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Colères climatiques

Colères climatiques © Pixabay

Caniculaire, l'été 2018 en annonce d'autres de la même trempe. Au-delà du constat de "bel été", il y aurait de quoi se sentir impuissant et découragé devant l'évolution du climat. Beaucoup s'y refusent. Et, après la déprime, sont gagnés par l'exaspération.


Un beau dessin, parfois, remplace les meilleures démonstrations. Exemple récent, ce croquis (paru sur le site Reporterre) (1) d'un homme installé dans un fauteuil au soleil et sirotant tranquillement un soda. Derrière lui, en toile de fond, un tableau de mort et de désolation dans un paysage désertique calciné. Commentaire de l'homme avachi : "Réchauffement climatique, n'exagérez pas ! Ça a toujours été comme ça. On ne va pas se plaindre d'avoir eu un bel été, si ?"...

Se plaindre, non. S'interroger, oui. Le plus préoccupant ne réside pas dans la variété géographique des records de température enregistrés : de la Suède à la Californie en passant par le Japon et le Sahara. Il est, plutôt, dans le fait que ces records ne trouvent pas leur origine dans nos émissions actuelles de gaz à effet de serre. Ce sont, en effet, nos émissions d'il y a plusieurs décennies qui sont en cause. Stockées dans l'atmosphère, elles n'ont pas disparu et ne sont pas près de le faire...

Nos émissions d'aujourd'hui, elles, expliquent pourquoi nous nous dirigeons sous peu vers des extrêmes encore plus violents : 43 à 45 degrés en France dans dix ans à peine. Et carrément 50 degrés (voire plus) ici et là autour de la Méditerranée dans la deuxième moitié du siècle si nos émissions ne sont pas maîtrisées. "Nous répétons cela depuis trente ans, soupire avec lassitude l'éminent climatologue français Jean Jouzel.

Déni et sidération

Ces alertes n'ont pas réussi à suffisamment percoler dans les esprits ni à susciter les politiques am - bitieuses nécessaires. Au point que certains, aujourd'hui, en appellent aux neurosciences comportementales pour expliquer cette indifférence/inertie/ aveuglement (biffer les mentions inutiles). Et les voilà qui parlent déni, sidération, évitement, sentiment d'impuissance, foi inébranlable dans les solutions technologiques, etc.

En phase avec la gravité de la situation, la rhétorique évolue. C'est bien au nom d'une "logique mortifère qui gagne l'Europe et toute la planète" que des personnalités mondiales de haut niveau ont réclamé d'urgence, cet été, la mise sur pied d'une Banque européenne du climat pour créer des millions d'emplois à la fois en Europe et en Afrique et aider à la transition énergétique (moins de combustibles fossiles). Le philosophe Michel Serres, peu suspect de catastrophisme mais qualifiant aujourd'hui la situation de "tragique" (2), propose en semi-boutade d'introduire un examen de physique au concours d'entrée de l'ENA, la prestigieuse École nationale d'administration en France. "Ça révolutionnerait pas mal les choses ! Ça permettrait surtout à ceux qui nous gouvernent de savoir ce que signifie le mot 'climat'".

Fièvres militantes

Sur ces propositions de fond se greffe un nouveau type d'émotion : la colère. Observateur de longue date des enjeux sociétaux et environnementaux, le philosophe français Dominique Bourg note, suite aux températures de cet été, que "l'on commence à ressentir ce qu'on sait sur les changements climatiques (...) Le changement va s'accélérer, les gens ne vont pas tout de suite descendre dans la rue, mais ils vont commencer à critiquer leurs dirigeants. Et je ne serais pas étonné que dans quelques années émerge un terrorisme environnemental" (3)

Espérons qu'il se trompe... Les organisateurs du festival de transition "Maintenant", à Louvain-la-Neuve, ne font pas mystère de la montée "d'une forme de colère et de vibration violente, très récentes" parmi les activistes historiques des causes environnementales. "L'épisode Nicolas Hulot (NDLR: démissionnaire de son poste de ministre de la transition écologique en France) montre qu'il est vraiment temps de se fâcher très fort. Ceux qui ont ouvert les yeux depuis longtemps se sentent aujourd'hui en temps de guerre" : une poussée émotionnelle heureusement tempérée, à ce stade, par deux choses : d'une part, des idéaux résolument pacifistes et, de l'autre, la créativité joyeuse et conviviale insufflée par le documentaire "Demain". Mais que deviendront ces colères en 2050, dans un monde surchauffé à 9 ou 10 milliards d'habitants ?