Editos

Combien de crises seront encore nécessaires ?

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Si nous ne tirons pas les leçons des crises successives maintenant, quand le ferons-nous ? Photo (c) Adobe
Si nous ne tirons pas les leçons des crises successives maintenant, quand le ferons-nous ? Photo (c) Adobe
Elisabeth Degryse

Elisabeth Degryse

Les crises se succèdent depuis plus de deux ans. Après la pandémie, dont nous ne sommes pas encore certains d’être sortis, après les rappels réguliers que les dérèglements climatiques sont de plus en plus réels et présents, voici que le monde est en prise avec une situation conflictuelle extrêmement douloureuse et délicate. Avec la guerre en Ukraine, s’annonce une nouvelle crise dont personne ne peut encore mesurer l’ensemble des impacts, que ce soit à l’échelle géopolitique ou sur nos vies quotidiennes.

Ce qui nous guette, avec ces crises successives, c’est aussi un appauvrissement de la grande majorité de la société. Les témoignages recueillis par les services sociaux, l’associatif, les corps intermédiaires se multiplient. Régler les factures, faire le plein, payer les courses deviennent une source de stress de plus en plus importante. Récemment encore, la CSC rappelait que la situation financière de nombreuses personnes était telle "qu’elles risquent de devoir renoncer à leur emploi parce qu'elles ne sont plus à même de supporter le coût entraîné par la flambée des prix des carburants."

Comme durant la crise sanitaire, ici aussi la crise de l’énergie et l’explosion des prix des matières premières profitent à certains.

Mais tout le monde ne sort pas perdant de ces crises… Comme durant la crise sanitaire, où le secteur des Big Pharma était manifestement bénéficiaire de manière parfois éhontée, ici aussi la crise de l’énergie et l’explosion des prix des matières premières profitent à certains. "Certains gros acteurs sont en train d'enregistrer des profits gigantesques à la suite des effets de cette guerre. Ce n'est pas acceptable ni éthique", dénonçait récemment Arnaud Zacharie, Secrétaire général du CNCD, dans les colonnes de La Libre Belgique. "Si on avait une logique d'intérêt général, on devrait pouvoir redistribuer cette énorme richesse accumulée lors de ces chocs à ceux qui se trouvent dans des situations extrêmement difficiles à cause de ces mêmes chocs", poursuit le politologue qui pointe aussi comme exemple les bénéfices engendrés par les géants du numérique durant le confinement.

Dans l’urgence des crises, des décisions s’imposent, et elles finissent par se prendre, bon an mal an, dans notre réalité belge. Mais l’enjeu n’est-il pas justement de dépasser l’urgence ? De s’assurer que nous tirons les leçons pour modifier notre manière d’agir ? Aider les consommateurs à payer leur facture, c’est évidemment ce qu’il faut faire pour répondre à la détresse réelle des gens. Mais mettre en place des mécanismes de régulation qui permettent que les poches des uns ne se remplissent pas au détriment des autres serait sans doute plus bénéfique.

Réinvestir dans un État régulateur 

L’avenir dessiné par ces crises multiples est peu enthousiasmant. Or, chacun a besoin de se projeter pour vivre, de stabilité pour entreprendre, de confiance, de sens… Pour ce faire, il existe différentes pistes. D’une part la régulation des marchés, au travers par exemple d’une taxe sur les surprofits enregistrés à la suite d’effets d’aubaine ou de chocs internationaux comme la pandémie ou la guerre. D’autre part, en mettant en œuvre une fiscalité plus juste non seulement à l’échelle belge, mais aussi au niveau européen.

Il nous faut réinvestir dans un État régulateur, visionnaire, qui donne de l’espoir et du sens au commun,

En Belgique, l’injustice fiscale concerne en particulier la différence entre la taxation des revenus du travail et du capital, le manque de progressivité de l’impôt sur les personnes physiques et la multiplication des niches fiscales. C’est pour cette raison que la Coalition Corona, qui fédère mutuelles (dont la MC), syndicats, coupoles d’ONG, a appelé le gouvernement belge à adopter rapidement une réforme fiscale. Au niveau européen également, la justice fiscale permettrait à l’Union européenne de mobiliser des ressources propres pour financer des politiques comme le plan Next Generation et le Green Deal, notamment à travers la mise en œuvre d’une taxe européenne suffisamment ambitieuse sur les transactions financières. Ces mesures permettraient de s’engager dans une trajectoire saine, tant sur le plan budgétaire qu’en matière de transitions écologique, économique et sociale, au bénéfice du bien-être des personnes et des collectivités.

Il nous faut réinvestir dans un État régulateur, visionnaire, qui donne de l’espoir et du sens au commun, avec comme levier une réforme fiscale juste, solidaire et ambitieuse. L’impôt ne doit pas être vu uniquement comme des charges, mais comme des investissements pour aujourd’hui et demain. Les richesses doivent être partagées de façon équitable pour permettre à chacun de trouver sa place et de s’épanouir dans une société capable de proposer des solutions face aux défis à venir et à leurs interconnexions : la santé, l’économie, le climat et le social.  

Si nous ne tirons pas les leçons des crises successives maintenant, quand le ferons-nous ? Que nous faudra-t-il de plus ? La procrastination n’est plus une piste possible. L’urgence est là, maintenant.