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Le pèlerinage, un appel de la route et du coeur

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Pour Claire Colette,le pèlerinage sera une voie de guérison. À 53 ans, alors que les médecins viennent de lui diagnostiquer une fibromyalgie, elle part quasiment sur un coup de tête. Au retour de Compostelle, les symptômes ont disparu. (1) Depuis, elle chemine chaque année, découvrant de nouvelles routes mais aussi sa propre intériorité. Car marcher, seul et en silence, ouvre la porte à de multiples transformations personnelles, comme elle en témoigne dans son second récit : "Marcher à cœur ouvert, de l'Auvergne vers Compostelle". (2)

Sébastien Sauleau, lui, découvre le chemin de Compostelle en 2014, en courant. Il pratique alors l'ultra-trail (course à pied sur de longues distances en pleine nature) en amateur. En 2018, il décide d'y retourner, en prenant davantage son temps. Il a 41 ans et vient de tourner le dos à sa carrière d'ingénieur en informatique, quittant une société dont l'atmosphère, depuis son rachat par un grand financier, ne lui correspond plus. "Je ne suis pas un pèlerin ordinaire, annonce-t-il d'emblée, je suis un contemplatif actif. Je n'ai pas d'autres ambitions que de goûter à l'itinérance et d' aller à la rencontre de l'autre. Les reliques de Saint-Jacques n'évoquent rien pour moi." (3)

Quitter ses proches, sa maison et le rythme du quotidien pour partir en pèlerinage est déjà, en soi, un apprentissage. "Il y a une fertilité dans chaque départ, relève Claire Colette. Pour ouvrir une porte, il faut en fermer une autre. Apprendre à desserrer des liens, à quitter des habitudes et un confort de vie, sortir de certaines pensées dans lesquelles on tourne quelquefois en rond." C'est l'occasion de s'extraire du rythme trépidant et du bruit incessant de la ville, et de faire le point au calme. "Partir pendant un mois, sac au dos, c'est aussi une manière de prendre du recul par rapport à l'année écoulée, de remettre du discernement dans sa vie", poursuit-elle. Loin de constituer une fuite, marcher demande plutôt le courage d'affronter certaines vérités. "J'ai 68 ans, je vieillis et je réalise que quitter, c'est aussi apprendre à vieillir, à lâcher des choses, car quand on mourra, on devra tout lâcher. Pour moi, partir, c'est apprendre à mourir un petit peu aussi, comme une répétition du ‘grand départ’. Je ne le vois pas comme quelque chose de négatif."

L'étreinte apaisante de la nature

Une citation de l'écrivain Camille Belguise accueille le pèlerin à Aubrac, sur le chemin de Compostelle : "Dans le silence et la solitude, on n'entend plus que l'essentiel". Éloigné des distractions et des préoccupations du quotidien, le pèlerin entre en contact avec la nature qui l'environne, avec les éléments, mais aussi avec son intériorité. Sébastien Sauleau note que "seule la nature a le réel pouvoir de guérir les blessures de l'âme". Le cœur brisé à la suite d'une rencontre qui le bouleverse en chemin, il constate : "Isolé en son sein, elle m'a pris dans ses bras, bercé, cajolé, réconforté, apaisé".

Le décor agit comme une métaphore pour celui qui le contemple, remarque Claire Colette : "L'Auvergne est une terre de contrastes, d'ombre et de lumière, et cela est exacerbé en automne, au moment où j'ai fait ce voyage. Les éléments du paysage (volcans endormis, gorges profondes, pâturages...) viennent faire écho et dévoilent nos paysages intérieurs." Au bout de quelques journées de marche, une transformation a lieu, dont les deux pèlerins témoignent. "Les premiers jours, les pensées continuent à encombrer l'esprit, se souvient Claire Colette. Mais petit à petit, elles se dissipent, laissant place à une sorte d'apaisement. L’esprit s’éveille, des réponses surgissent..." Avec une approche différente, plus sportive, le jeune Français se laisse gagner par un même sentiment d'acceptation. Après une semaine à peine, il écrit : "La peau commence à se tanner, le corps se régler, le sac s'optimiser et l'esprit s'apaiser. Petit à petit, je me sens lâcher prise, et même s'il reste un long chemin avant l'abandon total, je ne doute pas d'être dans la bonne direction." Quinze jours plus tard : "D'ores et déjà, le Chemin remplit son office. Je suis plus humain que je ne l'ai jamais été. Suffisamment confiant en moi et en l'univers pour m'ouvrir à la vulnérabilité. L'histoire est incertaine mais c'est dans cette incertitude que réside tout le sel de l'existence."

Ré-oser la vie

Claire Colette

"Nous vivons dans une société hyper-sécuritaire", regrette Claire Colette, jugeant cette fuite du risque paradoxalement mortifère. "Le risque fait partie de la vie, rappelle-t-elle, même quand on reste chez soi ; mieux, il est la vie !Tout de même, cheminer seule en forêt, n'est-ce pas téméraire ? Tout en reconnaissant qu'il ne faut pas se comporter de façon inconsciente, elle raconte que l'expérience lui a appris à ne pas se laisser paralyser par la peur. "Sur le chemin, si l'on n'y prend pas garde, l'inquiétude se transforme en peur, et puis l'imaginaire prend le pas, dès qu'on entend un bruit derrière un arbre...". La présence à soi, ou pleine conscience, permet de dépasser ce sentiment. "Quand je suis dans mon mental, j'ai peur, observe-t-elle. Mais si je me mets à l'écoute de mes sensations, si je goûte les choses et accueille ce qui m'entoure à travers tous mes sens, l'intuition vient alors me guider."

