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La santé, en proie au business

La santé, en proie au business © AGEFOTOSTOCK_BELGAIMAGE

La santé fait vendre. Sous couvert de la préserver ou de la retrouver, le commerce vante toutes sortes de choses : des produits mais aussi des outils de mesure de nos paramètres physiologiques, voire des plateformes d'expression, de type réseaux sociaux. Une question traverse ce business : à qui profite-t-il ?


D'une enquête auprès des malades chroniques, il ressort que l’achat de vitamines, minéraux et compléments alimentaires prescrits coûte en moyenne 62 euros par mois à chaque patient. L'Observatoire des maladies chroniques poursuit son investigation, dans le but de prodiguer des recommandations à propos de ces produits(1). Et de veiller aux intérêts du malade, très courtisé par les firmes, tant le marché du bien-être et de la santé semble porteur.

Un petit détour par une officine pharmaceutique pourra en attester. Enfilons nos lunettes critiques. Tenons-nous à distance de nos comportements habituels de consommateurs et adoptons une posture d'observateurs en poussant la porte. Souvent les devantures et étals du pharmacien suivent les saisons. Ils surfent en équilibre subtil entre le souci de prévenir ou de soigner (des pertes d'énergies, des rhumes, des insomnies, des mines chiffonnées…) et l'intention de vendre, de répondre à nos angoisses.

Le rang des malades s'épaissit

Dans nos sociétés, "les indispositions de la vie se voient de plus en plus souvent affubler de noms savants de maladies, observe l'ASBL Question santé(2). La timidité, une émotion ordinaire est ainsi devenue un désordre psychiatrique rebaptisé 'phobie sociale' qui se soigne à l'aide d'antidépresseurs. Plutôt que de parler des brûlures d'estomac, on se focalise aujourd'hui volontiers sur le terme 'maladie du reflux gastro-oesophagien'. Tout comme la mauvaise haleine, un trouble commun et gênant, s'est vue requalifié en 'halitose'. Certaines manifestations précédant les règles sont désormais reprises sous l'appellation de 'syndrome dysphorique prémenstruel'… À tous ces maux, des remèdes sont proposés." De quoi interroger les fir mes et leurs stratégies commerciales, mais aussi nos aspirations, nos croyances, nos peurs… et notre tendance à nous "médicaliser".

Du côté des mobiles

Aux côtés des médecines à ingérer, s'offrent à nous aujourd'hui d'autres types de dispositifs de soins aux coulisses moins connues : les "applications santé" comme Google Fit ou Apple Health. Sur ce terrain aussi, la vigilance du consommateur critique et responsable est mise à l'épreuve. Les coachs virtuels se comptent par dizaines de milliers et connaissent un franc succès. Ils promettent de perdre du poids, d'améliorer la qualité du sommeil, de doper les performances sportives ou encore de prévenir des maladies liées au mode de vie. Ils posent pas mal de questions : sur la fiabilité de ce qu'ils mesurent, de ce qu'ils conseillent, sur l'apparence "médicale" dont ils se parent, sur les usages qui sont faits des données collectées – par les assureurs notamment pour distinguer les niveaux de risque et adapter ainsi leurs tarifs.

Même débat autour des réseaux sociaux, à l'heure où se développent des sortes de "Facebook pour malades". "La collecte de données constitue la principale source de revenus de certains sites et applis, indique Test Achats qui réclame davantage de transparence à ce niveau. De grandes entreprises sont en effet prêtes à dépenser beaucoup d’argent pour obtenir des informations personnelles sur le comportement des consommateurs et pouvoir ensuite mener des campagnes publicitaires ciblées."

Intérêt médical

Nos données constituent donc une mine d'or, captables notamment par les outils online axés "santé". Sans qu'ils n'aient nécessairement de réelles intentions d'améliorer la santé des usagers. Ainsi le dialogue entre le monde médical et celui des développeurs en informatique est beaucoup trop rare, regrette le journaliste spécialisé Hubert Guillaud(3). Ses voeux pour l'avenir proche : "Que la médecine s'intéresse aux applications de santé et que les développeurs s'intéressent à la médecine. Que les seconds relèvent les défis de l'homologation et de la certification. Que les premiers regardent avec plus d'attention les possibilités de ces outils. Et qu'on arrête de laisser les utilisateurs au creux du gué".

En attendant des temps meilleurs, il reste à chacun la responsabilité de décoder derrière un produit, une appli, comme derrière un site Internet ou toute information : Qui est à la source ? Est-il fiable ? Que propose-t-il ? Et surtout : pourquoi et au bénéfice de qui, de quoi ?