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Grosses inquiétudes pour notre modèle social

Grosses inquiétudes pour notre modèle social Le financement de la sécu traduit en fait les solidarités que nous mettons en œuvre dans notre société. le gouvernement fédéral y porte atteinte.
© Pixabay

Sans grand retentissement médiatique jusqu'à ce début d'année, une réforme majeure a occupé les intentions gouvernementales. Elle concerne le financement de la sécurité sociale. Raison du relatif mutisme autour du sujet, il n'est pas des plus "sexy"… Pourtant, il comporte des risques d'envergure.


Nous sommes le 2 janvier 2017. Et c'est un véritable "front social" qui se mobilise, non pas en battant le pavé mais en éventant l'affaire et en tentant d'expliquer les enjeux sous-jacents. Le MOC et son pendant néerlandophone, beweging.net, la MC et Solidaris, l'ensemble des syndicats ainsi que le PAC (Présence et action culturelle) : tous signent un cri d'alarme commun face à un projet de loi en cours d'élaboration (1). Raisons de leur sortie : "les pensions doivent être garanties, les soins de santé doivent être remboursés et les invalides indemnisés. La réalisation de ces objectifs n'est pas illusoire. (…) Il n'est pas concevable que les politiques fiscales non abouties du gouvernement aient pour conséquence de faire payer l'addition aux citoyens. Ceux-ci ont déjà donné, ça suffit !"

Face au projet des Ministres De Block et Borsus visant à réformer le financement de la Sécu, ils en appellent à un changement de cap, sans quoi ils prédisent la fin de notre modèle, et la fragilisation de quantité de citoyens. Reprenons à la base. La sécurité sociale, c'est – dans le concret – le versement des pensions, le remboursement de frais médicaux, les revenus de remplacement en cas d'incapacité de travail ou de chômage…

Finalement, la Sécu donne la possibilité de vivre dignement face aux aléas de la vie. Son financement traduit en fait les solidarités que nous mettons en œuvre dans notre société. Dans notre modèle belge, il est assuré essentiellement par les cotisations sociales versées par les employeurs et les travailleurs. Auxquelles vient s'ajouter ce que l'on nomme le financement alternatif issu de la TVA, des accises, du précompte mobilier notamment.

Consolider plutôt que réduire

Revoir les mécanismes de financement de la Sécu apparaît comme une évidence aux yeux de tous, avec la 6e réforme de l'État et le transfert de certaines matières aux entités fédérées (Régions et Communautés), avec la réduction des cotisations sociales décidée à l'été par le gouvernement fédéral (le Tax shift)… Mais le bât blesse sur la manière et sur des intentions qui ne diraient pas leur nom.

Parmi les critiques, le sous-financement larvé. "(…) on renforce le déséquilibre criant entre le laxisme en termes de recettes fiscales et la rigueur à l'encontre des allocataires sociaux et des soins de santé", estime le front social qui s'inquiète aussi de voir soumise la Sécu aux aléas de chaque discussion budgétaire au sein du gouvernement. En inscrivant dans la loi une croissance de la subvention de l’État pour la sécurité sociale inférieure au PIB, c'est le sous-financement que le gouvernement propose, ajoute le secrétaire général de la MC, Jean Hermesse.

Pourtant, une chose est certaine : les évolutions démographiques mènent immanquablement à l'augmentation du nombre de pensionnés, du nombre d'invalides… C'est donc plutôt une consolidation qu'une réduction qu'il y aurait lieu d'amorcer… À moins de précariser davantage de personnes encore.

Exit des partenaires sociaux

Autre pierre d'achoppement : la gestion paritaire. "Le projet de loi met hors-jeu les partenaires sociaux (NDLR: syndicats, mutualités…)", indiquait Jean Hermesse lors d'une audition en Commission Affaire sociales de la Chambre, ce vendredi 13 janvier (2). Certes il est question de leur "responsabilisation" financière (une notion connue de longue date au niveau des soins de santé, et donc des mutualités), mais comment être rendu responsable, si on n'a pas de possibilité de participer à l'élaboration des budgets ? La réforme proposée ne pourra que mettre les partenaires sociaux devant le fait accompli, estime le front social. Il dénonce le projet d'une gouvernance soi-disant neutre et technocratique qui cacherait – mal – le renforcement du pouvoir du gouvernement.

Pascale Vieille, professeur de Droit à l'UCL, a aiguisé la crainte face à la Commission Affaires sociales de la Chambre. Son analyse : le gouvernement fédéral ne conçoit pas la sécurité sociale "comme un véhicule de solidarité, ni comme un amortisseur social de crise, ni comme un pilier de notre modèle socio-économique ou comme la réponse à des besoins sociaux. (…) La pierre angulaire du gouvernement est la réduction des cotisations [patronales]. La variable d'ajustement se trouve alors dans les dépenses sociales." Et d'ajouter qu'à ses yeux, le projet de loi consacre la liquidation d'un système sans rien proposer de nouveau, mais en laissant apparaître un glissement.

À l'horizon : un modèle libéral anglo-saxon entraînant "une privatisation substantielle de la protection sociale au bénéfice de ceux qui en ont les moyens". Voilà bien ce que les organisations sociales dénoncent.