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Dans une atmosphère traversée par des soupçons de complot

Dans une atmosphère traversée par des soupçons de complot Cette complexité du réel, complétée d'une méfiance grandissante à l'égard de nos élus et d'un sentiment d'impuissance prépare un terrain idéal à certaines théories aux accents complotistes.
© Istockphoto

Face aux événements qui nous laissent cois, bousculent notre logique et nous apparaissent suspects, la tentation est parfois grande de penser à la manœuvre de quelques intrigants. Biberonnés aux films d'espionnage et aux séries policières, nous voilà tentés de croire que la réalité rejoint la fiction. Les théories du complot ne sont pas loin. Internet en regorge. Comment s'en défendre ?


Il y a dans l'air comme un vent favorable pour se pencher sur le complotisme. Enseignants, éducateurs… sont demandeurs. Parce qu'ils se trouvent aux prises par exemple avec des explications singulières des attentats du 11 septembre 2001 ou avec la remise en cause de la version officielle autour de l'attaque de Charlie Hebdo en 2015… Mais l'intérêt va au-delà des bancs de l'école.

Notre monde "soumis à un flux croissant d'informations complexes, soumis à l'incertitude"(1) générerait beaucoup d'angoisse. Ainsi, trouver réponse à "chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce – la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat" dans "l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal", pourrait rassurer. Les sirènes du manichéisme opposant le bien au mal résonnent alors avec force aux oreilles de chacun d'entre nous. On cherche un responsable, une cause… quitte à le trouver dans un monde caché, secret.

Cette complexité du réel, complétée d'une méfiance grandissante à l'égard de nos élus et d'un sentiment d'impuissance à faire bouger les choses, prépare un terrain idéal à certaines théories aux accents complotistes. Et ce d'autant plus qu'elles s'appuient sur notre capacité à douter. Ce fameux doute auquel il est recommandé de recourir dans l'usage de notre esprit critique.

Tendance humaine ?

Comme le suggère Edgar Szoc, auteur d'un récent ouvrage sur le sujet (2), une série de mécanismes – communs à tout être humain – facilite l'adhésion à de telles théories. Citons deux exemples de ce que l'auteur qualifie de "biais".

  • Le biais d'intentionnalité : "les êtres humains manifestent une préférence pour l'explication intentionnelle – plutôt que non intentionnelle – d'événements ponctuels ou de transformations globales. (…) Nous serions 'neuronalement' câblés pour attribuer des intentions." Nous avons du mal avec l'accidentel. Nous considérons comme plus crédibles des récits qui s'appuient sur une volonté, que ceux qui sont inexpliqués voire inexplicables.
  • Le biais de la confirmation : une fois que nous croyons avoir trouvé la vérité, nous cherchons à la confirmer, quitte à rejeter un élément nouveau qui tendrait à déranger cette certitude.

Le web en exhausteur

Or, le web répond de plus en plus à notre envie d'être conforté. "À l'heure où Internet propose pour chaque phénomène un éventail quasiment infini d'explications, chacun aura loisir d'y trouver confirmation de son hypothèse de départ (…)", observe l'essayiste. Plus encore, nous ne devons même plus chercher.

La Toile a fâcheusement tendance à prendre la forme du paysage que nous (et nos amis Facebook) avons dessiné par nos clics, sans ouvrir nos horizons. Par l'entremise des algorithmes, l'internaute a accès à des "opinions tendanciellement conformes à celles pour lesquelles il a manifesté de l'intérêt au préalable". On parle de bulle de filtrage.

Exemple : "en fonction de ses clics précédents, un internaute se verra proposer prioritairement tel résultat de recherche plutôt que tel autre par Google ou tel statut et pas tel autre sur sa ligne du temps Facebook". Notre biais de confirmation se voit largement renforcé par le web.

Des antidotes qui visent large

Assurément, à l'heure où l'information se mue en marchandise, où le buzz prime sur les démarches de recherche, de recoupement…, le comportement du citoyen-lecteur-consommateur d'info est d'importance. "Chaque clic est un acte éthique", résume, en un clin d'œil, Edgar Szoc.

Hormis cette prise de conscience – à maintenir en éveil, il est essentiel de suivre l'auteur jusqu'au bout de son analyse. Son interpellation quitte alors le champ de l'éducation aux médias, pour entrer sur un terrain plus vaste, celui de notre projet démocratique. Le désenchantement est palpable. Les théories du complot en seraient une expression. Inégalités croissantes, perspectives de transformation sociale absentes, démobilisation…, c'est là qu'il s'agit alors de s'investir sous peine de soigner le symptôme, pas la maladie.

>> Plus d'infos
E. Szoc, "Inspirez, conspirez. Le complotisme au XXIe siècle", éd. La Muette, 2016 • Déconstruire les théories du complot, outil pédagogique réalisé par BePax, voir http://www.bepax.org/.