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La diversité : un rêve ?

La diversité : un rêve ? © Soraya Soussi

Impossible d’aborder la société et ses enjeux sociaux, économiques, politiques et culturels sans y inclure la diversité au sens large du terme. Elle est pour beaucoup la pierre angulaire des multiples luttes dans nos sociétés. Mais qui doit être le garant de cette diversité et qu’implique-t-elle dans l’agenda des combats sociétaux ?


Aujourd’hui, le panel des luttes sociétales s’est élargi. Dans la mouvance de cette évolution, notre société se cogne à diverses injustices sociales, politiques, économiques, environnementales… Des groupes d’activistes, de militants se forment, s’organisent, se professionnalisent. Sous forme de syndicats, associations, d’ONG, de mouvements citoyens, la société civile veille à la défense des droits des sans-voix. Chacun mène son combat, défend son agenda.

Si la diversité des luttes semble garantie, la di­versité au sein de ces groupes manque à l’appel. En fonction des combats, les publics divergent. Pour certains mouvements, la diversité n’est pas un enjeu central. Pour d’autres, elle est essentielle au projet social. Sans sa présence, impossible de rencontrer ses objectifs. C’est le cas par exemple d’Agora. Ce mouvement citoyen, qui a  obtenu un siège au parlement bruxellois aux dernières élections, promeut une démocratie participative par le principe du tirage au sort. "Nous souhaitons créer en parallèle du parlement, une assemblée citoyenne soumise à des critères très précis pour assurer la représentativité des citoyens bruxellois : le genre, le niveau de diplôme et l’âge", explique Alexandre, bénévole au sein du mouvement. Très vite Agora a souhaité intégrer davantage de diversité dans son organisation interne pour éviter les dérives d’"entre-soi". "L’idée est de rendre la diversité trans­versale à toutes nos actions, nos procédures, à tous les niveaux organisationnels. Elle est indispensable pour éviter les mécanismes de domination", assure Elisa, employée administrative d’Agora.

Malgré un point d’honneur posé sur la question de la diversité, Agora rencontre des difficultés à l’attirer dans ses rangs. "Les mouvements qui veulent mobiliser massivement peuvent se donner, éventuellement, un objectif de diversité car elle va donner du poids à la légitimité de leur combat. Mais si le problème social a été pensé sans la présence et l’implication des personnes qui représentent cette diversité au moment de la réflexion, vous n’aurez aucune garantie de présence et de participation de sa part", analyse Nicolas Marion, chercheur à l’ARC, l’asbl Actions et recherches culturelles.

Le travail en amont est possible seulement s’il y a un besoin ou un intérêt qui concerne les populations visées, poursuit le philosophe. "Si la diversité est une injonction morale, comme s’il fallait de la diversité pour que le combat soit légitime, vous créerez artificiellement tous les groupes. Ils seront, certes, divers mais vous perdrez leur raison d’être, le cœur du combat social."

Diversité hors agenda

À côté des nouveaux mouvements citoyens qui émergent et se multiplient, d’autres comme les syndicats travaillent depuis de longues années à inclure le principe de diversité. Eva Jimenez Lamas, responsable CSC auprès des travailleurs et des personnes sans-papiers, accompagne et fait participer ces personnes dans la défense de leurs droits au travail. Pour elle, "il est nécessaire que

les personnes en avant dans les luttes soient les personnes concernées. Les sans-voix doivent pouvoir porter la pa­role." Malgré l’inclusion des personnes visées, ces dernières restent en retrait dans les combats de société. Pour Eva Jimenez Lamas, le problème, c’est le calendrier des politiques : "On ne tient pas compte de l’urgence sociale des personnes précarisées. Comment voulez-vous qu’elles se sentent con­cernées par les questions de réduction de carbone si elles ne savent pas où elles vont dormir ou ce qu’elles vont manger ?" Cet enjeu d’inclusion de la diversité est donc étroitement lié à l’agenda des luttes, c’est-à-dire la priorité donnée à telle ou telle thématique dans les politiques ou dans les médias. "L’action politique présuppose une forme de ‘choix‘ en faveur de telle ou telle lutte", observe le sociologue et philosophe Geoffroy Lagasnerie.

Diversité et convergences des luttes : même combat ?

Urgence sociale ou urgence climatique ? Défendre les personnes sans-papiers ou les sans-abri ? Devrait-il seulement y avoir un agenda des lut­tes ? Par qui serait-il dès lors décidé ? Finalement, la question fondamentale ne serait-elle pas de faire converger ces luttes qui sont liées par un même système de société ? Pour les uns, cette convergence des luttes est une évidence, pour d’autres, elle occulterait, dans un nouveau rapport de force, certains combats. Nicolas Marion préfère croire aux concepts de diversité et de convergence des luttes "s’ils servent de repères critiques à l’intérieur des mouvements sociaux en restant dans le cadre de leur autonomie, soit leur capacité à décider eux-mêmes de ce qu’ils veulent."