Lors de son premier pèlerinage il y a quinze ans, c'est aussi une intuition qui l'a mise sur la route, sans préparation. "Je n'avais presque pas d'argent de côté, je n'ai pas préparé l'itinéraire, je partais le matin sans savoir où j'arriverais le soir, ni où je pourrais dormir. Quand on connaît sa destination et qu'on suit un horaire, l'esprit est inévitablement focalisé sur l’arrivée et l’on n’est plus disponible aux rencontres et signes du chemin. Je voulais me mettre dans cette disponibilité complète, cette ouverture de l'être (corps, cœur et âme). Le nouveau n’émergera pas si l'on reste dans les schémas connus."

Marcher par monts et par vaux, dans la pluie et le froid ou sous un soleil brûlant, des heures durant, permet de découvrir en soi des ressources que l'on ignorait, une forme de courage. "Face aux difficultés, soit on baisse les bras, soit on va chercher en soi une sorte de force morale qui nous permet de sortir de l'engourdissement de nos vies faciles. Car, sauf situation d'extrême précarité — et malheureusement ça aussi, c'est une réalité ! —, nous vivons plutôt dans le confort et l'abondance matérielle", dénonce Claire Colette qui, sur la route, retrouve l’essentiel et une profonde liberté.

Sébastien Sauleau cite Gaston Rebuffat, guide de haute montagne décédé en 1985 : "Toujours rechercher la difficulté. Non pas le danger. Aller de l'avant, tenter, oser. Dans l'audace il y a l'enchantement." La nuance est là, entre l'audace salutaire et une témérité excessive.

Cueillir les fruits

La solitude et le silence permettent de revenir à l'essentiel ; dans un pèlerinage, ils alternent cependant avec les moments de rencontre et d'échange, également fertiles et parfois bouleversants. Au terme de son périple, Sébastien Sauleau se demande : "Serais-je parti si j'avais su que cela chamboulerait, secouerait autant ?" Le pèlerin est confronté à ses failles et fragilités. Claire Colette raconte avoir essuyé des refus, lorsqu'elle cherchait un hébergement ; il lui a fallu apprendre à les accepter. "Accueillir ce qui ne me plaît pas, ce qui se heurte à ma résistance, va me permettre de rouvrir ce qui s'était fermé en moi... Cela demande de l'effort, du travail et du cœur."

Elle s'est aperçue également que lorsqu'elle hésitait sur la route à suivre, ou se perdait, il y avait toujours quelqu'un qui se présentait pour l'aider à trouver son chemin. "C'est arrivé suffisamment de fois pour commencer à titiller quelque chose en moi. Je me suis sentie accompagnée, en lien avec quelque chose qui me dépasse..."

Revenir à soi permet de revenir aux autres, ensuite, d'une façon nouvelle, plus authentique et tolérante. "La vie continue, après Compostelle, et même s'il se peut que je retombe dans mes travers, j'ai la certitude qu'il restera des traces", affirme Sébastien Sauleau. "On reçoit tellement sur le chemin, s'enthousiasme Claire Colette, qu'on ne peut pas garder cela pour soi. On revient avec un peu plus d'envies, l'énergie de lancer des projets, d'offrir plus aux autres", conclut-elle.


(1) Compostelle. La saveur du cheminClaire Colette, Éd. Academia-L’Harmattan, 2015, 250 p., 22,50 EUR
(2) Marcher à cœur ouvert, de l'Auvergne vers Compostelle, Claire Colette, Éd. Salvator, 2021, 189 p., 16,50 EUR
(3) Pourquoi pas ? La magie du chemin de Compostelle, Sébastien Sauleau, Éd. Academia, 2020, 208 p., 19 EUR

Avant de partir...

Ni avion, ni voiture, ni train. Un bagage léger. Un hébergement parfois frugal. Le pèlerin fait le choix de voyager humblement, au rythme des éléments naturels, revenant aux besoins essentiels du corps et de l'esprit. Découvrir une forme d'abondance spirituelle, humaine, en soi et au travers des rencontres, en passant par l'épreuve de la sobriété matérielle, est une autre leçon du pèlerinage.

On peut “faire Compostelle” de bien des façons : en mode long ou court ; en solitaire, en couple ou en groupe. De nombreux itinéraires sont possibles, qui changent au rythme des saisons. Certains préfèrent réserver leur logement à l’avance, la veille, d’autres choisissent de se laisser porter par les rencontres. Partir en pèlerinage, c’est accepter de s’ouvrir à l’inconnu, à l’inattendu, c'est une aventure spirituelle. Sur le plan physique et matériel, cependant, il est utile de se préparer.

>> Pour en savoir plus : chemindecompostelle.comchemin-compostelle.infolinstantvagabond.fr
>> Claire Colette (voir témoignage ci-dessus) organise des ateliers de préparation à la marche au long cours : claire.colette@skynet.be • 0499/44.52.66.