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Surfer, un voyage en liberté ?

Surfer, un voyage en liberté ? © PHOTOALTO BELGAIMAGE

De puissantes techniques statistiques trient, agrègent et traitent la montagne d'informations digitales que nous générons. De notre ticket de caisse à notre temps de lecture sur un site, en passant par nos photos de vacances… Ces algorithmes chiffrent le monde. Avec eux, on s'aventure même à le prédire voire à le déterminer.


Une recherche sur Google et l'algorithme du moteur de recherche entre en action. Résultat : l'internaute se voit orienté en priorité vers des sites largement référencés par d'autres sites – en bien ou en mal peu importe. Ce sont les liens hypertextes qui donnent le La.

Un like sur Facebook et l'algorithme du réseau social capitalise l'information. Il mesure les réputations, affiche ce qui a rencontré le plus de "like". Résultat : l'internaute, conscient de la visibilité de ses coups de cœur ou de sang peut se muer en stratège. L'écart se creuse entre la réalité quotidienne et celle que la Toile affiche. Tandis que la fenêtre sur le monde se réduit au paysage des amis.

Quelques clics sur Amazon et l'algorithme de la plateforme de vente en ligne établit le profil du surfeur. Résultat : ses goûts sont anticipés, son panier personnalisé en fonction des clics qu'il a posés, des traces de comportements laissées par d'autres avant lui. "Le futur de l'internaute est prédit par le passé de ceux qui lui ressemblent". Etc.

Les statistiques sont dans nos quotidiens

Pour nous informer, échanger ou apprendre ; pour nous guider, acheter ou nous détendre… le numérique est devenu un réflexe courant. Chaque geste digital ainsi posé vient grossir la masse des données calculables : les big data, cette nourriture vitale pour les algorithmes. Eux, ils nous facilitent la vie en nous orientant. Mais ils la façonnent également. Sans vraiment crier gare. Et malheureusement, sous l'emprise souveraine de grandes plateformes web que l'on appelle les "Gafa" pour Google, Apple, Facebook et Amazon.

Soyons de bons comptes, leurs services n'adviennent que parce qu'ils trouvent échos dans les modes de vies et les aspirations d'un grand nombre d'entre nous. Il n'empêche de prendre conscience de leurs travers. Notamment, le système de comparaison généralisé qui s'installe. Le benchmarking, disent les entreprises qui usent de cette technique marketing pour agir sur la performance.

"Comme les gps dans les véhicules, les algorithmes se sont glissés silencieusement dans nos vies. nous leur donnons la destination et ils nous demandent de suivre 'leur' route".

Entrer dans les calculs

Pour le sociologue Dominique Cardon (1), il s'agit d'ouvrir la boîte noire, de donner aux internautes les moyens de reprendre le pouvoir sur la société de calculs à l'œuvre au travers de puissants algorithmes. Sa comparaison avec la fonctionnalité GPS (Géo-positionnement par satellite) d'une voiture en éclairera plus d'un : "Comme les GPS dans les véhicules, les algorithmes se sont glissés silencieusement dans nos vies. Ils ne nous imposent pas la destination. Ils ne choisissent pas ce qui nous intéresse. Nous leur donnons la destination et ils nous demandent de suivre 'leur' route. La conduite sous GPS s'est si fortement inscrite dans les pratiques des conducteurs que ceux-ci ont parfois perdu toute idée de la carte, des manières de la lire, de la diversité de ses chemins de traverse et des joies de l'égarement. Les algorithmes nous ont libérés des voyages en groupe, des points de vue obligés et des arrêts obligatoires devant des panoramas souvenirs. Ils procèdent d'un désir d'autonomie et de liberté. Mais ils contribuent aussi à assujettir l'internaute à cette route calculée, efficace, automatique, qui s'adapte à nos désirs en se réglant secrètement sur le trafic des autres. Avec la carte, nous avons perdu le paysage (…)".

Sans être intimidé

L'internaute peut bloquer les pubs, il peut effectuer ses recherches via un moteur au profil plus éthique, il peut améliorer les contenus en participant à la production collaborative qui foisonne sur le Net… Il peut aussi, plus simplement, avoir conscience de l'arrière scène, des coulisses de ses écrans. Et tenter de ne pas être dupe : en s'interrogeant sur ce qui lui est présenté, en grattant au-delà de la première couche d'informations qui lui est livrée… Passons en manuel de temps en temps, quittons régulièrement le guidage automatique… voilà qui ouvrira nos horizons, qui enrichira les statistiques.