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Avec le tremblement,
une stupeur bien connue

Avec le tremblement, 
une stupeur bien connue © Sachindra Rajbansi

Le "Royaume Ermitage" a tremblé. Les "Marches qui donnent accès au Paradis" se sont écroulées. Et tous les projecteurs se tournent vers le lieu où naquit le Bouddha. Là où se donnent rendez-vous de longue date les épris de hautes montagnes. Aujourd'hui, d'autres préoccupations foulent ces dénivelés. 


"Le Népal est un endroit béni, et l'on connaît peu de voyageurs qui en soient revenus déçus", vantait le guide du Routard consacré au pays qu'arpentent régulièrement des milliers de touristes. Aujourd'hui, c'est un flot de messages de soutien et de promesses de dons qui viennent des quatre coins de la planète à l'adresse népalaise. Un véritable "déferlement" de médias, d'aides internationales, comme le constate, sept jours après le tremblement de terre, Bruno Deceukelier, coopérant de Solidarité mondiale (ONG du MOC) basé à Katmandou.

L'effervescence humanitaire suscite d'ailleurs la critique. Et les pérégrinations de B-Fast (Belgian First Aid and Support Team) participe du malaise. Partis de Belgique, les professionnels du secours d'urgence ont rencontré encombrement de la piste d'atterrissage et  ajournement de leur mission de sauvetage. "Le monde entier est au Népal", indique le journal Le Monde ce 2 mai(1), qui décode aussi derrière les élans de générosité de certains pays, des intérêts géopolitiques. Ceux des voisins indiens et chinois notamment. Quoiqu'il en soit, la coordination des secours semble fort difficile. "L'aide internationale arrive maintenant en permanence, avec des gros porteurs qui bloquent désespérément la piste d'aviation, écrit Bruno Deceukelier(2). Mais si on est au sol, on voit surtout des Népalais qui s'hébergent les uns, les autres, qui distribuent de l'eau, qui se portent volontaires pour aller dans les quartiers ou les régions touchés. La vallée de Katmandou commence à s'organiser et à avoir plus facilement accès à l'aide; mais en dehors de la Capitale, les infrastructures, les routes et les informations sont difficilement accessibles".

La solidarité locale est certainement une des clés pour traverser cette catastrophe. Et tout ce qui a été semé jusqu'ici, peut-être d'un soutien salutaire en ces temps chahutés. Ainsi le Fonds de solidarité qu'organisent Gefont et NTUC, deux grands syndicats népalais, partenaires de très longue date de Solidarité mondiale, viennent aujourd'hui bien à propos. Alors que leur fête du 1er mai se transformait en cérémonie et voyait s'allumer 6.000 bougies en souvenir des victimes, les organisations syndicales népalaises assurent une entraide précieuse. Les voilà entièrement concentrées sur les premiers soins d’urgence et sur l’inventaire des besoins en termes de reconstruction.

Une pensée traverse nombre d'entre nous. Elle renvoie en janvier 2010, en Haïti. Elle renvoie en décembre 2004, et aux côtes d'une partie de l'Océan indien dévastées par le Tsunami. Etc. Les appels aux dons affluent. Les urgentistes internationaux se mobilisent sous les caméras. Le décompte des victimes fait l'actualité. Puis on oublie la zone, avec ça et là une évaluation – tantôt satisfaite, tantôt acerbe – du déploiement international. Aurons-nous tiré les leçons de ce récent passé? Rien n'est moins sûr. Les propos de Frédéric Thomas, chargé d'études au Centre tricontinental (Cetri), alors qu'il évoque l'action des humanitaires en Haïti  deux ans après le séisme, font office de piqûre de rappel: "l'aide internationale est nécessaire. Mais elle doit changer de base, se dégager de l'assistancialisme et embrasser la perspective de la solidarité"(3). Aujourd'hui encore, dans les colonnes de La Libre, il constate la prolifération d'humanitaires dans la gestion des grandes catastrophes. "Une assistance internationale (…) doit d’abord être filtrée ou elle ne fera que compliquer la tâche des autorités. (…) Au lieu de vouloir être absolument le premier arrivé sur place pour communiquer là-dessus, il vaudrait mieux attendre 24 heures et évaluer davantage les besoins de la situation."(4) Et surtout laisser aux premiers concernés l'occasion de s'organiser, de choisir leur reconstruction, tout en les soutenant au long court.