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Les vertus de la frousse

Les vertus de la frousse © Reporters Life on White

On a la frousse, on craint le pire, on est insécurisé, on panique ou on angoisse… Il y a mille et une façons d'avoir peur ! Elles envahiraient même notre monde inquiet, peu confiant en l'avenir. La peur peut tétaniser, attiser la nervosité. Mais peut-elle aussi être mère de la sagesse ?


On ne cesse de nous faire peur, observait l'historienne Marie-Sylvie Dupont-Bouchat voici dix ans(1). L'information, les campagnes de prévention, la médiatisation à outrance de toutes les calamités qui s'abattent sur la terre entière, depuis les confins de la Chine jusqu'au cœur de l'Afrique, ont largement de quoi nous faire réfléchir aux risques qui nous menacent”.

Aujourd'hui, encore, on peut partager son constat. À écouter les infos d'une oreille distraite, on ne pourra échapper aux inquiétudes pour nos données privées à cause de la faille Heartbleed, à la peur pour la santé des voyageurs à cause du virus Ebola, à l'angoisse de prendre le métro à cause de l'histoire new-yorkaise d'un rat… Sans parler de la peur du lendemain qui habite nombre d'entre nous, alors que la crise économique semble se prolonger. Ou encore de la peur de l'autre que le sentiment d'insécurité croissant viendrait attiser. Petites ou grandes frousses traversent notre quotidien.

Alarmisme pour les uns, prévoyance ou réalisme aux yeux des autres. Nous participons d’”une société au bord de la phobie”, dit le dossier printanier de la Revue nouvelle(2), et nous oscillons entre condamnation et célébration des peurs. Ainsi, avoir peur sera tantôt considéré comme légitime, et justifiera de multiplier les mesures pour éviter les risques. Tantôt, avoir peur sera vu comme une faiblesse. Celui qui a peur du changement sera, par exemple, taxé de pessimiste, d'immobile, de démodé… Autant de caractéristiques élevées au statut de défaut. Au final, nous voilà face à une sorte d'injonction paradoxale : prenez des risques, mais surtout des risques zéro!

La peur, bonne conseillère ?

Qui vit sans phobie n'est pas si sage qu'il croit”, entonne le politologue Benjamin Denis, dans le dossier de la Revue nouvelle. Il est, d'après lui, des peurs rationnelles et légitimes. Il évoque les alarmes que doivent susciter les changements climatiques en cours, la dégradation de la biodiversité ou l'épuisement des ressources naturelles. On trouverait là des peurs vertueuses parce qu'elles amènent à inventer de nouvelles manières d'habiter, de se mouvoir, de travailler… Si on ne tombe pas dans la névrose collective, bien entendu.

Dans le domaine de la prévention santé, la réflexion sur le recours à la peur n'est pas neuve. Son utilisation comme technique de persuasion pour modifier les comportements apporte quelques leçons éclairantes. D'abord, user efficacement de la peur implique de visualiser avec précision l'existence et la nature du danger. Sans quoi, la peur vire à l'angoisse, à l'attente d'un danger vague et particulièrement envahissant. Ensuite, afficher la menace sans suggérer l'accès à des solutions favoriserait le déni ou le rejet du risque. On passe alors à côté du but recherché.

Ces techniques de persuasion ne sont pas toujours du goût des défenseurs de la promotion de la santé, qui préfèrent favoriser la participation, la création collective de moyens d'agir… Patrick Trefois, directeur de Question santé(3) tente la réconciliation de ces points de vue autour de la posture de l'éducateur. Ce dernier transmet prioritairement des messages positifs et valorisants. Il éveille parfois à la peur des conséquences de certains actes. Il transmet une connaissance sur certains dangers. Et surtout il a pour objectif de rendre son “apprenti” autonome et responsable, à même de poser des choix éclairés, libres et conscients.