très vite, des organisateurs de concerts contactent Muziekpulbique. "Cela n’était pas prévu, explique Lynn, mais les tournées correspondaient tellement à notre envie de faire entrer ces musiciens dans un circuit où ils pouvaient se produire que nous avons libéré du temps pour mettre en place ce projet".

Symbioses et synergies

Les mois s’écoulent et, bientôt, l’envie d’un deuxième album se précise. Les compositions seraient cette fois originales. D’avoir appris la musique des uns et des autres a permis la naissance de mélodies nouvelles, fruits des influences syriennes, afghanes, pakistanaises, irakiennes, belges et tibétaines. "Chacun a apporté des propositions sur lesquelles sont venues se greffer d’autres inspirations, précise Lynn Dewitte. Sur un mantra tibétain se greffe un chant soufi arabe et un chant spirituel pakistanais. Des croisements se font soit via le thème de la chanson, soit via la musicalité". Douze morceaux sont nés de cet échange. Ils sont portés par deux voix masculines – syrienne et afghane – et une voix féminine, celle de Dolma Renqingi, originaire du Tibet. "Je ne connaissais absolument rien de la musique tibétaine, avoue le musicien syrien Tammam Al Ramadan. Elle est un peu déconcertante pour nous, car composée de cinq notes. Dolma Renqingi et le joueur de dramyen (NDLR : luth) Kelsang Hula nous ont présenté un morceau. Ensuite, on laisse le son sortir, on construit une mélodie. On improvise beaucoup, en toute liberté".

Un engagement artistique

Parmi les musiciens, certains ont dû fuir leur pays à cause de leur art. Chaque morceau du nouvel album, baptisé Amina, évoque des éléments de la reconstruction : l’appel à la paix entre les peuples, la pluie qui arrose une zone aride pour la faire revivre, l’amitié, le partage… Après le déracinement, vient un nouveau souffle. Tous les musiciens qui participent au projet ont aujourd’hui une situation plus stable. "Refugees for Refugees" a permis de les introduire dans des réseaux professionnels. Tamam Alramandan donne des cours de ney et participe à d’autres projets musicaux. Lors des rencontres avec le public, les membres du groupe sont parfois interrogés sur leur parcours, et certaines personnes attendent d’eux une parole politique. Tammam Alramadan dit comprendre ces interrogations mais il "pense que la musique est un moyen d’expression plus efficace". "Lorsque quelqu’un est fasciné par un morceau entendu lors d’un concert, il va peut-être modifier son comportement face à d’autres personnes, conclut Lynn Dewitte. Le regard change lorsque les oreilles s’ouvrent."

L’album sera présenté le samedi 16 février à 20h, à l’Ancienne Belgique, boulevard Anspach 110 à 1000 Bruxelles • Prévente : 15 euros • Membre Muziekpublique : 11 euros • Sur place le jour-même : 19 euros • Les tickets sont en vente uniquement sur le site internet de l’Ancienne Belgique : www.abconcerts.be • Plus d’infos sur l’album : www.muziekpublique.be • 02/217.26.00

Pour en savoir plus ...

Amina composé et interprété par Asad Qizilbash : sarod (Pakistan-BE), Dolma Renqingi : chant (Tibet-BE), Fakher Madallal : chant, percussion (Syria-BE), Kelsang Hula : dramyen, chant (Tibet-BE), Mohammad Aman Yusufi : dambura, chant (Afghanistan-BE), Simon Leleux : percussion (BE), Souhad Najem : qanun (Iraq-BE), Tammam Al Ramadan : ney (Syria-BE), Tarek Alsayed Yahya (Syria-BE) et Tristan Driessens : oud (BE)