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Et vous, qu’est-ce qu’on vous souhaite ?

Et vous, qu’est-ce qu’on vous souhaite ? © Imageglobe

A cette époque de l’année, les vœux pleuvent. “Que peut-on vous souhaiter pour 2014 ?”, demande-t-on en vous embrassant une, deux, trois voire quatre fois, selon l’usage du cru. Plein de bonnes choses, répondra l’omnivore. La santé, dira le pragmatique, considérant que "quand elle va, tout va". L’amour, osera le célibataire en mal de romance. Et l’indécis de s’interroger encore sur ce qu’il souhaiterait, l’accolade passée au suivant. Le pudique de ne formuler ses souhaits qu’en son for intérieur.


La question tient souvent du mécanique. Mais la réponse peut dévoiler bien des choses : des intentions plus ou moins précises, de bonnes résolutions plus ou moins réalistes, des projets ou l’absence de programmation pour l’avenir. Quant aux vœux exprimés par courrier, courriel ou sms, ils viendront toucher juste… ou pas. La gamme semble infinie: du simple “meilleurs vœux” aux souhaits plus élaborés de bonheur, chaleur, douceur, prospérité, solidarité… À n’en pas douter, ces vœux révèleront une part de l’état d’esprit de l’expéditeur, de ses propres attentes pour l’année qui vient.

Il y a deux sortes d’ambition”, lance le romancier Iegor Gran en introduction aux épopées de son dernier récit en date(1). L’ambition est une notion peu théorisée. Avec le talent de l’écrivain et un humour décalé, Iegor Gran en parle comme d’un “courant électrique qui nous traverse, nous anime”. Il y a l’ambition Lego®‚ et l’ambition Playmobil®, précise-t-il. Son allégorie est en phase avec cette période de fêtes où le commerce – des jouets notamment – bat son plein. Lego ou Playmobil ? Voilà une petite philosophie de la construction existentielle. Sans prétention, mais très parlante.

Côté Lego, on se construit doucement, par étapes mûrement réfléchies, avec un plan. Pierre après pierre, la mosaïque s’élabore. “Comment imaginer que de ces centaines de morceaux aux couleurs différentes sortira une construction, une fusée? Il le faut pourtant. On s’y attèle”, explique l’écrivain. Tranquillement, pas à pas, durablement. “Tout a été prévu, calculé. Si l’on a assemblé deux briques par erreur et pressé fortement, il est difficile de revenir en arrière”. Ainsi, la vie du Legomane, comme on pourrait le qualifier, suit une certaine prévisibilité rassurante: on passe des diplômes, on effectue de petits stages, on commence comme en bas de l’échelle, on devient contremaître, etc. On loue d’abord un petit studio, on en devient propriétaire, puis on achète plus grand, etc. S’il y a un léger décalage entre les briques, il est maîtrisé. Car aux yeux de l’ambitieux version totalement Lego, “le rêve est l’ennemi de la réalité, il freine et fait faire des bêtises”. Loin de lui, l’attitude girouette qui l’amènerait à “se trémousser au gré des coups de foudre”.

Côté Playmobil, l’ambition se montre très différente. À peine les éléments sortis de la boîte, on peut déjà y jouer. Les assemblages sont prêts à l’emploi. Alors, cela va vite, très vite. “Des croisés, on passe au château, du château à l’oasis”, etc. L’ambitieux Playmobil s’aventure du coq à l’âne, au gré de son inspiration, et fidèle à ses devises : découvre, invente. Il s’épanouit dans le changement, se rêve artiste et libre. Iegor Gran dresse à gros traits son parcours : “On abandonne une maîtrise de maths pour basculer sur le latin, puis ayant fait une charmante rencontre dans un musée, on s’imagine docteur en histoire de l’art. Après deux heures de cours sur la datation des amphores à l’Ecole du Louvre, on se dit que c’est prise de tête, et l’on revient aux mathématiques mais en auditeur libre cette fois, le temps de tomber dans un bouquin de statistiques, et soudain, le monde change de couleur”.

N’abordons-nous pas tous la vie soit comme un peu Lego, soit comme un peu Playmobil? Ne nous arrive-t-il pas aussi de passer de l’un à l’autre ou de panacher nos ambitions? Assurément, aucune des deux ne semble meilleure que l’autre. “Les deux subissent des échecs, peuvent faire mal”, précise l’auteur. Le Lego se prendra à rêver de légèreté et de risque. Le Playmobil de constance et d’assiduité. L’un comme l’autre pourront par contre cultiver “le goût de l’avenir”, “avec une certaine gaieté”, comme l’appelle de ses vœux l’essayiste Jean-Claude Guillebaut(2). “Le goût de l’avenir, écrit-il, passe par la certitude joyeuse que les catastrophes ne sont pas programmées, que le pire n’est jamais sûr, que le futur n’est pas décidé et que tout regret est un poison aux effets lents”.

Que peut-on vous souhaiter pour 2014? La question n’est finalement pas si anodine. La réponse non plus. Tâchons de formuler l’une comme l’autre sincèrement, de les écouter pleinement. Et glissons-y le clin d’œil qui nous conviendra.

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