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Le rire pour relifter les mouvements sociaux

Le rire pour relifter les mouvements sociaux © MAXPPP belgaimage

Battre le pavé bruxellois suivant un tracé coutumier : l'axe Nord/Midi, voilà bien la manifestation la plus connue du mécontentement social. En prenant des chemins de traverse, en troquant le drapeau contre le nez de clown, en joignant aux sifflets les instruments d'une fanfare, les mouvements sociaux ne seraient-ils pas en train de changer de visage ? Leur défi en tout cas : afficher un visage convaincant.


"La Belgique est présentée comme le pays du consensus et du compromis. Une certaine image de passivité est accolée à cette idée", observent le sociologue David Paternotte et le politologue Jean Faniel, en introduction d'un dossier sur les mouvements sociaux (1). Ils rectifient tout de suite cette "réputation" d'apathie.

Les mobilisations à la sauce belge existent bel et bien. Leurs caractéristiques ? Elles sont le plus souvent pacifiques. Elles s'appuient sur un tissu très dense d'organisations. Elles ont tendance à considérer la négociation et le compromis comme un passage obligé pour faire aboutir une revendication. Elles ont des pratiques relativement "routinisées" et "admises" par l'État.

Du sang frais dans la routine

Est-ce à dire que la tradition les essouffle ? De l'avis de Jean Faniel (2), l'histoire des mouvements sociaux laisse plutôt transparaître un renouvellement constant. Modes d'actions et thématiques nouvelles viennent progressivement enrichir le tableau déjà chamarré des mouvements de travailleurs. Féminisme, pacifisme, altermondialisme, revendications de genre (3), de coopération Nord/Sud… s'y intègrent. Et c'est encore du sang frais qu'apporte la crise économique et financière à l'œuvre depuis une petite dizaine d'années. "Nuit debout", "Tout autre chose", "Les indignés", "Les acteurs du temps présent"…, ces actions collectives aux qualificatifs presque poétiques suscitent la curiosité, l'intérêt.

Redorer l'image des luttes

Être poétique, créatif, voire surréaliste à la mode de l'entarteur Noël Godin, voilà les méthodes qui plaisent au Collectif Artivist. Né en 2009, le groupe veut "s’indigner collectivement, se révolter, créer des failles dans l'espace public (…) qui malgré la multiplication de crises, poursuit son train-train quotidien sans aucune remise en cause".

Burlesque et performance, musique et mise en scène sont autant de tactiques mobilisées par ces activistes d'un nouveau style. Leurs idées : redynamiser les grandes mobilisations, redorer l'image des luttes sociales – constatant par exemple combien les manifestations "souffrent d'une stigmatisation accrue de la part des médias et d'une part croissante de responsables politiques et de la population"…

Il s'agit de revaloriser les mobilisations, réduites souvent par les médias à des embarras de circulation et des échauffourées en fin de cortège. "L'ironie, le surréalisme et l'art sont aussi capables de faire passer un message subversif, voire d'imposer un sujet dans l'agenda politique", soutient Amaury Ghijselings, membre du Collectif (4).

Utilisé à bon escient, l'humour peut faire des ravages. mais attention, comme pour le clown, son éthique doit rester intacte.

Ah, l'humour ! Utilisé à bon escient, il peut faire des ravages. Mais attention, comme pour le clown, son éthique doit rester intacte : être pleinement dans son humanité, en lien avec celle de l'autre. Convivialité et amusement peuvent alors apparaître comme des ingrédients bien utiles à l'action.

Changer le monde nécessite de mutualiser les mobilisations, de risquer la mise en réseau, la fédération. Les uns, ancrés sur leur localité ou centrés sur leur créneau, devraient rencontrer et faire confiance aux autres, pour s'inscrire dans un mouvement plus général. D'autres, habitués des cénacles de la concertation politique et du réseautage, devraient se laisser davantage nourrir, questionner, imprégner par les acteurs dans toutes leurs diversités. Le tout, à faire sérieusement, sans pour autant se prendre au sérieux.