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L'imaginaire à la rescousse du climat

L'imaginaire à la rescousse du climat © Jacques Hoepffner

L'année 2015 est censée accoucher d'un accord international qui, pour la première fois, impliquera les pays riches, émergents et en développement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Pour y aider, on peut brandir des tonnes de chiffres et de rapports inquiétants. Mais on peut, aussi, titiller les cerveaux droits.



Le 18 juin prochain, les stades les plus prestigieux de la planète résonneront d'un chant collectif qui sera symboliquement interprété, espère-t-on, par 1 à 2 milliard(s) de personnes. À la manœuvre, une centaine de musiciens et chanteurs qui appelleront nos dirigeants à "agir tout de suite" dans la lutte contre le dérèglement du climat. "Tout de suite", cela signifie au plus tard lors de la Conférence sur le climat qui se tiendra six mois plus tard à Paris, qualifiée par le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius de "plus grand événement diplomatique jamais accueilli en France". Ce rendez-vous, qui rassemblera 40.000 personnes issues de 195 pays différents, a pour enjeu principal la question suivante : les êtres humains sont-ils prêts, oui ou non, à juguler drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre qui sont en passe de bouleverser les grands équilibres naturels de leur planète ?

Cette question - et même cette formulation - pourrait paraître usée, rabâchée, lassante. La façon d'y donner une réponse n'en aura pas moins des impacts considérables sur le "vivre ensemble" de nos enfants et petits-enfants, ne fût-ce qu'en termes de partage équitable et pacifique des ressources naturelles. Dans le passé, des concerts mémorables et les appels éplorés de rock stars internationales ont permis de collecter des sommes considérables pour des causes humanitaires en Ethiopie et ailleurs. Mais, si émotionnellement unificatrices soient-elles, les grand-messes de ce genre sont vite oubliées. Or en matière de climat, les négociations patinent dangereusement depuis (au moins) 2009. Chaque mois, chaque année qui passe nous rapproche du seuil - jugé décisif par les experts - où la hausse moyenne de la température mondiale dépasserait 2°C (par rapport à l’ère préindustrielle), point de basculement vers des processus probablement irréversibles.

Alors quoi ? Faut-il encore chanter pour le climat ? Comment se mobiliser ? Selon le prix Nobel d'économie Daniel Kahneman, expert en psychologie cognitive, le climat est la pire combinaison possible pour l'esprit humain : "Il nous force à faire des sacrifices maintenant, pour éviter des coûts incertains dans le futur. Exactement ce en quoi nous sommes mauvais..."(1). Ce constat fait dire à de plus en plus d'observateurs, à l'instar de George Marshall, cofondateur d'une ONG environnementale internationale, qu'"il est temps de trouver d'autres façons de parler du changement climatique". Et, dans la foulée, d'autres façons de protester qu'en défilant ou en occupant un lieu.

Au Festival Burning Ice, à Bruxelles, on a vu le mois dernier des artistes mettre en scène l'exil de réfugiés climatiques. "Nombreux sont ceux qui croient que donner à connaître les faits et les chiffres va nous pousser à modifier nos actes, nos comportements. Ce n'est clairement pas le cas, estimait l'artiste John Jordan en marge de l'événement. Dans la crise climatique, tout le monde sait et personne ne change. Les artistes ont précisément cette capacité à créer quelque chose d'attirant". Stéphane Foucart, journaliste spécialisé du Monde, ne dit rien d'autre lorsqu'il estime que "la science se construit trop lentement face à l'accélération de la crise écologique" et que "le recours à l'imagination devient de plus en plus naturel". C'est bien ce qu'ont fait récemment deux historiens des sciences américains qui, rompant avec tous les tabous académiques, ont publié un petit ouvrage de science-fiction(2) imaginant le monde en 2093. Soit un demi-siècle après le grand bouleversement social qui précipita la planète dans l'époque dite de la "Grande Pénombre", c’est-à-dire l'effondrement de la civilisation occidentale (titre de l'ouvrage). Un exercice littéraire qui s'avère jubilatoire autant que glaçant, au vu des 50 notes en bas de page, bel et bien scientifiques celles-là !

L'essayiste et auteure canadienne Naomi Klein, elle, voit plus large encore. Pour elle, la crise climatique constitue une opportunité extraordinaire pour changer de modèle, pour "reconstruire et réinventer l'idée même de collectivité, de bien commun, de société civile et de civisme (...) sans effusion de sang et d'une façon démocratique". Pour elle, la distinction classique entre activistes de l'environnement et "gens normaux" a perdu son sens. Elle nous appelle donc, tous, à entrer dans l'"effervescence de la rébellion". À l'instar de ces artistes qui, joignant la désobéissance à leur travail sur l'imaginaire, ne veulent plus prendre l'avion pour leurs tournées, refusent certains sponsors, scrutent l'identité des organisateurs d'événements afin de ne plus être associés à n'importe quoi. De tels programmes, chacun - groupe ou individu - peut s'en faire des dizaines. Avec un brin d'... imagination.