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De "Hart boven hard" à "Tout autre chose"

De © hart-boven-hard à Kortrijk

Une énorme banderole avait marqué le cortège des quelque 120.000 manifestants et certains observateurs, le 6 novembre dernier. Son originalité tenait à ses auteurs. En suivant le trajet convenu entre syndicats et forces de l'ordre, tous sont en effet passés sous le calicot "Hart boven hard".


Avec sa façon de rimer "hart boven hard", un mouvement citoyen issu du Nord du pays affichait ainsi sa maxime : "le cœur, pas la rigueur". Qui sont-ils ? Des individus et des associations préoccupés par les politiques prévues au niveau du gouvernement flamand et du fédéral. Ensemble, ils forment cette plateforme qui brosse large apparemment : des étudiants aux retraités, de l'associatif culturel aux acteurs sociaux (1). Une condition de son succès tient d'ailleurs certainement à la force du nombre. Les adhérents se rassemblent autour d'une déclaration politique alternative, autour de "hartenwensen" (souhaits du cœur) et d'une vision qu'ils entendent "positive". Dans leurs aspirations, la part belle est faite à l’"homme apprenant, créatif, bienveillant, social…", et leurs critiques pointent l'économicisme qui "ne nous mène pas vers un monde meilleur".

Était-ce là un ovni dans le ciel sombre de l'automne, alors que le fossé semblait se creuser chaque jour un peu plus entre les syndicats et le gouvernement fédéral ?

Il est trop tôt pour savoir si le mouvement de citoyens flamands relèvera de l'éphémère. Une chose est certaine, il a déjà donné du souffle. Ainsi, côté francophone, vient d'apparaître "Tout autre chose". La filiation avec "Hart boven hard" est affichée. "Nous sommes les partenaires francophones de nos amis flamands de Hart boven hard qui nous ont ouvert la voie", indique le site qui en appelle à la construction de "Tout autre chose" (2). L'intention est identique : "faire virer de bord le paquebot sociétal et lui faire faire mouvement vers de tout autres horizons"; "s’appuyer sur nos innovations locales" ; "repenser la démocratie, l’école, la sécurité sociale, et tant d’autres systèmes qui 'tiennent ensemble'" ; "penser transversalement"…

Et "Tout autre chose" n'en dira pas plus. Pas à ce stade. Car l'impulsion citoyenne s'inscrit dans une optique de "réappropriation du débat public"; pas de clé sur porte, pas de prêt-à-penser. La "cellule scientifique" de "Tout autre chose" a certes rédigé l'appel, mais la suite s'écrira dans un processus volontairement participatif. Une fameuse gageure. Une exigence de plus en plus partagée par ceux qui veulent élaborer un devenir collectif. "Il nous faut oser penser hors cadre, débattre, confronter nos esquisses, chercher des points d’accord", estime "Tout autre chose". Le mouvement se prépare – au départ d'une mobilisation sur Facebook. Il semble bien conscient que le temps man que souvent aux habitants que nous sommes d'un monde survolté. Actuellement, diverses formules d'action sont proposées en fonction du temps disponible : une minute, 15 minutes, une heure et plus, pour que l'idée rayonne. Bientôt des débats de fond amèneront à faire naître ou à renforcer les alternatives que la plateforme appelle de ses vœux.

Des expériences de participation citoyenne

Voilà qui témoigne sans doute d'une citoyenneté en mutation, observée par certains. "Une démocratie uniquement représentative, où les citoyens se contenteraient de voter et de rester passifs entre deux élections, ne tiendrait plus la route", supposait la philosophe Majo Hansotte dans un ouvrage sur les "Intelligences citoyennes" paru voici près d'une dizaine d'années (3). La participation des citoyens qui proposent, refusent, suggèrent, dénoncent… avec comme visée la recherche de l'intérêt général deviendrait essentielle.

Les expérimentations se multiplient : du G1000 au récent colloque délibératif sur la démocratie participative organisé par la Fopes (Faculté ouverte de politique économique et sociale) (4), en passant par l'élaboration coopérative d'une nouvelle banque. Plus que de cogiter, des méthodes de construction d'une l'intelligence collective sont testées. Leur premier défi est de dépasser l'accumulation d'intérêts particuliers qui risquent vite la cacophonie, pour aller vers l'analyse collective, puis vers le déploiement de pistes concrètes. Le deuxième défi de "Tout autre chose" sera de réussir à "brasser largement" au sein de la population et de cohabiter avec les mouvements sociaux et syndicaux existants. Le tout sans se faire de l'ombre et sans se limiter à recueillir l'engagement de citoyens déjà multi-engagés.