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Agir à l'intérieur

Agir à l'intérieur L'intériorité encourage au "geste juste", elle est transformante.
© Istockphoto

Malaise à répétition face aux gobelets tendus – toujours plus nombreux – pour y voir tomber quelques pièces. Effroi continu à la vue de ces hommes en armes déambulant encore et encore dans nos rues. Légère crainte chaque matin en allumant la radio, de s'entendre annoncer un attentat. Désarroi en assistant quotidiennement à l'énumération du nombre de victimes des conflits qui occupent notre monde. Et puis, quoi ?


Fermer les yeux, les oreilles : impossible. S'évader dans un monde parallèle : vain. Attendre que ça passe : illusoire. Répondre aux sirènes de ceux qui prônent l'éloignement, l'exclusion voire l'élimination : non merci, sans façon !

Alors, continuer à chercher coûte que coûte comment agir, déjà à son maigre niveau. Avec la conviction que chaque goutte compte. Comme dans la fable du colibri, chère aux yeux de l'agriculteur et essayiste, Pierre Rabhi : "Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés et atterrés observaient, impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d’un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : ‘Colibri! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ?’ ‘Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part.'".

Morale de l'histoire : aucun d'entre nous n'est totalement impuissant. C'est dans cette voie, pour partager des initiatives porteuses de changement, que l'éditeur Actes sud et l'ONG Colibris persévèrent avec une collection au nom enchanteur : "Domaine du possible".

Comme on s'étire le corps

Dernière proposition en date : ajouter à notre hygiène de vie un rituel d'intériorité. "Alors qu'au siècle dernier, nous avons tous appris à soigner nos dents, nos cheveux et notre peau, soit la face visible de nos corps, nous n'avons nullement avancé par rapport à l'acquisition de rituels de soin psychique. Au contraire, nous avons probablement même reculé, avec une sécularisation qui, dans sa volonté de libérer l'individu, a trop souvent supprimé les gestes d'intériorité et d'introspection" (1).

Les auteurs, belges, David Van Reybrouck et Thomas d'Ansembourg sont convaincus que l'intériorité encourage au "geste juste", qu'elle est transformante. "C'est en stimulant la paix intérieure individuelle, par l'éducation des jeunes et la formation des adultes, que l'on peut créer et partager un ingrédient essentiel pour nourrir la paix extérieure communautaire", indiquent ces partisans de la pacification des rapports humains.

Les espaces de ressourcement, de discernement et d'inspiration manqueraient à nos vies stressantes. Il s'agirait de faire de la place à ces grands absents de nos habitudes, dans un quotidien coincé dans les métro-boulot-dodo, certes fonctionnels mais peu résistants à l'agressivité, au repli, à l'indifférence ou à la violence.

Loin du contemplatif

Les espaces manquent. Mais les outils existent : pratiques de méditation en pleine conscience, processus de communication non-violente, charte et préceptes de la compassion (2)... Des recherches scientifiques – notamment dans les neurosciences – appuient la crédibilité de ces techniques "douces". Elles sont des exemples d'outils de paix d'après les deux auteurs cités ci-dessus, soucieux d'enrayer une sorte de "cycle de la violence".

Ils se montrent réalistes : ces exercices de l'esprit souffrent d'une réputation de "bisounours, new age ou peace and love". Mais ces deux hommes engagés soutiennent avec conviction que "la vie intérieure se révèle le ferment d'une puissante capacité d'action commune et de transformation collective", loin des clichés du méditant exilé dans sa grotte.

À leur faveur, les expériences se multiplient – au sein d'écoles, dans certaines entreprises, voire dans les cénacles parlementaires (en Grande Bretagne). Et un nombre croissant de personnes en reconnaissent les bienfaits.

"Il n'y a pas de possibilité de cocréer une paix durable extérieure sans que chacun cultive sa paix intérieure, estiment David Van Reybrouck et Thomas d'Ansembourg. (...) La seule façon de créer le bienêtre social durable est de développer ensemble une vision à long terme de notre humanité"...

Sans grand éclat, à force de rendez-vous réguliers avec soi, par l'apprentissage de la bienveillance, le souci constant d'un savoir-être empathique et respectueux des autres, fortifié pour mener des projets collectifs... nous exercerions une part de notre responsabilité de citoyen. Rien ne coûte d'y s'y engager – que du temps et un brin de constance. On se dit rendez-vous dans ... ans.