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L'économie collaborative, une bonne affaire ?

L'économie collaborative, une bonne affaire ?

© juliabatsheva - Fotolia.com

Les initiatives dites collaboratives ou de partage se multiplient, avec la créativité débridée d'une nouvelle génération d'entrepreneurs. Leur poids économique doublerait chaque année. Et elles récoltent l'engouement des consommateurs en recherche de bons plans ou stimulés par un souci éthique. Qui sont-elles ? Portent-elles de réels espoirs d'alternatives à l'économie traditionnelle?


Petites tranches de vie actuelle. Etienne descend dans le Périgord retrouver sa famille en vacances. Le trajet est long depuis Bruxelles. Il le rythmera de rencontres et d'étapes diverses. Il s'est en effet inscrit sur Blablacar, une plate-forme de covoiturage. Plus jeune, il a beaucoup pratiqué le stop. Voilà, pour lui, une nouvelle manière de rendre service, tout en rentabilisant son trajet. Les frais d'essence et de péage seront partagés avec ses passagers, selon une formule conseillée sur le site de la PME qui se targue de permettre "chaque mois à deux millions de personnes de voyager ensemble à moindre coût, tout en rendant les déplacements plus conviviaux et plus responsables".

Alexandra veut se rendre à Paris, pour soutenir des proches qui vivent des moments douloureux. Il ne leur est pas possible de l'héberger. Via le site Airbnb, elle réservera trois nuits chez José, qui n'occupe que ponctuellement son logement. Le petit appartement de son hôte deviendra un peu "chez elle", le temps de son séjour. Quant à José, il espère diminuer la charge que représente un loyer parisien, en sous-louant cet espace. Bienvenue dans la consommation collaborative, un domaine en pleine expansion.

Le partage multiforme

L'idée "partageuse" se décline à l'envi: avec les outils comme les tondeuses ou les machines à laver, avec les espaces de travail…, avec aussi des échanges non monétarisés de services, d'expériences, dans la lignée des déjà anciens SEL (système d'é changes locaux) qui ont vu le jour voici plus de vingt ans. Et ce n'est que la "partie immergée d'un iceberg", observe SAW-B(1). Car l'économie collaborative peut compter sur les opportunités de la Toile et des réseaux sociaux.

Le nouveau monde digital permet non seulement de consommer collaboratif, mais également de produire collectivement (jusqu'à des machines agricoles ou un modèle de voiture), de financer collectivement (le crowdfunding – financement par la foule – est le plus connu), de partager des savoirs et de les enrichir collectivement. Le phénomène foisonne surtout depuis deux ou trois ans, en partie mû par la nécessaire débrouille financière, sans doute aussi poussé par l'allant à mutualiser les ressources, à posséder moins et partager plus.

Tout en complexité

Pas de naïveté, cependant. Ces nouvelles manières d'envisager l'économie ne marquent ni la disparition de toutes nos habitudes consuméristes, ni la consécration du "moins de biens, plus de liens" que d'aucuns appellent de leur vœux. Car collaboratif ne rime pas nécessairement avec alternatif. "On ne peut ignorer les dérives – réelles ou potentielles – de l'économie du partage", estime Gaëtan Vanloqueren de SAW-B, à l'instar de nombreux observateurs issus de l'économie sociale et solidaire.

Parmi elles, il pointe çà et là: des stratégies d'évitement de taxes locales, l'accaparement de la valeur ajoutée créée par les citoyens au profit d'actionnaires, des visées monopolistiques, l'utilisation de sociétés localisées dans des paradis fiscaux, de la négligence pour les droits sociaux…

Tout n'est pas toujours rose dans l'économie collaborative. Et il semble furieusement temps de s'en préoccuper. Les débats autour d'Uber – plate-forme de "véhicules de tourisme avec chauffeur" – confirment que l'on a dépassé le petit créneau de niche, et que les secousses qui ébranlent l'économie "classique" ne laisseront pas sans
réaction. Les protestations des taximans à Londres, Paris ou Bruxelles pour concurrence déloyale somment les pouvoirs publics de prendre attitude.

Critique et enthousiasme

Récemment, on a pu entendre des intervenants lors d'une journée d'études du Ciep (Centre d'information et d'éducation populaire du MOC)(2), plaider pour une régulation de l'économie collaborative. Une régulation à la fois non bridante, qui laisserait se déployer la créativité citoyenne; à la fois encadrante, qui imposerait par exemple à l'économie marchande de partage de contribuer à la solidarité via le paiement de taxes et d'impôts.

En filigranes, on perçoit un appel à un regard vigilant sur l'avenir collaboratif: un œil attentif et critique, affûté à la lueur des principes chers à l'économie sociale notamment, un œil enthousiaste et séduit par les initiatives collaboratives qui participent au bien commun.