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En vacances à domicile

En vacances à domicile © PHOTOALTO/BELGAIMAGE

Où partez-vous cet été? Loin, dans votre jardin intérieur… Oups. Est-ce bien sérieux? Car la bonne santé de l'économie est jaugée en fonction du nombre de juilletistes ou de aoûtiens sur la route des vacances. Plus ils prennent la destination soleil, plus ils envisagent de dépenser pour leurs périples, mieux on se porte, diront les voyagistes. Une tare alors de ne pas partir?


Notre époque fait la part belle aux voyages. Le dépaysement – même pour un temps restreint – est de bon ton. Quelques jours à l’étranger seraient le gage d’une année comblée. “Nouveau dogme contemporain : une vie sans départ ne pourrait se concevoir comme réussie”, remarque Sébastien Jallade(1) fondateur de Voix nomades, un site Internet de voyageurs.

Ainsi, boucler ses valises, passer les frontières, vivre un ailleurs… sont devenus presque banals, conditions sine qua non du “dé-stress”, du repos ou de la fuite d’un quotidien harassant. Quitte à y mettre les moyens (une estimation de 2.577 euros pour l'été 2014). Quitte à se doter d'œillères pour éviter de ternir “la carte postale idyllique” avec les problèmes majeurs vécus par les habitants des pays d'accueil. On pense à la Grèce mais aussi à l'Espagne où 717.000 Belges se sont rendus depuis janvier. “Il est fort à parier que le touriste prendra moins de plaisir à siroter sa sangria, entouré d'un peuple psychologiquement meurtri et matériellement précarisé”, présume Cristal Huerdo Moreno, traductrice en espagnol à l'Université Saint-Louis (Bruxelles)(2). Résultats au retour...

Mais cet été, un Belge sur deux ne partira pas entre juin et septembre. Or, voici cinq ans, les baromètres estimaient les “sans départ” à un sur trois. Assistons-nous à un tassement? À un nouveau penchant? Les chasseurs de tendance ont en tout cas déjà trouvé le néologisme en vogue pour qualifier ce phénomène: la “staycation”. Entendez “stay” pour rester et “vacation” pour vacances. Les vacances à domicile séduiraient les jeunes générations. Au programme : lire la série de romans qui attendent sur la table de chevet, entamer un cycle cinématographique sur l'écran du salon, tester des circuits de balade dans les environs, mitonner des petits plats aux saveurs d'été, inviter des voisins à prendre l'apéro, bricoler quelques aménagements que le quotidien délaisse, s'initier à la peinture… voire ne rien faire de particulier. On pense à ce bloggeur “qui ne voulait pas conquérir le monde, mais être conquis par lui”, et se proposait l'an dernier de sortir sur le pas de sa porte, d'humer l’air alentour, d'ouvrir toutes grandes ses écoutilles et de présenter sur son blog les “gens d’à côté”.

Pour réussir cette formule de vacances, le journal Vers l'avenir donnait en 2013 quelques conseils : avertir l'entourage de son départ en voyage, programmer le téléphone en mode silencieux, réserver le dernier jour aux tâches ménagères comme le vacancier lorsqu'il quitte son hébergement, immortaliser, par des photos de vacances, les moments forts de ce séjour chez soi…

Car un périple à succès se marque aussi par l’importance des souvenirs. Aux yeux de beaucoup d’entre nous, ils devront idéalement prendre la forme de photos, preuves de notre passage et rappels des émotions ressenties. Pourtant les photos prises avec un automatisme parfois frénétique nous donnent-elles réellement accès aux souvenirs du moment? D'après Alain de Botton auteur de L’art du voyage(3), “on peut certes percevoir la beauté en ouvrant simplement les yeux, mais la durée de sa survie, dans la mémoire dépend du degré d’attention avec lequel on l’a appréhendée. L’appareil photo brouille la distinction entre regarder et remarquer (…).” Alors, Alain de Botton encourage à dessiner ou à peindre en mots au cours de nos voyages pour consolider nos impressions, les retenir : joli défi pour les vacanciers du domicile. “En recréant avec notre propre main ce que nous avons sous les yeux, nous passons naturellement d’une vague contemplation de la beauté à une situation dans laquelle nous acquérons une profonde compréhension de ce qui la constitue et pouvons donc mieux nous en souvenir”.

Lointaines contrées ou paysages à une encablure de chez soi : le voyage est au rendez-vous de celui qui prend le temps… Il peut être quasi immobile. Il peut se présenter au bout du jardin, aussi. En y regardant bien, la découverte ne nécessite pas toujours des kilomètres. Bon voyage.