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Jouer collectif

Jouer collectif © Géraldine Taymans

Cet été, les allées de nombreux parcs se sont parées de lampions, tables et tabourets. Un mobilier estival souvent installé autour de maisonnettes transformées en lieu de restauration. Familles, seniors, jeunots, solo, duo, trio… On y cause, on y joue, on y mange, on y écoute le bruit des feuilles chatouillées par le vent.


Certaines de ces maisonnettes ont été rebaptisées "buvettes" ou encore "guinguettes", en référence aux cabarets populaires plantés sur les bords de Seine et Marne et dédiés à la danse et à la fête à l'extérieur. À Namur, "Quai Novèle" offre animations et concerts au bord de l'eau. Charleroi a pris ses "quartiers d'été" au parc Reine Astrid, et cette année encore, les livres de bibliothèques communales vont quitter leurs rayons et s'offrir un bol d'air en Wallonie et à Bruxelles grâce à l'opération "Lire dans les parcs". Partout, cet été, on sort, on bouge, on attribue de nouveaux rôles aux espaces situés pas loin de chez soi. Et elle est bien palpable cette envie d'animer, d'investir les rues, les pelouses, les places et les bancs qui font partie du quotidien. Des espaces communément appelés "publics" mais qui, pour différentes raisons – insalubrité, insécurité, etc. – peuvent être désertés ou deviennent trop souvent le repère d'activités peu recommandables.

Proposer, disposer

Mais il y a cette envie, suffisamment puissante pour pousser des riverains à se mobiliser afin d'embellir et de réveiller leurs coins de vie. Les élus et organismes de gestion des espaces publics, souvent, ne sont "pas contre". Leur collaboration est nécessaire à la mise en place de ces initiatives. Ainsi, 2017 est l'année "nature en ville" à Bruxelles. L'occasion de faire ou refaire des pauses vertes citadines. À Nantes, en France, les responsables de la Ville ont décidé de demander aux habitants de leur communiquer des projets pour redonner vie à 15 lieux abandonnés qui appartiennent au patrimoine public (1). Les idées seront soumises au vote des Nantais le printemps prochain. Une manière de faire appel à l'inventivité collective, de se sentir chez soi en dehors de la maison, mais aussi de responsabiliser la population face aux lieux environnants, de donner à sa ville, un peu, un autre visage.

Marcher, explorer

Parfois, l'enjeu n'est pas le réinvestissement ou la transformation. Dans certains quartiers, ruraux ou citadins, il consiste déjà à encourager tout un chacun à fréquenter des lieux qui semblent dotésd'une frontière invisible. Des exemples ? Depuis 2014, les habitantes d'une douzaine de villes françaises réfléchissent ensemble à comment se sentir à l'aise dans des territoires investis essentiellement par les hommes. Elles ont mis sur pied des marches exploratoires pour apprendre, simplement, à traverser des ruelles et des squares qu'elles contournent tous les jours.(2) Une fois l'expérience terminée, les marcheuses rencontrent les responsables et signalent les dysfonctionnements. Elles en ont pris conscience, elles "pointent des choses que les hommes en cravates ne verraient pas". Elles aussi "savent faire des trucs" et ne veulent pas "rester à la maison pour regarder la télé". Une synthèse des savoirs utile à la collectivité. À Molenbeek, l'association Aswa a mis sur pied une activité intitulée "femmes au café". Des petites sorties dans certains établissements dits "arabes" et dont la plupart sont uniquement fréquentés par des hommes. Là également, il est question d'envies. Envie d'échanges et de mixité.

De la convivialité

Ces élans créatifs, ces mouvements solidaires qui entrainent le dépassement des limites invisibles enthousiasment. Ils sont autant de témoins de l'importance de notre environnement. Car ce qui nous entoure est aussi ce qui nous lie. La façon dont on "vit" sa ville ou son village influe sur notre être. Et favorisera le repli sur soi ou l'élan vers l'autre. Mais les murs, l'herbe et les trottoirs communs ne portent pas seuls la responsabilité de la convivialité. La placette la plus charmante restera lieu stérile si l'on y privilégie le voisinage numérique, via les réseaux sociaux, plutôt que la connexion réelle. Un espace devient également accueillant quand on accepte d'élargir sa tribu et de dépasser "la manie de la clôture".(3) Et si l'on regardait au-delà de la haie du jardin ? Si l'on choyait ce petit sentier qui le longe, afin de le rendre agréable aux promeneurs ? Cela pourrait, peut-être, créer des contacts spontanés et devenir une nouvelle manière de "faire quartier".


(1) www.nantes.fr/15lieux
(2) www.lemonde.fr/societe/article/2017/05/20/des-marches-exploratoires-pour-reinvestirles-espaces-publics-occupes-par-les-hommes_
(3) Jean-Pierre Le Goff, La fin du village, éditions Gallimard, 2012