Editos

InES : une voix pour faire entendre les inégalités 

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Les nombreuses crises que nous avons traversées et que nous traversons encore renforcent une tendance ancrée depuis quelques années : les inégalités ne cessent de s’accroitre. Paradoxalement le discours politique tend à lisser ces réalités… 

La richesse d’un pays ne dit rien sur la répartition de cette dernière entre ses habitants 

La MC a récemment mis en lumière les inégalités de santé dans une étude de grande ampleur. Les résultats sont alarmants : les personnes vivant dans les quartiers pauvres ont 80 % de plus de risques de mourir dans l’année - toutes causes de santé confondues - que celles vivant dans les quartiers les plus riches. Elles sont également plus à risque de développer diverses maladies chroniques ou de reporter des soins considérés comme élémentaires. "On croit souvent que, plus un pays est riche, plus les inégalités de santé entre ses habitants et ses habitantes sont anecdotiques. Pourtant, comme le montrent les recherches menées par Wilkinson et Marmot (Marmot, 2010 ; Wilkinson, 2000), sans une politique explicite pour réduire les inégalités, c’est souvent l’inverse que nous constatons. La richesse d’un pays ne dit rien sur la répartition de cette dernière entre ses habitants et encore moins sur la capacité de payer des suppléments d’honoraires ou des assurances privées pour compenser les manquements du système collectif", conclut Elise Derroitte, directrice du service études dans le dernier édito de Santé & Société

Convaincu que nos combats doivent se partager avec d’autres acteurs en matière de santé, mais aussi d’autres secteurs, nous avons intégré récemment InES ( pour inclusion-égalité-solidarité).  Ce collectif, composé de chercheurs, professeurs d’université, acteurs et actrice du monde social et associatif, entend produire des notes (policy briefs ) à destination des citoyens et des citoyennes, des organisations, des institutions, des médias et des responsables politiques.

Voici un extrait de son manifeste. 

 "La lutte contre les inégalités apparaît souvent comme un objectif incantatoire et formel alors que de nombreuses données, recherches et travaux scientifiques démontrent inexorablement la reproduction systémique des inégalités dans notre société – aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Ces travaux démontrent en outre que les inégalités ont un effet néfaste non seulement sur la cohésion sociale, mais aussi sur l’efficacité économique, l’environnement, la santé et la démocratie. (…)

Certes, la Belgique fait partie des pays les moins inégalitaires au monde, grâce à un système de sécurité sociale performant, à un taux de syndicalisation relativement élevé, à l’indexation des salaires et au salaire minimum. Cependant, ces institutions sont paradoxalement critiquées par les forces conservatrices. Le 'mantra' égalitaire rend ainsi difficile le débat sur les inégalités en Belgique. Le récit d’une Belgique égalitaire sert de justification, dans la grande quête de la compétitivité, à un détricotage d’une série de mécanismes de correction des inégalités qui ont pourtant fait leurs preuves. 

 Les données tendent par ailleurs à montrer que l’écart s’est accru durant les quarante dernières années – en Belgique comme dans la majorité des pays dans le monde. En outre, si le coefficient de Gini, qui donne une vision assez hétéroclite du paysage des inégalités en Belgique, classe la Belgique dans les 5 pays les plus égalitaires du monde, la décomposition régionale des données indique que la Flandre et la Wallonie figurent dans le premier quartile alors que Bruxelles se situe dans le dernier. Plus généralement, les inégalités interpersonnelles s’accompagnent, en Belgique comme ailleurs dans le monde, d’une polarisation croissante entre les régions qui ont tiré profit de la mondialisation et celles qui en ont été victimes. La mondialisation et les progrès technologiques favorisent la concentration des investissements et des emplois qualifiés dans les centres métropolitains les plus dynamiques, au détriment des régions désindustrialisées sans perspective d’avenir. 

La lutte pour l’égalité est un combat culturel et politique

Le récit sur l’égalité a basculé depuis la crise de 2008 autour d’un double phénomène paradoxal (et probablement contradictoire) : une prise de conscience du 'risque inégalitaire' par une partie des représentants intellectuels, politiques et technocratiques du capital et le maintien voire le développement d’un ordre juridique, social et économique rendant particulièrement ardues les mesures de correction des inégalités. 

Les inégalités sont très souvent traitées sous l’angle monétaire. C’est un aspect essentiel qui ne doit toutefois pas occulter les autres dimensions des inégalités, notamment celles qui ne peuvent pas être 'monétisées'. De nombreux travaux démontrent la multiplication de clivages au sein de notre société à la base d’inégalités s’articulant ou non à l’accès aux ressources économiques : l’appartenance sociale, le genre, l’âge, l’appartenance ethno-raciale, le territoire (urbain/rural), l’environnement, etc. 

La lutte pour l’égalité est donc un combat culturel et politique qui ne peut se gagner que par une articulation entre la mesure et l’objectivation des inégalités et un récit politique fondé sur la réduction de leurs origines tant dans un but d’équité sociale que pour amortir les effets délétères qu’elles induisent à différents niveaux." 

Le Collectif InES, et la MC avec lui, est convaincu de la nécessité de relégitimer de manière vigoureuse la défense de l’égalité et la lutte contre les inégalités sociales, en politisant la question des inégalités.