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Construire des temples de bonté

Construire des temples de bonté © UCL H.Depasse

Ce lundi 12 septembre, ils sont cinq – comme les cinq doigts d'une main unis dans un même geste, dit la journaliste Hadja Lhabib en les présentant. Le catholique, Jozeph De Kesel. Le musulman, Salah Echallaoui. Le juif, Albert Guigui. Le protestant, Steven Fuite. Et à l'image du pouce levé de ce quintet, le Dalaï-Lama, bouddhiste, d'un optimisme viscéral, rayonnant de sérénité et taquin à souhait. Leurs mots convergent.


Côte à côte, ils s'asseyent. Face à eux plusieurs centaines de jeunes gens. Élèves de rhéto, issus de l'ensemble des réseaux d'enseignement. Étudiants de l'UCL. Croyants ou pas. Peu importe. Ces orateurs de marque leur parleront sans ambages, sans fioritures, sans prosélytisme, d’une commune humanité. La manière dont ils se rejoignent est marquante. Chacun parle finalement à sa manière d'amour, comme du chantier de chaque être sur terre. L'amour du prochain – disons même du lointain : du différent, de celui qui se montre si étrange à mes yeux, qui conçoit le monde si différemment de moi, croit tout autre chose que moi.

Avec les mots du poète musulman andalou Ibn'Arabi (XIIe siècle), repris par le Président de l'Exécutif des musulmans de Belgique en fin de rencontre, on réalise l'ouverture que cela nécessite : "Mon coeur est devenu capable d'accueillir toute forme. Il est pâturage pour les gazelles, abbaye pour les moines. (…) Il est table de la Thora. Et aussi les feuillets du Coran. (…) L'amour est ma religion et ma foi". Sa parole résonne avec force, alors que d'aucuns tendent à confondre Islam et déclaration de guerre.

Une vision candide de vieux religieux déconnectés ?

Des propos simplistes, voire niais ? Oh que non ! Plutôt la parole d'hommes sages dépouillés de toute stratégie de puissance, touchant à l'essence de notre passage sur terre et convaincus qu'il est grand temps de réorienter nos manières d'être au monde. Reconnaître notre humanité commune et à quel point nous sommes tous interconnectés : le message est clair dans la bouche du Dalaï Lama. À ses yeux, les religions théistes et non théistes, reconnues chacune dans leurs différences, doivent jouer un rôle majeur pour créer l'harmonie entre les sept milliards d'êtres humains (1).

Le quintet adopte une posture radicale de non-violence, de respect et de compassion. Il condamne toute action terroriste, toute atteinte à la vie d'autrui. Il porte la conviction que chaque être doit développer ces "qualités de coeur" comme les qualifie le Dalaï Lama, à côté des compétences cérébrales.

En y repensant bien, on ne voit plus rien de simpliste dans leur invitation. Au contraire, on perçoit l'étendue du chantier et son importance. Trop souvent, nous nous occupons davantage de nos cerveaux, de notre confort matériel… que de nos âmes et de nos coeurs. Où trouvons-nous l'espace pour cultiver cet amour altruiste dont témoignent ces cinq voix aux rites pourtant différents ? Comment veillons-nous à notre "maison commune" (2) ?

Sous-jacente à l'invitation de ces cinq hommes, on perçoit, si l'on veut une rencontre vraie, la nécessité de deux ingrédients : à la fois un engagement personnel, un chemin spirituel, une pratique choisie ; et aussi une reconnaissance, une ouverture et un respect pour la multiplicité des religions, des croyances. Comment ne pas voir alors l'étendue du parcours à mener, en parallèle en soi et autour de soi ?

"Certes, nous avons compris aujourd'hui qu'il fallait dialoguer, mais nous n'en sommes pas pour autant capables ! Le chemin est long et nous ne devons pas croire que nous sommes arrivés !"

Une révolution douce

La mobilisation interreligieuse n'est pas toute neuve. On se souviendra des responsables religieux en habits, défilant côte à côte à Bruxelles, encadrés par un service de sécurité relativement léger, une fleur à la main. Nous étions le 15 mars 2016. Représentants des religions et de la laïcité en Belgique montraient par ce geste finalement très simple – mais ô combien symbolique – leur désir partagé de vivre ensemble dans la paix. Ils fortifiaient l'intention dans une marche lente mais résolue pour affirmer une commune humanité, un respect profond pour la diversité des convictions.

Pour l'observateur averti, la rencontre interreligieuse participe pourtant d'une évolution récente des religions. Elle témoigne d'un "extraordinaire retournement", comme le qualifie Pierre-François de Béthune, moine à Clerlande. "Il me semble important de ne pas oublier que nous venons de loin, pour ne pas être présomptueux, observe ce catholique initié à la tradition zen. Certes, nous avons compris aujourd'hui qu'il fallait dialoguer, mais nous n'en sommes pas pour autant capables ! Le chemin est long et nous ne devons pas croire que nous sommes arrivés !"(3). Il en appelle à la patience, à l’égard de ceux que l'on a méprisés durant des siècles. Il évoque la véritable hospitalité, faite de paradoxes entre l'attachement à ses croyances et l'accueil inconditionnel. Une aventure à tenter sans tarder.