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Glorieuse incertitude

Glorieuse incertitude © RogerViollet-Belgaimage

Faire rimer science et évidence. Vouloir une médecine qui maîtrise, qui ne tâtonne pas. Considérer que les pathologies sont prévisibles et les soins planifiables… Voilà qui oublie un peu vite la part inévitable d'incertitude dans l'art de guérir aussi.


"Après quelques dizaines d'années de pratique comme médecin et un certain nombre de cheveux gris, ce dont je suis sûre, c'est que si l'université se donne la mission de former ses carabins à grands coups de certitudes, les patients ont tôt fait d'initier les médecins à l'incertitude. Et comment en serait-il autrement, sauf à croire que nous sommes les maîtres du monde ?" La réflexion vient de Cécile Bolly, médecin généraliste et aussi guide-nature… chargée de cours en éthique (UCL) (1).

Ses angoisses plein les bras 

Les "vignettes cliniques" – ces descriptions de cas concrets que les soignants formulent pour alimenter la réflexion sur leurs pratiques – pourraient se décliner à l'infini.

En voici une: "Antoine avait une grosse farde sous le bras quand il est venu me trouver quelques jours après qu'un chirurgien lui a annoncé qu'il souffrait d'un cancer du rectum. Cette farde ne contenait pas son dossier médical, mais bien de nombreux documents trouvés sur Internet. L'évolution et le pronostic qu'ils annonçaient étaient bien plus péjoratifs que ceux du chirurgien. Et tout en sollicitant mon avis [Ndlr: celui de son médecin traitant], Antoine me confiait sans doute une mission impossible. Je sentais en effet que les récits pessimistes diffusés sur la Toile avaient bien plus de poids que les articles scientifiques auxquels je faisais référence et qui contenaient des éléments objectifs plutôt rassurants. Antoine ne jouait certainement pas à se faire peur, mais je sentais bien qu'il ne me faisait pas confiance. Peut-être avait-il besoin de penser au pire comme pour diminuer la souffrance à venir, en se préparant à affirmer qu'il savait depuis le début que ça n'irait jamais? Peut-être était-ce une manière de garder un certain pouvoir à un moment de grande vulnérabilité? Peut-être…". Aux yeux de Cécile Bolly, s'il est du devoir du soignant de rassurer les patients, il lui faut reconnaître qu'il ne peut pas toujours le faire. Il lui faut aussi accompagner le patient dans l'incertitude, comme on marche aux côtés de quelqu'un en le soutenant dans une traversée difficile, hésitante. La situation est inconfortable, certes, par rapport au modèle en vogue d'une voie toute tracée, évidente. Mais la démarche d'écoute est précieuse, laissant la place à un temps de maturation, d'évolution – un temps précieux lui aussi dans un monde marqué par l'empressement.

Ce vide que l'on a tendance à fuir

La comparaison avec la marche ne s'arrête pas là. Ainsi des soignants établissent un parallèle imagé entre nos façons contemporaines de marcher et les parcours de soins attendus des malades. Aujourd'hui, nous avons tendance à préférer la marche à vive allure – avec des bâtons –, à la promenade. Comme le patient qui "ne peut plus perdre le moral", qui doit sécher fissa ses larmes ou éviter tout court de pleurer, qui "ne peut plus douter", qui doit s'inscrire dans une série de programme de soins, dans l'action permanente… et surtout éviter le vide.

Dans notre monde, on exige de la certitude et du contrôle. Mais "les certitudes sont des vérités de laboratoire", avance Jean-Michel Longneaux, rédacteur en chef de Ethica Clinica (1). "Sortir du laboratoire, c'est retrouver les 'biais', les imprévus, l'aléatoire, le particulier : en un mot les personnes." La médecine tient alors davantage de l'art, de l'adaptation, de la prise de risque que de la certitude statistique. Les conclusions des études cliniques appelée Evidence based medecine (la médecine fondée sur les preuves) ne devraient d'ailleurs pas être considérées comme des recettes de cuisine, indique le docteur Benjamin Fauquert, président de l'ASBL EBMpraticeNet. À entendre ces réflexions éthiques, on perçoit que l'Evidence based medecine tient de la recommandation, certes mais surtout de l'incitation à raisonner, à se questionner toujours plus. Le but de l'attitude scientifique n'est-il pas de sans cesse interroger les certitudes ?

Comme le suggère la virologue Lise Thiry, en faisant l'éloge du doute, "Il faut qu'à chaque âge nous ayons droit à nos improbabilités et à nos surprises".