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Les antibiotiques, un bien commun malmené…  

3 min.
Elisabeth Degryse, Vice-présidente de la MC

Elisabeth Degryse, Vice-présidente de la MC

Découverts au début du 20e siècle, les antibiotiques ont transformé la médecine. Ils ont permis de faire reculer de nombreuses maladies d'origine bactérienne. Mais leur utilisation s’est accompagnée de l’émergence de souches résistantes qui menacent leur efficacité.Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la résistance des bactéries aux antibiotiques est l’une des plus graves menaces pesant sur la santé publique mondiale. "Elle entraîne une augmentation des dépenses médicales, une prolongation des hospitalisations, une hausse de la mortalité (…) et atteint désormais des niveaux dangereusement élevés dans toutes les régions du monde." L’antibiorésistance est susceptible de compromettre des décennies d’avancées médicales, de pratiques d’interventions chirurgicales, de néonatalogie et de réanimation, de traitements contre le cancer et de greffes d’organes.
De son côté, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies estime que chaque jour en Europe, près de 100 personnes décèdent d’une infection bactérienne non traitable. À l’horizon 2050, l’antibiorésistance pourrait devenir une des plus grandes causes de mortalité dans le monde.  

Un usage excessif et inapproprié 

Comparée aux pays limitrophes, la consommation d’antibiotiques chez l'être humain reste élevée en Belgique. C'est le constat fait par l'Agence intermutualiste qui a analysé les données de remboursements de cette catégorie de médicaments jusque juin 2020. Certes, une nette diminution s'est produite depuis 2015 grâce aux campagnes d'information. Mais nous dépassons encore la moyenne européenne. Une étude de la MC montre aussi que la prescription d'antibiotiques a chuté pendant la crise sanitaire (1). Les confinements et règles de distanciation physique ont clairement limité la transmission du coronavirus - pour lequel les antibiotiques sont inefficaces - et d'autres maladies infectieuses. La diminution des recours aux soins de santé a aussi joué un rôle. Mais une fois que les contacts sociaux ont été autorisés, la consommation d’antibiotiques a hélas connu une reprise… Preuve s'il en est de l'importance de poursuivre les campagnes de sensibilisation pour que les antibiotiques soient prescrits uniquement quand il faut, et consommés comme il faut. Le SPF santé publique vient d’ailleurs de relancer une campagne de la cadre de la semaine mondiale pour une bonne utilisation des antimicrobiens (du 18 au 24 novembre). Le site parlonsantibiotiques.be regorge d'informations et répond à toutes les questions que l'on se pose suer le sujet.  

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L’utilisation massive, et souvent sans réelle nécessité, d’antibiotiques en médecine humaine, en soins véterinaires et en agriculture, a accéleré la résistance des bactéries. (c)iStock

La résistance aux antibiotiques: l'autre crise sanitaire

Des antibiotiques donnés aussi aux animaux

Réduire la consommation d'antibiotiques chez les êtres humains est une priorité de santé publique. Mais ce n'est qu'une partie de la problématique de l'antibiorésistance. Les antibiotiques sont aussi beaucoup utilisés pour traiter les infections microbiennes dans les élevages et chez les animaux de compagnie. Par ailleurs, dans certains pays - les États-Unis notamment - des antibiotiques sont administrés à des animaux qui ne sont pas malades mais vivent dans des conditions d'élevage dégradées. Cet usage déviant est particulièrement problématique, comme le dénonce Jean-Yves Madec, directeur scientifique à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) dans un article publié sur le site d'expertise scientifique et d'exigence journalistique theconversation. En effet, la majorité des molécules antibiotiques utilisées en médecines vétérinaire et humaine sont les mêmes. Avec le risque que des bactéries résistantes émergent chez l'animal et se transmettent à l'être humain.

Une industrie peu encline à investir  

Face à la résistance des bactéries, la recherche de nouveaux antibiotiques est une nécessité. Pourtant, les entreprises pharmaceutiques ne se poussent pas au portillon. D’une part, cela implique d'importants investissements. D'autre part, les antibiotiques n’ont pas tous un intérêt commercial.  
Un système très controversé proposé par le pharma est actuellement discuté au sein de la Commission européenne, comme l'a dévoilé récemment Euronews. En échange d'efforts financiers pour trouver de nouveaux antibiotiques, l'entreprise pharmaceutique se verrait octroyer une prolongation de plusieurs mois de l'exclusivité d'un brevet sur un autre médicament plus rentable (par exemple un anxiolytique ou un anti-dépresseur) (sic) ! Les leçons de la crise du Covid sur la toute-puissance de l’industrie pharmaceutiques n’ont manifestement pas été tirées. C'est toujours le profit et non la santé publique qui reste le moteur des discussions…  

Sur le plan politique, nous sommes à la croisée des chemins : les antibiotiques doivent être reconnus comme un bien commun. À ce titre, une stratégie globale doit être mise en en place pour les préserver. L’antibiotique est important non seulement pour soigner les gens mais aussi pour garantir la sécurité alimentaire. Il faut aussi s’assurer que ces médicaments continuent à être produits et restent disponibles sur le marché. La pénurie d'amoxicilline que nous connaissons actuellement n'est tout simplement pas tolérable. 

 

Chaque jour en Europe, près de 100 personnes décèdent d’une infection bactérienne non traitable.